12 mai 2025

Temps de lecture : 4 min

Des médias de masse aux médias communautaires

En une génération de journalistes, les médias ont basculé d’un modèle d’offre à un modèle de demande, bouleversant leur rôle, leur forme et notre relation à l’information, au cœur d'une transformation profonde analysée lors des précédents épisodes de cette série Médiamorphose.

Bienvenue dans l’ère de la Médiamorphose 

Les médias se transforment, nos rapports à l’information aussi. À l’ère de la défiance et de la surconsommation frénétique, Médiamorphose s’ouvre pour explorer les nouvelles règles médiatiques à travers une série de plusieurs articles pour décrypter ces bouleversements et mieux comprendre leurs conséquences, et un événement organisé par INfluencia Media Event le 21 mai 2025 au George V à Paris. Un rendez-vous pour penser la métamorphose en cours.

En partenariat avec l’agence UM et MédiaFigaro

Le constat posé dans nos précédents épisodes faisait état de la grande transformation de la notion de média, à la fois dans leur physionomie et leur mission. Une transformation qui impacte la relation même que nous entretenons avec eux mais aussi la nature de l’information qu’ils transmettent. Mais la plus grande révolution à intégrer reste sans doute que les médias sont passés, en une génération de journalistes, d’un marché de l’offre à celui de la demande.

Au-delà de la question de la qualité, du canal ou du budget de production, un média est avant tout une promesse. Et c’est sur cette promesse que s’établi désormais la relation avec le public. Qu’on le veuille ou non, l’information est, dans ce contexte, un bien de consommation doté de sa propre proposition de valeur, sa concurrence et ses parts de marché à conquérir dans une économie de l’attention désormais en tension. Dans cet univers d’information liquide, le besoin de métabolisation de l’information s’avère plus que jamais nécessaire. L’infobésité, l’éclatement des médias et la difficulté à s’orienter dans un univers de contenu composite a pour conséquence une recherche de « valeur refuge » qui voit l’émergence de nouveaux médias « compagnons », dotés d’une promesse éditoriale affinitaire.

Retour vers les valeurs refuge

Ce besoin de repères conduit aujourd’hui à une forte créativité éditoriale et un renouveau des modèles de médias libres et indépendants. Le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) rendait compte, à la dernière pesée, de 270 titres adhérents et est désormais le premier syndicat d’éditeurs de presse en nombre d’adhérents. « Il existe en France tout un écosystème de médias indépendants qui rencontrent un public de plus en plus large. Leur existence est loin d’être anecdotique ; elle signifie bien qu’il existe une demande forte pour une autre façon de faire de l’information » témoignait récemment la journaliste Paloma Moritz[1] dans le journal Le Monde. Dans ce sillage, un nombre conséquent de nouveaux titres renouvellent le journalisme d’investigation, invente de nouveaux formats vidéo ou audio, revivifie le direct et le terrain, réinterroge la fabrication des politiques publiques, revigore la presse locale et l’information de proximité, explore de nouveaux champs d’information comme l’écologie, les mouvements sociaux ou les transformations de la société.

Le média : un lien social ?

Ces médias de niches, parfois ouvertement militants ou plus simplement consacrés à des verticales culturelles ou sportives, sont toujours porteurs de convictions qui leurs permettent de réactiver un lien direct avec ses audiences et prétendre à un modèle économique payant, que ce soit par l’abonnement, le préfinancement, les plateformes de crowdfunding ou le soutien volontaire de leur public. Or, dans un monde de profusion et de gratuité, payer pour un média est déjà l’expression d’une forme d’engagement et de désir d’appartenance. Ces médias indépendants ne s’adressent pas à un public ou une audience, mais à des communautés constituées prêtes à s’engager derrière des idées. « L’information est un levier de sociabilisation », rappelle Cyrille Frank, consultant et formateur media pour Mediaculture. Ce qu’on prend pour le rejet des médias est en fait, bien plus souvent, l’affirmation d’appartenance à une communauté et la recherche d’un lien social qui va bien au-delà des opinions politiques. Une position qui peut toutefois se révéler à double tranchant. Pour le journaliste Nicolas Becquet, « affirmer son identité, c’est d’une certaine manière discriminer les audiences ».

Des tensions à résoudre

Reste à savoir si cette sollicitation de la fibre communautaire du lectorat s’avère suffisante pour assurer une stabilité économique durable à ces médias. Car défendre des idées, c’est aussi faire le choix de ne pas plaire à tout le monde. Et donc de se détourner d’une partie de la population. Une base de la réflexion éditoriale qui se heurte au mur de la rentabilité dans un univers majoritairement numérique où, rappelons-le, la valeur est surtout captée par les plateformes. Les médias évoluent par conséquent sur une ligne de crête difficile à tenir. Ils doivent s’imposer en tant que marque dans un univers de zapping. Apporter de la probité dans un monde d’entertainment. Rester objectif face à une demande d’incarnation. S’engager sans ostraciser. Agir pour la collectivité à une époque de personnalisation de l’information. Éduquer en restant accessible. Garantir la qualité de l’information dans un modèle de gratuité. Produire dans une ambiance de fatigue informationnelle. Ils doivent surtout déterminer s’ils sont encore en capacité de créer une culture commune ou si, au contraire, ils sont devenus un instrument identitaire et de fragmentation des opinions, dont ils seraient à la fois les témoins et les acteurs. Un paradoxe de plus qui s’ajoute à la liste et rejaillit sur la société entière. Une fois de plus, ce sera surtout au public d’être en capacité de faire la part des choses et de recréer des liens solides avec le monde des médias.

Épisodes précédents de la série Médiamorphose :

Nouvelles relations aux médias : entre désordre et confusion

Les médias, marqueurs de générations ?

Nouveaux médias : mélange des genres ?


[1] Paloma Moritz, journaliste : « Les médias indépendants rencontrent un public de plus en plus large » – Le Monde – 11 mars 2025 –

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