5 décembre 2022

Temps de lecture : 6 min

« Pour l’immobilier commercial, je crois beaucoup au business de la flemme », Philippe de Taffin, PDG de Matador

Vous connaissez déjà la chanson : le secteur de l’immobilier commercial serait en pleine déliquescence, à l’image de ce que traverse le quartier de La Défense depuis la fin de la pandémie. Nous avons rencontré Philippe de Taffin, PDG de Matador, l’agence « des lieux », pour déceler le vrai des fantasmes.

INfluencia : vous avez connu des mouvements importants dans votre gouvernance ces dernières semaines, avec la nomination de Bruno Moreira en tant que Directeur de Création, et l’entrée au capital de Chloé Georges. Pourquoi était-ce le bon moment de repartir sur de nouvelles bases ?

Philippe de Taffin : il ne s’agit pas vraiment d’un renouvellement d’effectif. Je reste PDG, Antoine Messeyne, mon associé, reste Directeur associé en charge de la création et Lionel Aboudaram, qui m’a cédé la majorité en 2019, reste au comité stratégique. Mais nous sommes ravis de compléter cette base managériale par les deux personnes que vous venez de citer ! Maintenant, pourquoi était-ce le bon moment de nous agrandir ? Parc qu’après deux ans de Covid dont l’agence a souffert, sans gravité certes mais quand même, l’activité repart donc il nous paraissait logique de nous développer en conséquence. Nous rentrons dans une période passionnante car nos clients se posent beaucoup de questions et ont plus que jamais besoin de notre expertise.

IN. : vous étiez la semaine dernière au MAPIC, le salon de l’immobilier commercial. Quel climat règne entre les principaux acteurs du secteur post Covid ?

Philippe de Taffin : je pense qu’il faut dissocier deux choses, l’ambiance générale et l’analyse de fond. Il est clair que les gens sont contents de se retrouver dans un salon pour échanger, donc le climat est plutôt chaleureux. Pour ce qui est de la forme économique du secteur, cela n’a pas dû vous échapper, les mots employés par les médias sont forts. Ils n’hésitent pas à parler de tempête, de crise, etc. Mais ce n’est pas nouveau et loin d’être seulement amputable au Covid. L’immobilier commercial a dû s’adapter à l’explosion du e-commerce, notamment. Comme pour beaucoup d’autres professions, la pandémie n’a fait qu’accélérer des tendances qui lui préexistaient. Résultat, tout le secteur est sous pression et les directives des collectivités tendent plus vers une limitation des nouvelles surfaces commerciales. Pourtant, il y a un point positif essentiel à ressortir de tout cela : l’absolue nécessité de se transformer. Avant le covid, les clients à qui j’en parlais en étaient conscients mais n’étaient pas spécialement pressés de se mettre en mouvement. Aujourd’hui, ils n’ont plus le luxe de se montrer frileux. Ils se doivent de proposer une nouvelle valeur sociétale à leur marque. Un exemple concret, le groupe FREY, avec qui l’on travaille, cartonne depuis quelques années car il s’est imposé comme le premier groupe côté en France certifiée B Corp à prendre un gros virage RSE. Ils ont pris de l’avance là ou la plupart de leurs concurrents ne font que de la langue de bois.

 

 

IN. : cet été, un article du Monde présentait la Défense comme l’incarnation de cette crise, avec des tours à moitié vides, des restaurants sans clientèle, etc. Paris La Défense faisant partie de vos clients, pouvez-vous me décrire ce que vous préparez pour mener à bien sa transformation ?

Philippe de Taffin : je pense que Paris La Défense souffre depuis de nombreuses années des idées reçues car le quartier arbore un visage très minéral. On peut facilement le prendre pour ce qu’il n’est pas réellement. Je le parcours presque quotidienne et je peux vous affirmer qu’ils font des choses formidables. Depuis quelques mois, ils se sont repositionnés avec une nouvelle plateforme de marque et une ambition claire, devenir le 1er territoire post carbone, ce qui est techniquement très ambitieux. Donc oui, ils sont conscients de ce qu’ils doivent devenir. Après, c’est sûr qu’à l’échelle de ces lieux-là, un établissement public qui est aussi un territoire, les choses prennent du temps.

 

IN. : j’ai pu lire dans un article du Point que la part des commerces dans le volume global des investissements en immobilier en France est passée de 12 % en 2021 à 28 % au premier trimestre 2022, du jamais vu depuis une décennie, mais que paradoxalement leur fréquentation reste généralement inférieure de 10 à 15 % aux niveaux prépandémiques. Comment interprétez-vous ces deux métriques ?

Philippe de Taffin : la tendance que nous observons est que il y a un peu moins de fréquentations dans les commerces mais que le panier moyen des clients grossit. In fine, le chiffre d’affaires des dits lieux est parfois supérieur à avant. Les gens vont peut-être moins fréquemment dans les shopping centres mais y passent plus de temps et consomment plus. Il y a des contre exemples mais c’est ce que l’on constate la plupart du temps. Sans oublier qu’ils existent plusieurs formes de commerce. En termes de fréquentation, le secteur du plein air a même augmenté, tout comme le commerce de loisir. Il y a la tendance générale mais il faut polariser en fonction de la taille des lieux . La question que l’on doit se poser derrière concerne la proximité entre les lieux de vie des urbains, qui s’installent de plus en plus en périphérie des villes, et les espaces commerciaux.

IN. : quand on voit le peu de professions, encore aujourd’hui, qui peuvent s’autoriser le travail à distance, est-il viable de penser que les retail parks en périphérie des grandes villes ont encore un avenir ?

Philippe de Taffin : pour vous répondre, il faut d’abord prendre en compte les données démographiques car ils déterminent grandement les performances économiques d’un lieu. C’est aussi ce qui provoque la crise du logement actuel qui participe à la transformation du secteur. Là on ne parle même plus de commerce mais de cohabitation. Ensuite, viennent les changements de comportement. Il est très dur de tirer des généralités mais la réalité est que le pouvoir d’achat des Français diminue. Quand les gens ont du mal à boucler les fins de mois, ils vont là où la vie coûte moins chère. Mais il y a un autre facteur déterminant, celui de notre « flemme » (rire). Je crois beaucoup au business de la flemme car généralement, nous espérons tous avoir la majorité de nos commerces et de nos loisirs à porter de main. A côté de ça, ce que l’on ressent quotidiennement c’est l’enthousiasme des gens quand ils s’y rendent après tant de restrictions. On a besoin de contact, de se sentir entouré, donc je suis plutôt confiant.

 

 

IN. : ce sujet est loin de ne toucher que votre secteur mais l’éveil – brutal – des consciences à la question écologique a-t-il lancé la course à « Qui se montrera le plus éthique dans sa communication ? », au risque d’uniformiser le contenu des campagnes que vous, et vos concurrents, proposez ?

Philippe de Taffin : complètement. J’avais écrit une brève à ce sujet que j’avais appelé pour provoquer « La nouvelle standardisation ». C’est comme si certaines marques souffraient de schizophrénie (rire), même les plus puissantes. Elles adoptent un ton propre et soigné quand il s’agit de communiquer sur leur domaine marchant, mais dès lors qu’elles doivent parler de RSE, elles empruntent des codes super naïfs et standardisés et qui sont parfaitement décorrélés de leur plateforme de marque. Dans ces conditions, le manque de sincérité saute directement aux yeux. Sans aucun mépris pour l’association, évidemment, je rencontre de plus en plus de marques qui cèdent à ce que j’appelle « le syndrome du partenariat avec Emmaüs » (rire). Le tout sans réel logique avec leur métier.

 

IN. : pour finir, avez-vous des projets sur lesquels vous travaillez que vous aimeriez nous partager ?

Philippe de Taffin : je ne peux pas vous révéler pour le compte de qui, mais nous avons gagné plusieurs projets dans un domaine très actuel : celui de la logistique urbaine. Pour l’instant, nous avons très peu de retour d’expérience en la matière mais ces sujets représentent de vraies solutions pour les villes. Aujourd’hui, rien n’est vraiment structuré, comme le prouve l’explosion des dark stores et des dark kitchen et ses conséquences sur la désorganisation des villes, notamment en termes de nuisance sonore, de trafic automobile, etc. Tout est encore à faire ! Mais plus globalement, nous sommes très enthousiastes quant à l’idée de continuer à nous étendre à tout type de lieux et d’échelle, public ou privé. Notre positionnement exclusif au service des lieux nous amène à travailler à la fois sur leur positionnement, leur plateforme de marque, mais également à nous adonner au lobbying, au digital etc. En bref, plus besoin de choisir notre métier : tous les moyens sont bons pour insuffler une haute valeur sociétale aux lieux que nous accompagnons.

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