21 décembre 2023

Temps de lecture : 3 min

Comment s’opère la désinformation sur Twitter. Le décryptage de David Chavalarias, directeur de recherches au CNRS.

Comment et pourquoi le sujet du réchauffement climatique est-il devenu l’objet de campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux ? En s’appuyant sur le réseau social Twitter, désormais nommé X, le mathématicien et directeur de recherche au CNRS David Chavalarias émet une hypothèse troublante et pertinente à la fois. Par ici ses explications.

Depuis 2016, ce sont ainsi près d’un demi-milliard d’échanges qui ont été enregistrés et analysés.

Pour cela, il s’appuie sur le Climatoscope, un observatoire développé au CNRS depuis 2016 pour analyser les échanges en français et en anglais sur Twitter à propos du réchauffement climatique. Ceux-ci représentent “entre 500 000 et 2 millions de tweets par semaine” affirme-t-il. Depuis 2016, ce sont ainsi près d’un demi-milliard d’échanges qui ont été enregistrés et analysés.

De quoi distinguer plusieurs communautés, entre comptes “pro-climat”, « techno-solutionnistes », “climato-dénialistes” et “climato-sceptiques”. “Chaque groupe est composé de sous-ensembles de communautés qui sont soit régionales, soit idéologiques”, précise le chercheur, qui tente une analogie : “c’est un petit peu comme si on observait une grande cour d’école, dans laquelle on voit les copains qui se retrouvent toujours à la récré.”

Dans cette “cour d’école”, les comptes “climato-dénialistes” ont plusieurs spécificités : “ils sont suractifs, c’est-à-dire qu’ils vont beaucoup plus tweeter que les autres en moyenne. Ils vont avoir une grande longévité, avec une présence depuis longtemps sur le réseau.” Autre particularité : “ils ont une multi-expertise ‘inauthentique’”, c’est-à-dire qu’à la différence des pro-climat qui vont rester dans leurs domaines d’expertise, les “climato-dénialistes” parlent de tous les sujets.

Discours incohérents et comportements toxiques

On peut repérer de l’incohérence dans les discours, c’est-à-dire qu’un même compte va dire un jour qu’il n’y a pas de réchauffement climatique, un mois plus tard qu’il y en a mais qu’il n’est pas dû à l’Homme, deux mois plus tard que l’Homme en est responsable mais qu’on ne peut rien y faire, donc toutes les mesures ne servent à rien, etc.”

Enfin, “quand on analyse le discours de ces climato-sceptiques, on observe qu’ils sont beaucoup plus toxiques que les autres : ils utilisent plus d’injures, plus d’attaques personnelles. C’est vraiment une manière de s’exprimer qui est très spécifique.”

2022, année de rupture: la proportion moyenne de “climatodénialistes” augmente fortement, dans la foulée du rachat de la plateforme par Elon Musk…

Pour le chercheur, l’été 2022 marque une vraie rupture. Depuis juillet 2022, il observe en effet que la proportion moyenne de “climatodénialistes” augmente fortement, dans la foulée du rachat de la plateforme par Elon Musk. “Il y a eu un effondrement de la participation des pro-climat sur ce réseau”, observe-t-il, même s’il attribue aussi cette rupture à une convergence d’autres événements, comme la guerre en Ukraine, la tenue de la COP27 ou la vague de phénomène climatiques extrêmes.

Autre fait saillant : en moyenne, “un quart à un tiers” des utilisateurs de Twitter y parlaient du climat jusqu’en 2022. Un chiffre qui a désormais dépassé les 50%. En France, il note une augmentation de 8% du nombre de compte “dénialistes” cette année-là, “ce qui est énorme”, avec une corrélation forte entre comptes antivax et climato-dénialistes. “La pandémie a créé un terrain très, très favorable à toutes les théories de remise en cause du système et au complotisme”, explique le chercheur.

comment s’opère la planification de la désinformation ? en décidant par exemple que tous les lundis, pendant deux mois, on va dire que le CO2, c’est bon pour les plantes”

L’étude apporte également d’autres enseignements, comme la mise en évidence de stratégies de planification de la désinformation (“par exemple, tous les lundis, pendant deux mois, on va dire que le CO2, c’est bon pour les plantes”) ou la pratique de l’astroturfing (“c’est-à-dire l’amplification artificielle d’une présence via des robots ou des personnes payées pour poster certains contenus”).

L’intérêt de ces pratiques ? Rentrer dans les tendances Twitter et sortir de la bulle des climato-sceptiques. Une manière de voir ses contenus “recommandés à l’ensemble des utilisateurs Twitter” et donc de toucher d’un coup “plusieurs millions de comptes”, quand la “chambre d’écho” de ce type de compte va plutôt être limitée à quelques dizaines de milliers d’interlocuteurs déjà convaincus. “Par ailleurs, vous attirez l’attention des journalistes qui vont éventuellement reprendre la nouvelle par la suite” ajoute David Chavalarias.

Le climat, nouveau front de division

Mais à qui profite le crime ? Pour en avoir une idée, le chercheur et son équipe ont analysé un compte particulièrement actif. “Quand vous regardez son historique, vous voyez qu’avant d’être climato-sceptique et de ne parler que du climat, il était biostatisticien, il ne parlait que des vaccins, avec un petit passage ici où il a commencé à relayer la propagande russe.” Au passage, le mathématicien note que “60% des comptes qui constituent le cœur du climatodénalisme ont relayé de la propagande russe.

De quoi l’amener à conclure, tout en restant prudent, faute de preuves plus probantes, qu’il y a peut-être derrière tout cela le spectre d’une guerre hybride avec la Russie ». On sait que le Kremlin est spécialiste de la désinformation, avec un méta-narratif qu’on a pu observer avec les gilets jaunes, la pandémie et sur le climat, marqué par une opposition élite-peuple”. Et d’ajouter : “le sujet du réchauffement climatique est devenu un terrain de clivage. C’est un nouveau front de division et de décohésion sociale, en France et au niveau mondial.”

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