27 mars 2017

Temps de lecture : 5 min

Les constructeurs automobiles ont-ils raté le virage du e-commerce ?

Plus que pour vendre des voitures, accéder au e-commerce pour les constructeurs n'est qu’une étape intermédiaire pour passer à la vente de services de mobilité sur abonnement ou ponctuellement, un domaine où la connaissance client sera clé et où les constructeurs savent qu’ils seront en concurrence frontale avec les géants du web et leurs offres de voiture autonome à la demande. Une posture à adopter dès maintenant au risque d'être disruptés.

Plus que pour vendre des voitures, accéder au e-commerce pour les constructeurs n’est qu’une étape intermédiaire pour passer à la vente de services de mobilité sur abonnement ou ponctuellement, un domaine où la connaissance client sera clé et où les constructeurs savent qu’ils seront en concurrence frontale avec les géants du web et leurs offres de voiture autonome à la demande. Une posture à adopter dès maintenant au risque d’être disruptés. 

À l’ère des voitures autonomes, alors qu’on nous explique que, demain, plus personne ne sera propriétaire de sa voiture, il y a quelque chose d’incongru à s’interroger sur l’intérêt des consommateurs pour l’achat 100 % online d’une voiture neuve. Pourtant, c’est une question très intéressante, précisément parce que le secteur automobile, en particulier les constructeurs, est jusqu’ici resté en marge du e-commerce. De fait, en 2017, alors que l’on peut acheter en ligne à peu près tout, les voitures neuves s’achètent toujours principalement dans le monde physique. Cette situation est-elle en train en de changer ? C’est ce que tend à vouloir démontrer le rapport Automotive Online Sales: The direct route to the customer de Capgemini Consulting (novembre 2016).*

Une aspiration des consommateurs, vraiment ?

Cette réserve faite, on peut difficilement prendre pour argent comptant les résultats mis en avant dans le rapport, notamment le fait qu’en 2016 près de 75 % des clients auraient la volonté d’acheter une nouvelle voiture en ligne, avec toutes les ambiguïtés que comporte la traduction de « are willing »… Disons plutôt que 72 % des personnes interrogées n’auraient rien contre l’idée d’acheter une nouvelle voiture en ligne, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.

En réalité, on n’en sait rien. Et la seule chose qu’on puisse affirmer, c’est qu’ils ne le font pas aujourd’hui, non pas parce que ce n’est pas possible, mais parce que l’achat d’une voiture neuve est un achat extrêmement engageant : que l’on soit en Chine, en Allemagne ou aux États-Unis, la voiture reste, après le logement, l’achat le plus coûteux de la plupart des ménages. Même si sa valeur symbolique tend à diminuer en Occident, on ne l’achète pas à la légère. On veut la voir, la toucher et si possible l’essayer avant de signer – et ce, qu’il s’agisse d’un achat à crédit classique, d’une location longue durée ou, comme c’est de plus en plus souvent le cas, notamment en France, d’une location avec option d’achat (LOA).

La place d’internet dans le parcours de l’acheteur

Bien sûr, le parcours du consommateur qui veut acheter une voiture neuve commence d’ores et déjà sur internet : c’est d’abord en ligne – sur les sites des constructeurs, des médias spécialisés et sur les sites d’avis de consommateurs -que l’on se renseigne et que l’on compare les prix et les caractéristiques techniques. Pour accompagner cette étape de choix décisive, pratiquement tous les constructeurs proposent des configurateurs en ligne, couplés à des simulateurs de financement. La possibilité de chatter avec un conseiller tend aussi à se généraliser.

Mais généralement le processus en ligne s’arrête là. Ensuite, muni des informations qu’il a obtenues sur la configuration désirée, le consommateur se rend dans la concession la plus proche avec 3 objectifs : voir le modèle choisi (ou un modèle approchant) de ses propres yeux et éventuellement l’essayer, ce qui n’est pas toujours possible ; discuter avec un vendeur en chair et en os pour confirmer ou modifier son choix ; et négocier le prix/le financement, démarche que tout acheteur tente avant de passer à l’acte et qui n’est tout simplement pas possible dans un processus 100% online. L’étude de Capgemini Consulting confirme que ces points sont ceux pour lesquels les consommateurs restent attachés à la finalisation de l’achat dans un point de vente physique.

L’intérêt d’un parcours 100 % online pour l’acheteur ?

Ces habitudes étant bien ancrées et l’achat d’une voiture neuve restant un événement exceptionnel, quel serait pour le consommateur l’intérêt de pouvoir tout faire en ligne ? La première réponse est, sans surprise, la possibilité d’avoir des prix plus bas – argument assez logique puisque le 100% online éliminerait a priori (mais a priori seulement) les intermédiaires entre le constructeur et le consommateur. Vient ensuite le gain de temps -avantage classiquement mis en avant dans le e-commerce, mais qui n’est pas très pertinent pour un achat qu’on ne fait pas tous les jours ; en revanche, le gain de temps dans les phases de choix préalables est réel : il est indiscutablement plus rapide de passer d’un site à un autre assis dans son canapé que d’aller visiter tous les points de vente de la région. Enfin, la possibilité de comparer -avantage un peu fallacieux, dans la mesure où cette possibilité existe déjà et concerne elle aussi la partie amont du parcours.

Ce qui est réellement en jeu pour les constructeurs

En fait, au-delà de l’espoir de la payer moins cher, le consommateur ne tient probablement pas plus que ça à acheter sa voiture en ligne. En revanche, les constructeurs ont beaucoup à gagner et c’est bien le fond de l’argumentaire de Capgemini Consulting. Il s’agit clairement pour eux de remettre en question le modèle B2B2C qui prédomine dans la distribution automobile et qui les prive de cette chose précieuse entre toutes : l’accès direct au client et à la connaissance client. Cette connaissance fine est aujourd’hui en grande partie aux mains des intermédiaires qui finalisent les transactions. Et elle devient d’autant plus stratégique qu’effectivement, la tendance sera de moins en moins à l’achat de la voiture individuelle. La généralisation de la LOA ne fait que préfigurer les formules d’abonnement à des « solutions de mobilité individuelle » incluant certes le véhicule mais surtout une panoplie de services de plus en plus étendue, épargnant tout souci à l’utilisateur. Dans le modèle qui se dessine, être en prise directe avec le client final sera d’autant plus crucial pour les constructeurs que, en échange de sa fidélité, le consommateur exigera toujours plus de flexibilité et de personnalisation. Tel est l’enjeu majeur de l’entrée des constructeurs automobile dans le e-commerce.

Cette entrée est non seulement tardive mais aussi paradoxale : dans tous les autres secteurs s’appuyant sur de solides réseaux de distribution, les marques déploient des trésors d’énergie et de technologie pour faire venir les clients dans leurs points de vente. Là, il s’agirait au contraire de court-circuiter les concessionnaires (ce qui n’ira pas sans problème, tant ils sont nombreux) et de réduire le nombre de point de vente détenus en propre, ce qui pourrait alléger les coûts de distribution mais priverait, dans un premier temps, les consommateurs d’une étape à laquelle ils sont encore attachés. Reste à convoquer à court terme l’arsenal technologique dernier cri – intelligence artificielle, simulateurs de conduite et réalité virtuelle – pour compenser cette perte d’expérience physique et réussir à vraiment vendre des voitures neuves 100% online.

Ce qu’il faut retenir, c’est que vendre des voitures n’est pas l’objectif de ce passage au e-commerce. Ce n’est qu’une étape intermédiaire pour passer à la vente de services de mobilité sur abonnement ou ponctuellement -un domaine où la connaissance client sera clé et où les constructeurs savent qu’ils seront en concurrence frontale avec les géants du web et leurs offres de voiture autonome à la demande. Vous direz que ce n’est pas pour demain… C’est exactement ce qu’ont pensé -à tort- tous les acteurs des secteurs qui ont été « disruptés ».

(*) Si nous écrivons « tend à vouloir démontrer », c’est parce que le rapport s’appuie principalement sur une étude limitée à trois pays – États-Unis, Chine et Allemagne – et une enquête auprès de 756 consommateurs, un échantillon total beaucoup trop léger pour être représentatif de trois pays aussi différents et d’une population qui avoisine 1,8 milliard d’individus (Chine = 1,375 milliard (2013) / USA = 318,9 millions (2014) / Allemagne = 80,62 millions (2013), source Banque mondiale).

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