Quel langage développement durable parlent les entreprises ? L’Institut de la qualité de l’expression en a scruté 10, 5 traditionnelles et 5 dont le durable est au cœur de leur métier. Conclusion : pour rendre intéressant le développement durable, il faut le rendre authentique et plus gai. A méditer.
Après la crise Volkswagen, à la veille de la COP21, 72% des Français pensaient que les entreprises ne faisaient pas assez preuve d’authenticité (*). L’Institut de la qualité de l’expression a fait une analyse quantitative et qualitative des sites web et rapports RSE de 10 grandes entreprises : Bonduelle, Laboratoires Pierre Fabre, LVMH, Peugeot-Citroën, Société Générale, Biocoop, Chipotle, Natura Brasil, Patagonia et Tesla.
Lorsqu’on regarde Bonduelle, Pierre Fabre, LVMH, Peugeot-Citroën ou encore la Société Générale, il n’y pas de doute : la RSE est devenue un sujet clé, un enjeu stratégique des entreprises. Elles ne le nient pas : le développement responsable est présenté comme un levier de croissance à long terme et une condition sine qua non de leur pérennité. Pour continuer de conquérir et de plaire, les entreprises ont compris qu’elles doivent être légitimes. Elles mènent donc des actions responsables en cohérence avec leurs métiers : biodiversité, eau, économies d’énergies, émissions carbones, traitement des déchets. Leur RSE s’organise autour de programmes phares (VegeGo pour Bonduelle), d’indicateurs (LIFE pour LVMH), de chartes (achats, éthique), de fondations (Mobility Project pour PSA). Elle se relie toujours à une histoire, une actualité du développement durable, à des labels, à des partenariats. Le plus souvent, engagements et actes se répondent. La grande majorité de leurs actions sont consacrées à l’environnement. Mais les engagements sociaux et sociétaux sont moins nombreux : « dans notre analyse lexicale quantitative, les hommes apparaissent peu », constate Jeanne Bordeau, fondatrice de l’Institut de la qualité de l’expression.
Quant à la langue employée, elle est avant tout didactique. Les entreprises font désormais preuve de pédagogie : tableaux, encadrés, témoignages, rubriquage… Le trio infographie + image + vidéo remporte tous les suffrages. Pour raconter la durée de leurs engagements, elles utilisent des verbes concrets et conjuguent les temps de manière efficace. Mais le style reste neutre et formel : entre information brute et rapport d’expert, il ne génère aucune émotion. « Globalement, le choix des mots échappe peu à la fadeur observée dans le langage économique. On ne parle pas des hommes et des consommateurs avec naturel, on n’incarne encore que rarement l’âme de l’entreprise. On sent que les entreprises sont handicapées par le fait qu’il faut accumuler des preuves, elles sont étouffées par de nombreuses contraintes : organismes de mesure, ONG, plans de communication… Cela empêche leur parole de mobiliser », explique J. Bordeau.
Finalement, face au poids des contraintes (actionnariat, enjeux financiers, réactivité de la bourse, criblage des experts et des ONG…), les entreprises peinent à trouver le ton d’une RSE qui persuade et mobilise. « On ne sent pas encore une vision », affirme J. Bordeau. Seule Bonduelle transmet la force d’une attitude responsable transversale. « Est-ce un hasard si l’entreprise est n°1 en termes d’engagement développement durable perçu dans le baromètre Ifop » ? , s’interroge Jeanne Bordeau.
Pour Biocoop, Chipotle, Natura Brasil, Patagonia, Tesla, la situation est bien sûr quelque peu différente, puisque le durable est leur cœur de métier. Elles portent une vision disruptive de la consommation à grande échelle. Marques jeunes, à l’activité durable, elles agissent dans des écosystèmes différents : coopératives, ONG, associations de consommateurs engagés. Chez elles, engagements environnementaux, sociaux et sociétaux s’imbriquent. Activistes revendiqués, elles déploient leur engagement pour un monde meilleur tant dans leurs campagnes de publicité que leurs documents institutionnels et leurs contenus de marque. Leur RSE est à 85 % web : blogs, magazines en ligne, réseaux sociaux, webséries, serious games.
« A la fois marketing et citoyen, leur langage se fonde sur une argumentation sensible et relationnelle, étayée par un vocabulaire concret et des verbes d’action. Tout à coup, on a de la scénarisation, une manière d’être durable qui n’est pas austère. Le numérique leur donne un champ d’action plus large et collaboratif. Elles ont bien compris comment allier durable et séduction. Pour émouvoir, elles font parler leurs équipes, leurs sociétaires et leurs clients. Elles n’hésitent pas à utiliser l’humour , approuve J. Bordeau. Pour engager contre la surconsommation ou les abus des entreprises industrielles, elles utilisent une rhétorique fondée sur l’assertion. Boostée par la parole éditoriale de son PDG Elon Musk, la langue de Tesla est sobre et efficace, raccourcie à l’extrême. Sur Twitter, en 140 caractères, la marque donne les preuves de sa performance durable. Biocoop propose de passer « du côté bio de la force ». Chipotle n’hésite pas à s’incarner dans un épouvantail se battant contre les multinationales de la malbouffe. Toutes deux adoptent ainsi une langue plus vivante, dynamique, relationnelle, interactive. Avec un sens assumé de la pédagogie et du ludique, elles nous transportent dans leurs univers, et rendent le développement durable plus authentique, plus jeune et plus gai ». Bref à donner envie…
(*) Sondage Opinion Way pour Terre de Sienne, septembre 2015
Développement Durable : “Balance”, Jane Bee, 2011
Développement Durable : “Zad”, Jane Bee, 2014