22 mai 2024

Temps de lecture : 3 min

« Depuis 150 ans, la publicité fait vivre la presse d’information »

Sans la pub, pas de journaux et sans journaux, pas de démocratie. La thèse d’Etienne Gernelle doit ravir les annonceurs. Le directeur de l’hebdomadaire Le Point nous a expliqué le fonds de sa pensée lors du colloque, « Démocratie, information et publicité » organisé par l’UDECAM et l’ACPM en collaboration avec INfluencia, à la Sorbonne Université, le 23 avril 2024.

Etienne Gernelle est connu pour avoir des idées bien arrêtées sur un grand nombre de sujets. Lorsqu’on lui demande quel est le rôle de la publicité dans la presse, une date lui revient immédiatement à l’esprit : le 13 janvier 1898. Ce jour-là paraissait dans le quotidien L’Aurore, le fameux « J’accuse…! » d’Émile Zola. Véritable tournant de l’affaire Dreyfus, cet article défiait ainsi l’opinion majoritaire et, surtout, l’appareil d’État. « Tout le monde, ou presque, a en tête la première page de ce numéro avec sa célébrissime manchette, et le papier de Zola, qui s’étalait sur six colonnes, nous explique le directeur de l’hebdomadaire Le Point. Pas grand monde, en revanche, n’est allé voir ce qui se trouvait derrière. La dernière page était pleine de publicités ! Et qu’y vendait-on ? Un peu d’immobilier, les taux d’intérêt des dépôts au Crédit Lyonnais, les « meubles neufs et anciens, bronzes et vins fins » proposés par les Docks de Paris, un élixir nommé  « sirop de Blayn »  censé soigner rhumes et grippes, et, encore plus douteux, les « pilules du docteur Lancelot« … Le journal coûtait 5 centimes à l’achat, la ligne de publicité, 1,50 franc. Nul doute que l’espace commercial de la dernière page participait significativement à ce que l’on appellerait aujourd’hui le « modèle économique » du journal. On peut donc dire : pas de publicité, pas de Zola. C’est une réalité. » Pour cet ancien journaliste qui a travaillé à Libération et au… Figaro, Émile de Girardin est le premier à avoir introduit massivement la publicité dans un journal tout en réduisant le prix de l’abonnement pour en augmenter la diffusion. Le patron de La Presse décrivait ainsi sa stratégie en 1838 : « En France, l’industrie du journalisme repose sur une base essentiellement fausse, c’est-à-dire plus sur les abonnements que sur les annonces. Il serait désirable que ce fût le contraire. Les rédacteurs d’un journal ont d’autant moins de liberté de s’expression lorsque son existence est plus directement soumise au despotisme étroit de l’abonné, qui permet rarement qu’on s’écarte de ce qu’il s’est habitué à considérer comme des articles de foi. »  Fermez le banc…

Père fondateur de la publicité

« Le génial Girardin, n’en déplaise aux Torquemada antipublicité, fut l’un des principaux artisans de notre liberté d’expression, vante Etienne Gernelle. Pas seulement comme patron de presse, mais aussi comme acteur du débat politique. Il prônait une liberté maximale, à la manière du free speech instauré aux Etats-Unis par le premier amendement de la Constitution (1791). Finalement, la loi qui nous garantit encore aujourd’hui cette liberté, celle du 29 juillet 1881, fut le fruit d’un compromis entre les plus libéraux, comme Girardin, et les conservateurs, qui entendaient maintenir un certain niveau de contrôle. Mais c’est à Girardin, autorité morale incontestée, que fut confiée la présidence de la commission de préparation de la loi. Celui-ci demeurera donc – à la fois – comme un père fondateur de la publicité et de notre liberté d’expression ! »

Créons des critères démocratiques dans l’ESR

Le successeur de Franz-Olivier Giesbert à la direction du Point reconnaît qu’il existe de formidables journaux sans publicité, dont Le Canard enchaîné et Charlie Hebdo mais il reprend aussi à son compte la citation de Michel Audiard qui précise qu’il existe également des poissons volants mais que cette espèce ne constitue pas la majorité du genre. Sans publicité, la presse d’information va disparaître et les dernières élections aux Etats-Unis ont montré que Donald Trump avait obtenu ses meilleurs scores dans des Etats où le plus de journaux avaient cessé de paraître. De plus en plus de dirigeants tentent de museler la presse. Vladimir Poutine et Recep Erdoğan en sont des exemples parfaits. Pour éviter cette glissade dangereuse vers le totalitarisme et l’obscurantisme, Etienne Gernelle propose une idée toute simple : « Introduisons dans les critères ESR qui sont aujourd’hui surtout environnementaux et sociaux un critère… démocratique, conclut le journaliste. Ce critère, c’est la presse d’information. Un célèbre polémiste disait : « Un puritain est une personne qui a la hantise de voir quelqu’un, quelque part heureux ». Ma réponse est simple. Battons-nous ensemble et soyons heureux ensemble.»

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