23 février 2022

Temps de lecture : 3 min

David Irle (Aladir Conseil) : « Aucune loi ne pénalise l’éco-blanchiment »

David Irle se définit comme un éco-conseiller du secteur culturel et événementiel. Après une dizaine d’années en agence régionale de diffusion où il accompagnait des équipes de spectacle vivant dans leur développement, cet entrepreneur a ressenti le besoin en 2015 de faire une coupure et de se former aux questions environnementales avec une expertise sur la transition écologique et le changement climatique. Il conseille aujourd’hui de nombreuses structures et a récemment co-écrit aux éditions PUG et UGA un livre intitulé Décarboner la culture.

INfluencia : Depuis quand la culture et l’événementiel cherchent à réduire leurs empreintes environnementales ?

David Irle : Jusqu’à maintenant, le paradigme qui prévalait dans ces secteurs était le développement durable. Plusieurs structures ontfait bouger les lignes en particulier les festivals. Certaines ont fait beaucoup d’effort sur les questions environnementales et surtout sur les sujets sociétaux comme l’égalité femmes-hommes et l’inclusion. Avec la crise du coronavirus, le paradigme de la transition écologique a pris plus d’importance. Aujourd’hui, la question est devenue importante dans tout le secteur. Des réseaux de structures réfléchissent sur ces sujets, sans avoir encore toutes les réponses. De grandes institutions sont porteuses, comme le CNC pour le cinéma ou le CNM pour la musique. La danse et le théâtre peinent encore à concrétiser leur réflexion mais s’y intéressent fortement. Il y a aussi beaucoup à faire dans l’événementiel.

IN : Quels sont les principaux postes d’émission de l’empreinte carbone de ces secteurs ?

D. I. : Cela dépend des secteurs, voire des esthétiques. Les impacts de la musique et du cinéma sont davantage liés au numérique. L’opéra génère des impacts en conception supérieur aux Arts du cirque. Les enjeux des métiers de l’édition et du livre peuvent, eux,avoir des impacts spécifiques liés à cet objet. Mais si on devait tracer de grandes tendances, le principal impact est lié au transport et à la mobilité des personnes lors des événements. Cela représente 75% des volumes de CO2 rejetés dans l’atmosphère. Viennent ensuite l’alimentation (8% à 10%), l’énergie, la climatisation et le chauffage (5% à 10%), la conception et la logistique (5%), les outils numériques (2%), les bâtiments et équipements (2%), la communication (2%) et les déchets (1%).

IN : Comment peut-on calculer son empreinte carbone ?

D. I. : Il existe plusieurs possibilités. Les outils en ligne gratuits ont surtout un caractère informatif. Pour avoir une idée précise et réelle de ses impacts, il est préférable de passer par un cabinet spécialisé mais ces études coûtent chère puisqu’il faut compter sur un budget compris entre 10.000 et 15.000 euros.

IN : Beaucoup de critiques contestent la véracité de ces bilans carbone…

D. I. : Oui et ce pour une raison très simple : les résultats qu’ils découvrent en lisant leur bilan ne les arrangent pas. Beaucoup préfèrent cacher la vérité sous le tapis ou la dissimuler en faisant des comparaisons trompeuses. Les organisateurs des JO de Paris en 2024 promettent ainsi de réduire leurs émissions par rapport aux JO de Rio mais cette édition avait été une des pires en matière environnementale. Paris affirme ainsi s’engager pour le climat mais leur objectif est de limiter leurs émissions à 1,5 million de tonnes d’eqCO2. Quand on sait qu’une tonne de CO2, équivaut à plus de 5000 km en voiture, on a une idée de l’impact de cette compétition sur l’environnement… C’est assez catastrophique.

IN : La pandémie a contraint de nombreux organisateurs d’événements à privilégier le distanciel par rapport au présentiel. Ce transfert a t-il eu un impact positif pour l’environnement ?

D. I. : Une étude de l’ADEME qui a comparé les impacts environnementaux de l’édition virtuelle 2020 des Assises de l’Economie Circulaire avec l’édition présentielle de 2017 montre que le digital est quatre fois moins polluant que les événements « physiques ». La rencontre présentielle a des vertus, le numérique génère des impactsenvironnementaux mais il faut quand même mesurer que le distanciel peut être parfois un très bon outil d’atténuation des impacts.

IN : Comment changer ces « mauvaises habitudes » ?

D. I. : En pensant très tôt à la réduction de ses impacts… Si vous tentez de limiter votre bilan carbone quelques jours avant le début de votre événement ou le tournage de votre film, vous ne pourrez faire que des gestes cosmétiques. Il faut prendre en compte ses impacts dès la conception de son projet. Le spot que vous pensez filmer aux Maldives? Ne pourriez-vous pas le faire en Corse? La scène que vous souhaitez tourner au Brésil ? N’est-il pas possible d’employer une équipe locale au lieu de faire traverser l’Atlantique à vos techniciens ? Il faut changer la culture de ce secteur.

IN : Quelles peines encourent ceux qui mentent au sujet de leurs impacts environnementaux ?

D. I. : Pour l’instant, aucune… Mentir ne vous fait prendre aucun risque juridique aujourd’hui. Vous pouvez raconter absolument n’importe quoi sur le plan écologique sans être condamné à quoi que ce soit. Aucune loi ni jurisprudence ne pénalisent l’éco-blanchiment. On peut espérer que ça change, parce que la communication des entreprises est aujourd’hui majoritairement trompeuse.

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