Dans la Mecque de l’image et du storytelling, le contenu créatif n’a jamais autant rapproché la pub de l’art. Restée longtemps dans l’ombre de New York, prise au piège des préjugés véhiculés par sa tendance futile à la starification, Los Angeles est aujourd’hui le nec plus ultra de la création de contenu. Entretien avec Karen Costello, de Deutsch L.A.
La pub change et c’est à L.A qu’elle épouse les nouvelles technologies et le digital pour dessiner son futur. Auto-estampillée capitale mondiale du divertissement, la mégalopole californienne est devenue en cinq ans un hub de la créativité artistique et publicitaire. Pour bien comprendre pourquoi et comment le label « made in L.A » est devenu aussi puissant et courtisé, au point de dessiner les contours de la pub de demain, INfluencia consacre une série à la créativité « des anges « . Troisième volet aujourd’hui, en marge des Cannes Lions 2015, avec Karen Costello, EVP et Executive Creative Director Deutsch L.A.
INfluencia : la narration est aujourd’hui primordiale dans la pub. Los Angeles est-elle devenue la meilleure scène mondiale pour raconter des histoires ?
Karen Costello : je crois que la narration est en effet extrêmement importante. Dans notre agence -et je suppose dans le monde de la pub généralement- nous partons toujours de la perspective humaine du consommateur et de la vision de la marque pour laquelle nous travaillons. C’est cela qu’une agence peut apporter au monde du storytelling. L.A apporte, en plus, une énergie créative qui vient du monde du cinéma, qui se marie avec la créativité de la « tech » et des autres acteurs créatifs : quand vous mélangez tout cela, vous obtenez un apport en créativité énorme qui évidemment sert la narration. Les agences de Los Angeles font du tellement bon boulot de création de contenu que certaines entreprises comme Google et Facebook viennent recruter ici.
INfluencia : est-il difficile de s’atteler à la création de contenu alors qu’il faut également se concentrer sur les différents médias par lesquels il va être diffusé ?
Karen Costello : tout passe par l’observation du comportement humain. Nous réfléchissons à comment le consommateur agit sur les différents médias pour adapter ou non le contenu. Parfois, il est nécessaire de créer quelque chose de totalement différent pour chaque média, parfois non.
INfluencia : comment vous ajustez-vous à la co-création, entre les agences et les consommateurs ?
Karen Costello : cela dépend vraiment de la marque. Les statistiques démographiques de Taco Bell ne sont pas les mêmes que celles de Target, et ces deux marques sont aussi très différentes l’une que l’autre. Target veut garder un certain pouvoir sur son design et choisit de faire certaines actions de co-création par ci, par là. Leurs segments démographiques sont d’accord avec cela. L’UGC n’en est qu’à son début et cela va devenir de plus en plus énorme. Target a compris, par exemple, que les collégiens écoutaient davantage YouTube que leurs pubs qui devaient donc être davantage mises au second plan face à ce segment.
INfluencia : peut-on dire qu’il existe aujourd’hui un label « made in L.A » dans le contenu publicitaire ?
Karen Costello : c’est une question très intéressante, à laquelle il n’est pas facile de répondre… Je dirais qu’ici, en comparaison avec les autres villes où j’ai travaillé, je perçois une sensation de « melting pot » ethnique que bizarrement j’éprouvais moins à New York. L’influence hispanique est énorme, il y a cette culture bilingue qui est maintenant totalement intégrée. Je ne sais pas si c’est suffisant pour parler de label mais peut-être que si on le mélange à la « tech » et au contenu, on pourrait parler de label dans quelques années.
INfluencia : existe-il un potentiel pour la pub à Hollywood ?
Karen Costello : il y a clairement quelque chose autour de la densité unique de talents à L.A. Quand on pense à comment CAA (le mastodonte hollywoodien de la représentation de talents, ndlr) est rentré dans le jeu du contenu, c’est révélateur d’une tendance solide. Les talents des start-up, des réseaux sociaux ou des boîtes de contenu passent aussi par les agences et amènent leur expérience. Les gens qui arrivent à L.A apprécient la qualité de vie, ils ne veulent plus bouger et contribuent à la consolidation d’une scène créative exceptionnelle. Nous mêmes avons engagé des gens qui avaient écrit des séries pour Fox, des comédiens de stand up, des anciens employés de CAA et vice-versa. Il existe un réel jumelage entre ces différents métiers et ça, c’est typique de Los Angeles. Nous comprenons tous que nous jouons dans la même cour et que nous avons besoin d’intégrer le même genre de démarche créative, que ce soit dans la musique, le cinéma ou la publicité. Je pense que L.A est l’épicentre de ce changement et que cela peut nous donner un avantage face à une agence de New York ou d’ailleurs. Le réservoir de talents n’a jamais été aussi grand. Entre autres parce que les gens qui arrivent ici viennent d’horizons complètement différents mais ont tous leur place : nous avons besoin de ces différentes démarches et visions dans la publicité d’aujourd’hui, qui n’est plus du tout une industrie unidimensionnelle.
INfluencia : Deutsch pourrait-il carrément devenir à terme un concurrent de Paramount ?
Karen Costello : je suis très enthousiaste devant le changement qui est en train de se dérouler dans les agences, surtout dans la nôtre. Nous avons maintenant à notre disposition des outils de production, d’impression 3D, de musique et d’animation visuelle. Nous nous sommes dotés de toutes les armes de l’industrie du cinéma avec, en plus, l’avantage de savoir comment analyser le comportement humain : nous savons ce que les consommateurs veulent. Donc oui, nous pouvons devenir un distributeur de contenu dans des domaines différents.
INfluencia : quels outils utilisez-vous pour mieux connaître ce que veulent vraiment les consommateurs ?
Karen Costello : le désir du consommateur n’est pas une science exacte ! Nous utilisons beaucoup d’outils différents, en espérant que notre analyse est la plus proche possible de la réalité. On fait énormément d’écoute sociale, c’est-à-dire observer et faire réagir les consommateurs sur les réseaux sociaux, qui sont un levier bien plus efficace et précis que les groupes de sondage que nous organisions auparavant. Par exemple, on sait qu’ils aiment vraiment les chats simplement en voyant le nombre de vues sur YouTube. Mais il faut aussi se déplacer et les rencontrer en face, sans omettre d’aller voir à l’intérieur du pays. On oublie souvent que ceux qui vivent dans le Nebraska n’agissent pas comme ceux habitant sur les côtes.
INfluencia : pensez-vous que le mot « authentique » est trop banalisé aujourd’hui par les dirigeants et créatifs des agences ?
Karen Costello : complètement ! Il est souvent utilisé pour juste vouloir dire « pertinent pour la cible » en opposition au bla bla. On peut juste faire une bonne publicité qui apprend quelque chose ou même simplement qui divertit le consommateur, ce qui est très bien. Mais ce contenu ne devrait pas être classé comme authentique.
Retrouvez ici le premier et le deuxième volets de cette série