Une fois encore, le 11 novembre aura été en Chine la journée de tous les records du commerce en ligne. En 2012, le « double eleven » avait généré 3,1 milliards de dollars d’achats en 24h et 78 millions de colis. Pour sa quatrième édition lundi dernier, le record de la plus forte transaction journalière a été allègrement dépassé avec un montant astronomique de 3.8 milliards d’euros. A minuit une minute, le site avait déjà enregistré 10 millions de connections. L’exploit, c’est aussi d’imaginer que ce formidable afflux de plus de 100 millions de colis sera digéré en une semaine chrono.
A l’origine de cet incroyable happening commercial dépassant le Cyber Monday américain, il y a Jack Ma, un entrepreneur privé âgé aujourd’hui de 48 ans et jusqu’en mai dernier CEO de l’empire qu’il a créé en moins de 15 ans. Il peut bien se consacrer désormais à sa passion du tai-chi. Son groupe Alibaba et ses deux marques phares, TaoBao et T-Mall, trustent le marché du e-commerce chinois et en révèlent toutes les spécificités.
Des installations dignes de la Silicon Valley
Le siège social du groupe Alibaba témoigne à lui seul de la force de frappe de cette machine de guerre. Installé depuis peu à 200 kms au sud ouest de Shanghai dans la cité historique de Hangzou, 11 millions d’habitants, de gigantesques embouteillages, des barres d’immeubles à perte de vue et des programmes résidentiels à foison, le QG d’Alibaba ressemble moins à la caverne éponyme qu’à un immense campus à l’américaine, avec ses six corps de bâtiments, bientôt huit, son esplanade de la Défense et ses 12.000 collaborateurs. Rappelons que l’ensemble du groupe emploie quelque 24.000 personnes, principalement en Asie et de plus en plus aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.
Une fois franchi trois barrages de sécurité dignes du Pentagone, traversé des couloirs à la déco colorée semblables aux sociétés iconiques de la Silicon Valley, nous retrouvons Janet Wang, la responsable du développement international pour Tmall. Janet, une jeune taiwanaise aux allures de Lara Croft du e-commerce, déroule dans un discours implacable et à grand renfort de courbes et de statistiques, les raisons du succès du groupe, qui intègre également une société de paiement en ligne, Alipay, des services de cloud computing, un moteur de recherche pour le magasinage et eTao.com, un moteur de recherche dédié au shopping.
Comme toutes les success stories, la saga d’Alibaba s’est construite autour d’une idée simple: créer une plate-forme de commerce B2B pour les petites entreprises chinoises et étrangères. Nous sommes en 1999. Quatorze ans plus tard, Alibaba.com orchestre les échanges de produits entre des entreprises de plus de 200 pays. Le « sésame » a fonctionné. On ne se lasse pas d’entendre comment Jack Ma a trouvé le nom de sa compagnie depuis un coffee shop de San Francisco et en se livrant sur le champ à un mini sondage auprès de passants cosmopolites pour valider son intuition. « Alibaba, un nom facile à prononcer partout dans le monde et un petit commerçant sympathique qui a aidé son village ». Au point que le futur tycoon chinois s’était empressé de déposer aussi le nom d’Alimama, au cas où quelqu’un souhaiterait les marier.
Ali Baba et ses petits
Revenons aux deux paquebots du groupe, TaoBao.com « chasse au trésor » dans le texte, autrement dit le e-Bay local avec ses 50.000 transactions par minute (50% des colis envoyés en Chine sont des colis TaoBao) et Tmall.com, l’Amazone chinois lancé en avril 2008. Ce site BtoC est devenu la première destination de shopping en ligne avec 60% de parts de marché. 700 millions de consommateurs chinois se sont déjà connectés sur le site.
Ce succès phénoménal s’explique en partie par l’extrême fragmentation du paysage médiatique et digital local (plus de 450 chaines TV) qui rend difficile l’émergence d’une marque, même de niveau international. Le groupe américain Neiman Marcus vient d’en faire la cruelle expérience et a annoncé la fermeture de son site internet après avoir tenté l’aventure en solitaire. Ajoutez à cela que l’acheteur chinois déteste sauter de site en site et vous aurez compris pourquoi Tmall.com est le passage obligé des marques internationales. L’Oréal, Adidas, Unilever, Gap, Ray-Ban ou Lacoste pour ne parler que d’elles y ont leur « flagship vitrine » parmi les « malls » organisés selon les familles de produits.
Pour entrer dans cette galerie marchande virtuelle tournée vers les biens « tendance » et la mode d’avant-garde, la procédure d’admission se fait à la vitesse éclair de 14 jours maximum. Une fois le pas de porte acheté (7.000 euros env.), le site ponctionne une commission de 1 à 5% des ventes selon la catégorie de produits, plus 0,5% au titre du programme de fidélisation. Chaque marque reste libre de monter ses propres opérations marketing. Tmall prodigue des conseils pour booster les ventes et éjecte les corners n’atteignant pas un certain niveau de transactions minimum. Ses trois critères de notation sont clairs : la qualité du service client, de la livraison et l’adéquation entre les produits et la pub qui en est faite.
Pourtant, tout n’est pas parfait sur Tmall.com. De nombreuses marques de luxe notamment, soucieuses de faire monter leur référencement s’estiment prisonnières de la plate-forme, elles redoutent également la divulgation des données clients et craignent d’écorner leur image en acceptant des conditions commerciales strictes, des prix revus à la baisse, l’usage des promotions et donc un choix d’articles plus restreint.
Ce ne sont pas ces quelques réserves qui peuvent freiner la croissance explosive de Tmall et du groupe Alibaba. Après avoir séduit les consommateurs chinois et les marques, le géant fait rêver les marchés boursiers. Londres et New-York se dispute en coulisses sa prochaine entrée en bourse et ses 60 milliards de valorisation, qui la placerait parmi les plus grosses introductions boursières de ces dernières années.
Franck Perrier / @franckperrier, fondateur et directeur général de l’agence digitale IDAOS et de la Digital Academy.
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