5 mars 2024

Temps de lecture : 6 min

D’Arpanet au Web3, comment Internet a évolué – et fait évoluer nos vies

Héritier du réseau militaire et universitaire américain Arpanet, développé dès le milieu des années 1960, Internet ne s’est ouvert à des usages commerciaux que trente ans plus tard. Entre-temps, il y a eu la création de l’e-mail (1971), des groupes de discussion (1979) et, surtout, le développement décisif du Web (ou « World Wide Web ») à partir de 1989, sous l’impulsion de l’informaticien britannique Tim Berners Lee, au CERN, l’organisation européenne pour la recherche nucléaire. Un article à retrouver dans la revue 45 d’INfluencia.

D’un réseau utilisé pour connecter militaires et chercheurs à travers l’Amérique, Internet s’est progressivement ouvert au monde entier, jusqu’à devenir aujourd’hui omniprésent dans nos vies, de nos smartphones à nos ampoules connectées. Pour le meilleur et pour le pire…

 

L’Internet des débuts, un « bien public »

Si « Web » et « Internet » sont aujourd’hui deux termes interchangeables dans le langage courant, le Web n’est en fait qu’un des usages possibles d’Internet. Internet, ce « réseau des réseaux », désigne en effet avant tout l’infrastructure qui interconnecte terminaux, bases de données et réseaux informatiques. Un monde à l’origine surtout accessible aux initiés, qu’ils soient informaticiens, codeurs ou chercheurs.

« Jusqu’au début des années 1990, [les militaires et les universitaires] seuls avaient financé l’infrastructure de transport, les câbles qui traversaient les États-Unis du nord au sud et d’est en ouest. D’une certaine façon, Internet était un bien public et il n’était pas envisageable que des acteurs commerciaux s’en emparent », explique Gilles Babinet dans son ouvrage Comment les hippies, Dieu et la science ont inventé Internet (éd. Odile Jacob, 2023). Pourtant, tout change le 15 septembre 1994, après une réunion décisive à Washington qui acte l’ouverture du réseau à tous.

L’américain Netscape devient la porte d’entrée d’un nouveau monde plein de promesses : introduite en Bourse en août 1995, l’entreprise voit son cours quadrupler dans la journée.

Le Web et l’apparition du « surf »

Avec le Web sont arrivées des interfaces bien plus faciles à prendre en main par le grand public. L’apport essentiel de Tim Berners Lee est la possibilité de lier des pages entre elles grâce à des hyperliens : avec les pages Web, il devient alors possible de « naviguer » ou de « surfer » sur Internet sans taper une seule ligne de code. « Un beau jour, le Web est arrivé, et avec lui les premières images, les premiers outils de navigation à la souris, les premiers liens hypertextes », se souvient par exemple l’informaticien Laurent Chemla, cofondateur de Gandi, dans son autobiographie Confessions d’un voleur. Internet, la liberté confisquée, publiée en 2002 chez Denoël.

L’américain Netscape, avec son navigateur éponyme, devient alors la porte d’entrée de ce nouveau monde plein de promesses : introduite en Bourse en août 1995, l’entreprise voit son cours quadrupler dans la journée, atteignant une valorisation de 2,9 milliards de dollars. Le point de départ d’une nouvelle ruée vers l’or qui donnera des ailes à AOL, Yahoo!, Amazon, Google et bien d’autres.

 

La « Net euphorie », jusqu’à la fin des années 1990

Les Français, déjà familiers du Minitel, ont découvert Internet au milieu des années 1990 grâce à l’arrivée des premiers fournisseurs d’accès. « À l’époque, il n’y avait que deux fournisseurs d’accès grand public : World-NET, de Sébastien Socchard et Xavier Niel, et FranceNet, de Rafi Haladjian, lancés respectivement en avril et février 1994. Ils venaient comme moi d’une culture Minitel et facturaient à l’heure de connexion », témoigne Patrick Robin dans l’ouvrage Le Web français, histoire d’une épopée et de ses pionniers (codirigé par Sophie Bramly, Pascal Gayat et Fabien Soyez, éd. Dunod, 2023). Celui-ci créait dans leur foulée ImagiNet, le premier fournisseur d’accès à Internet (FAI) proposant en France une offre forfaitaire mensuelle.

Puis les américains AOL et Compuserve sont arrivés sur le marché hexagonal, ainsi que les français Club Internet (1995), Infonie (1995), Wanadoo (1996) ou Liberty Surf (1999)… Tous contribuent ces années-là à la démocratisation progressive du Web auprès du grand public, ce qui permet le développement des premières startups, dont Alapage, Aquarelle, LDLC, Kelkoo, Cdiscount, Rue du Commerce, Pixmania dans l’e-commerce ; Weborama, Hi-Media, AuFéminin dans les médias et la publicité, sans oublier les iFrance, Caramail ou Nomade…

Symbole de la « Net euphorie » qui anime le monde occidental à la fin des années 1990 : en dix-huit mois, Bernard Arnault investit près de 500 millions d’euros dans une cinquantaine de sociétés de la « nouvelle économie » via son fonds Europ@Web. Parmi elles, l’e-commerçant britannique Boo.com, qui connaîtra une faillite retentissante, ou la très éphémère banque en ligne ZeBank.

Facebook, créé en 2004, est emblématique d’un nouvel Internet, participatif et communautaire.

Après la bulle, le Web 2.0

La « bulle » éclate au printemps 2000, ce qui met un terme à tous ces excès. « Début 2000, la bulle Internet grossit et menace peu à peu d’éclater. Le 10 mars, le mouvement spéculatif est à son apogée. […] Trois jours plus tard, le Nasdaq plonge brutalement, tirant un trait sur cinq années de hausse. Les valeurs de la nouvelle économie chutent verticalement », développent les auteurs du Web français.

Des deux côtés de l’Atlantique, les entrepreneurs du Web rentrent alors dans un long hiver. Mais certains résistent au tarissement des financements et bénéficient de l’essor du haut débit, avec le déploiement progressif de l’ADSL, puis de la fibre. Ce sont surtout les acteurs américains qui profitent de cette nouvelle phase d’Internet qui s’ouvre alors. Celle-ci prend le nom de Web 2.0 – un terme imaginé en 2002 par Tim O’Reilly, une des figures du mouvement Open Source américain.

Facebook, créé en 2004, est emblématique de ce nouvel Internet, participatif et communautaire, mais dont la valeur est finalement monopolisée par des plateformes qui profitent à plein de l’effet de réseau, de la captation de la donnée et des logiques de rendements croissants. « Une fois les coûts fixes (le développement du code informatique principalement) amortis, la profitabilité peut être très significative, comme le montre bien le cours des actions des Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft, qui mettent largement en œuvre cette caractéristique des rendements croissants », analyse Gilles Babinet.

L’arrivée de l’iPhone en 2007 sur le marché marque le point de départ de la démocratisation de l’Internet mobile et des interfaces tactiles.

La révolution du smartphone et des applis

À partir de 2007, les cartes sont rebattues par une nouvelle révolution : celle du smartphone. L’arrivée de l’iPhone sur le marché marque en effet le point de départ de la démocratisation de l’Internet mobile et des interfaces tactiles, domaines dans lesquels Apple prend une place de choix. Avec les smartphones et la 3G, puis la 4G et la 5G, arrivent de nouveaux usages : accès au Web via des applications, développement des jeux mobiles, partage de vidéos en direct, streaming audio et vidéo, etc.

Les leaders de l’Internet fixe auraient pu y laisser des plumes, mais Google – avec le système d’exploitation Android, notamment – comme Facebook – avec le rachat d’Instagram, en particulier – sont parvenus à saisir la balle au bond. Ils ont même réussi à se renforcer encore grâce au mobile, même si de nouveaux acteurs « mobile-first » comme Snapchat, TikTok ou Uber se sont imposés dans les usages. À leurs côtés, quelques français parviennent aussi à émerger dans les appstores, à l’image de Doctolib, LeBonCoin, ou encore l’application sociale BeReal.

Résultat : quinze ans après le premier iPhone, les Français surfent 75% de leur temps sur Internet via leur mobile, selon les chiffres de Médiamétrie. Chez les jeunes de 15 à 24 ans, c’est même 93% du temps. Les applications concentrent 93% du temps passé sur mobile, avec en moyenne 9 applications utilisées par jour (contre 4 en 2017).

En parallèle, Internet est également entré dans les objets du quotidien : enceintes, ampoules, alarmes, thermostats, montres ou pèse-personnes sont de plus en plus souvent connectés. Au point que 40% des 12 ans et plus possèdent désormais au moins un objet connecté, selon l’Arcep et l’Arcom. Ce développement de l’Internet des objets est certes moins spectaculaire que ce qui était anticipé il y a quelques années, mais il pourrait connaître un renouveau avec le nouvel essor de l’intelligence artificielle, dont ChatGPT est la figure de proue.

« La critique principale qu’on pourrait faire à Internet, c’est d’avoir des cadres, des fondateurs et des dirigeants qui ne semblent pas prendre la mesure du monde qu’ils créent. »

Vers un Web3 ?

Pour autant, cette démocratisation d’Internet – et l’omniprésence de la technologie dans le quotidien qu’elle a induite – n’est pas exempte de critiques. Même si le numérique a permis le développement d’une myriade de startups et d’entreprises de toutes tailles à travers le monde, le constat est sans appel : seule une poignée de plateformes tirent pleinement les fruits de cette révolution technologique. Au point qu’aujourd’hui, leur capacité à capter et à exploiter toujours plus de données, leur volonté de se positionner à côté ou au-dessus des États, leur lutte sans merci pour accaparer l’attention des internautes et leurs pratiques souvent contestables sont de plus en plus questionnées.

Depuis les années 2010, les scandales divers – écoutes de la NSA, Cambridge Analytica, campagnes de désinformation à grande échelle, pratiques anti-concurrentielles, évasion fiscale – et les révélations de lanceurs d’alerte, comme Edward Snowden, Chelsea Manning, Tristan Harris ou Frances Haugen (entre autres) ont sérieusement écorché l’image du numérique et de ses grands acteurs. « La critique principale qu’on pourrait faire à Internet, c’est d’avoir des cadres, des fondateurs et des dirigeants qui ne semblent pas prendre la mesure du monde qu’ils créent », regrette par exemple Gilles Babinet.

En réponse, un mouvement de régulation semble s’amorcer, d’abord en Europe – avec des législations comme le RGPD, entré en vigueur en 2018, ou le Digital Service Act, adopté en 2022 – mais aussi aux États-Unis. Au même moment, de nouveaux acteurs souhaitent renverser la table en faisant la promotion d’un Internet qui se veut radicalement différent : un Web3, décentralisé, collaboratif, ouvert et supposément plus juste. Un vœu pieux ?

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