3 février 2021

Temps de lecture : 4 min

Le diable s’habille en VINTED

J’ouvre les yeux, et je m’aperçois devant mon miroir flambant vieux (80’s, chiné à la Braderie de Lille), qu’ils sont devenus 2 billes de naphtaline qui me chuchotent à l’oreille que c’était mieux avant. Avant me dit à son tour que ce ne sera pas mieux demain, et Demain, lui, se tait (il en a assez qu’on décide à sa place de son avenir). Silence. Un ange passe.

Il est habillé en Gucci, sneaker Nike Dunk et sac Hobo Prada d’occase (les must-have de la seconde main 2020 selon Vestiaire Collective) : ça m’inspire. Je plonge dans mon vestiaire à moi où ça se bouscule pas mal. Les pieds-de-poules se prennent le bec, le tartan me fait de l’œil, le Prince de Galle me fait du pied-de-poule… Comme chaque matin ça tourne en rond. Ce sera T-shirt blanc H&M et Jean Uniqlo. Comme d’hab. TROP.Parce qu’en fait je ne tourne (en rond) qu’avec 15 tenues, alors que mon dressing m’en propose inlassablement 40 chaque matin.

L’ange repasse en me criant en effet que « 70% de ta garde-robe n’est pas portée » (il l’a lu sur le Huffington Post) et disparait en enfonçant une porte ouverte : on accumule tant et tant de fringues qu’on ne sait plus quoi en faire.

VINTED.

Cette plate-forme, inventée par les lituaniens Milda Mitkute et Justas Janauskas en 2008, part justement de ce constat : ce volume impensable de fringues qu’ils ne portaient plus (des T-Shirt qu’il ne se souvenaient même pas avoir achetés). Ils ont décidé de créer un système d’échange entre copains voisins. Malin. Le monde étant ce qu’il est (petit), nous sommes aujourd’hui 21 millions de voisins (dont 8 millions Français) utilisant Vinted dans 11 pays européens, plus les États-Unis. Pour 1,3 millards d’euros de CA prévu en 2019. Mirobolant. MIAM. Un succès si appétissant que tout le monde y va de sa plate-forme seconde main : Camaïeux, Cyrillus, Darty, Weston, Kiabi, Cdiscount, La redoute (avec La Reboucle), OKAIDI & son troc, Petit Bateau, Décathlon… On ne compte plus les initiatives d’occase. Une manne juteuse qui redore l’image des marques en la verdissant. On estime qu’en 2028, le marché de la seconde main dépassera, en volume celui de la fast fashion (source). Et sur les 40% de Français qui auraient déjà acheté des vêtements d’occasion en 2019, la moitié a eu recours à Vinted. (source france info de Institut Français de la mode x FEVAD). Est-ce une bonne nouvelle ?

VERTUEUX…

La seconde main, ça fait partie du passé ET de l’avenir : notre présent est tout simplement en train de s’en souvenir. On ne produit pas de nouvelle matière, on allège notre poids sur l’utilisation des ressources naturelles (fabriquer un tee-shirt nécessite l’équivalent de 70 douches et un jean, 285), on transforme un déchet en ressource tout en générant de la richesse économique. Bref : c’est super.

… MAIS VICIEUX

Ça fait tellement de bien (ou c’est tellement pas cher, selon sa motivation à utiliser Vinted) qu’on a tendance à redoubler d’efforts. Comme «en plus, ça fait du bien à la planète», on reproduit voire intensifie notre boulimie d’achat #déculpabilisation. Ces baskets Common Project à seulement 60€: j’en ai 4 paires, mais pas «tout à fait les mêmes». J’achète. Est-ce la circularité ou l’achat à pas cher qui motive les utilisateurs Vinted ? Est-ce que son caractère vertueux, qui peut devenir une bonne excuse à acheter, n’aurait pas desservi son but : une consommation plus raisonnée ? Est-ce que son modèle n’aurait pas été dévoyé par nos mauvaises habitudes : « de toute manière, je le revendrai sur Vinted » ? L’arrivée de Thomas Platenga aux commandes de la fripe en ligne, en 2016, avec ses méthodes d’incitation reprises des sites e-commerces, aurait-elle rendu Vinted un épouvantail à € et à bonne conscience ? En outre, Vinted ne géolocalise pas l’achat : les articles arrivent donc de parfois très loin, générant beaucoup de transports. Enfin, cette économie de la seconde main fait main basse sur des articles autrefois donnés aux associations comme Emmaüs.

PAREIL.

Avec Vinted, ou autre, on fait finalement pareil. Nos dressing débordent tout autant d’occase que de fast fashion (qui sont parfois les deux). Tant que l’industrie continuera à sur-produire, à nous biaiser pour que l’on achète toujours plus (comme ASOS par exemple qui permet de ne payer qu’au moment de la réception de la marchandise), tant que nous, consommateurs, ne modifieront pas notre comportement naturel d’accumuler (acheter, comme les études le disent : ça rassure, ça procure du plaisir, ça rend heureux, et ça apaise nos tensions) il est normal que le marché de la seconde main croisse autant. Quand on achète trop, on revend beaucoup. Le fait que la seconde main surpasse la première main en 2028 est une bonne nouvelle, mais à condition que le neuf diminue ses volumes… ce qui n’est pas tout à fait prévu.

LE DIABLE.

Des voix critiquant le bien-fondé de Vinted ont fleuri sur internet. C’est vrai : certaines pratiques sont largement discutables, de la part de la marque comme des utilisateurs : ces «conso-marchandes» comme les appelle Élodie Juge, ingénieure recherche pour la chair Trend(s) qui analyse depuis 2013 le comportement des pratiquantes les plus assidues de Vinted qui l’utilisent comme une source de revenu, et non comme une ressource plus vertueuse. Mais nous, chez Hyssop, serions plus nuancés. Le diable que nous évoquons n’est pas Vinted : ce sont nos habitudes, nos pulsions, notre culture de la possession. Vinted n’est pas innocent, mais nous ne sommes pas non plus à sa merci. On peut toujours décider.

LE BON SENS.

Renouons avec un peu plus de bon sens. Nous, consommateurs, comme Vinted, qui pourrait revoir un tantinet son business model pour retrouver la raison pour laquelle il est né : faire du vide dans son dressing, tout en préservant la planète. Refuser de croître : est-ce si insensé ? Tout comme Craigslist (le LeBonCoin américain qui a refusé de se moderniser, de se pervertir). Tout dépend quelle logique on adopte. Je vais personnellement terminer cet article en allant donner à Emmaüs Défi ces baskets Common Project achetées à seulement 60€.

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