16 juin 2022

Temps de lecture : 4 min

Et si les anti-inflammatoires étaient finalement la cause de nos douleurs chroniques ?

Les chercheurs d’une université canadienne affirment que les anti-inflammatoires non stéroïdiens tels que l’Ibuprofène ou l’Aspirine, utilisés comme traitement pour combattre les douleurs aiguës, pourraient en réalité nous causer bien plus de mal que de bien.

Lorsqu’ils traitent des maux de dos, une cheville foulée, un muscle froissé, ou d’autres blessures « bénignes » du même acabit, les médecins ont tendance à se reposer exclusivement sur les anti-inflammatoires non stéroïdiens, ou AINS dans le jargon de Didier Raoult. Un recours quasi systématique à l’ibuprofène, à l’aspirine et autre dexaméthasone, souvent plébiscité par les patients eux même, tant la solution le parait miraculeuse. Pourtant, une étude publiée fin mai dans la revue Science Translational Medicine suggère que la réduction de l’inflammation à court terme pourrait en fait « étouffer » la guérison, entraînant ainsi une douleur chronique à long terme.

Une déclaration « assez radical », comme le déclarait lui-même Jeffrey Mogil, l’auteur principal de l’article, mais qui a le mérite de mettre un bon coup de pied dans la fourmilière. L’un des plus grands challenges de la médecine a toujours été de découvrir comment une douleur aiguë pouvait se transformer en une douleur chronique, ce que l’on appelle parfois la chronification de la douleur.  Le neuroscientifique officiant à l’université McGill et ses dix-neuf co-auteurs, à l’image du bio-informaticien Marc Parisien, tous issus d’institutions scientifique respectées, ont étayé leur affirmation par trois séries de preuves assez convaincantes.

 

Ce n’est pas tout de le dire

Ils ont d’abord recueilli des échantillons sanguins auprès de 98 patients italiens au moment de leur premier rendez-vous dans une clinique de gestion de la douleur pour traiter des douleurs lombaires aiguës. La fine équipe a ensuite prélevé de nouveaux échantillons trois mois plus tard, dans le but de comparer leurs informations génétiques. L’objectif des chercheurs était de comparer les données de ceux dont les douleurs lombaires se sont résorbées à celles des patients dont les souffrances sont devenues chroniques. Ils ont pu ainsi constater que les patients dont la douleur avait disparu présentaient une activation accrue des gènes impliqués dans l’inflammation. Leurs cellules immunitaires ont accéléré le processus immunitaire fondamental, puis l’ont rapidement réduit. Ces mêmes gènes inflammatoires sont restés relativement inertes chez les patients qui ont développé des douleurs chroniques. Pour les chercheurs, cela suggère qu’une réponse inflammatoire vigoureuse et à court terme accélère la guérison et résout la douleur.

 

 

Ils ont ensuite testé cette hypothèse pendant plusieurs jours sur des souris blessées, séparées en trois groupes. Ils ont administré au premier un médicament anti-inflammatoire en vente libre, puis de la dexaméthasone au deuxième, et une simple solution saline au troisième. Si les deux premiers ont été mieux soulagé de leur douleur à court terme, in fine, elle a mis beaucoup plus de temps à disparaître que les souris choyées à l’eau salé. Une différence de l’ordre de plusieurs mois au lieu de quelques semaines.

Enfin, les chercheurs ont parcouru la UK Biobank, une base de données biomédicales à grande échelle contenant des informations génétiques et sanitaires détaillées sur un demi-million de participants britanniques, à la recherche d’enregistrements de patients souffrant de douleurs lombaires aiguës et ayant traité leurs symptômes avec divers analgésiques. Ils ont constaté que les patients qui utilisaient des anti-inflammatoires comme l’ibuprofène ou l’aspirine étaient 76 % plus susceptibles de développer des douleurs chroniques au dos que les patients qui utilisaient d’autres analgésiques ne réduisant pas l’inflammation.

Prise dans son ensemble, cette série de preuves plaide en faveur de la lutte contre l’inflammation précoce. Cependant, les chercheurs n’ont étudié que les douleurs lombaires. De plus, les résultats des études sur les souris ne se reproduisent pas toujours chez l’homme. Enfin, l’étude de la UK Biobank est sujette à plusieurs variables. Il se peut que les patients sous AINS souffraient de douleurs dorsales et d’une inflammation bien plus grave que les autres, et que la gravité de leurs blessures ait fini par causer des douleurs chroniques.

 

 

Une mentalité à revoir

Mais cette étude pourrait bien changer la donne, suggérant que les cliniciens devraient être plus enclins à laisser l’inflammation précoce suivre son cours et que les personnes souffrant de ce genre de douleurs à la maison devraient envisager de prendre de l’acétaminophène plutôt que de l’ibuprofène. Surtout qu’elle n’est pas la seule à arriver à cette conclusion. En 2020, le Comité européen en charge de l’évaluation des risques et de la pharmacovigilance concluait au terme d’une vaste enquête que « la prise d’ibuprofène ou de kétoprofène – par voies orale, rectale ou injectable – peut entrainer, lors de certaines infections, un masquage des symptômes comme la fièvre ou la douleur, conduisant à un retard de prise en charge du patient avec pour conséquence un risque de complications de l’infection ».

Ces dernières années, les scientifiques ont même commencé à réaliser que l’inflammation aiguë – due à une blessure, par exemple – et l’inflammation chronique – due à l’obésité, par exemple — sont très différentes. La première étant recommandée au contraire de la seconde. La rougeur, le gonflement et la douleur de l’inflammation aiguë sont des signes que le sang afflue vers la zone du corps endolorie, apportant des cellules immunitaires qui la débarrassent des contaminants et des cellules endommagées, ainsi que des substances chimiques qui stimulent la guérison. Il ne faut pas que les cellules immunitaires restent trop longtemps dans la zone mais il ne faut pas non plus les forcer à en sortir prématurément. À l’heure actuelle, la médecine fait peut-être le contraire lorsqu’il s’agit de traiter la douleur et l’inflammation. Ce n’est que lorsque cette dernière devient trop insupportable que les cliniciens devraient prescrire des anti-inflammatoires.

Les chercheurs prévoient de mener un essai clinique chez l’homme, en comparant les taux de douleur chronique chez les personnes qui reçoivent soit des médicaments anti-inflammatoires contre la douleur, soit des médicaments contre la douleur qui ne réduisent pas l’inflammation. Pour notre santé, comme pour la vôtre, on a hâte d’en connaître les résultats.

 

 

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