Comment Donald Trump applique déjà les tactiques de Viktor Orban à l’égard de la presse
En se différenciant par l’hypocrisie du discours et des méthodes… Quand la pression et l’oppression s'invitent dans le paysage médiatique… L'arrivée de Donald Trump suscite craintes non sans fondement…
Mika Brzezinski et Joe Scarborough (image réalisée avec Midjourney) – (CC) Superception
L’intimidation vaut beaucoup de censures.
Ce qui différencie une démocratie illibérale à la hongroise d’une dictature à la russe est en bonne partie l’hypocrisie du discours et des méthodes. Dans le domaine de la presse, celle-là fait peur aux gêneurs alors que celle-ci leur fait la peau. Au final, la pression et l’oppression font même taire les journalistes.
Ces derniers jours ont montré que la crainte suscitée par Donald Trump peut amener des journalistes de premier plan à se renier. Considérez l’exemple de Mika Brzezinski et Joe Scarborough, les deux animateurs de la matinale politique de MSNBC News, “Morning Joe”, depuis 2007.
Les deux époux (depuis 2018) ont pourtant un pedigree qui devrait davantage les protéger des intimidations indues que certains de leurs confrères :
Mika Brzezinski est la fille de Zbigniew Brzezinski, qui fut conseiller des Présidents Lyndon Johnson et Jimmy Carter, et demeura jusqu’à sa mort l’une des voix les plus écoutées outre-Atlantique en matière de politique internationale. En outre, Mika Brzezinski est chercheuse invitée au sein de l’Institut de politique de l’Université de Harvard.
Joe Scarborough, pour sa part, représenta le premier district de l’Etat de Floride pour le Parti républicain à la Chambre des Représentants entre 1995 et 2001. Il fut aussi chercheur invité au sein de l’Institut de politique de l’Université de Harvard.
Mika Brzezinski et Joe Scarborough sont résolument opposés aux pratiques anti-républicaines de Donald Trump, qu’ils ont qualifié de fasciste et de menace pour la démocratie américaine. Mika Brzezinski alla jusqu’à annoncer en 2017 qu’elle ne recevrait plus Kellyanne Conway, porte-parole de Trump et créatrice du concept des “faits alternatifs”, dans leur émission. C’est une approche éditoriale exemplaire – ne pas donner d’écho aux menteurs avérés – que j’ai souvent prônée sur Superception pour les Etats-Unis comme la France.
Or Mika Brzezinski et Joe Scarborough viennent de rendre visite à Donald Trump à Mar-a-Lago, ce qui suscita autant de questions de la part de leurs confrères et des observateurs des médias que de désapprobation de celle de leurs téléspectateurs, dont plus de 40% cessèrent de les regarder au lendemain de la révélation de leur excursion à Palm Beach.
Mika Brzezinski et Joe Scarborough ont affirmé qu’ils étaient allés à Mar-a-Lago pour rencontrer le Président élu dans l’exercice normal de leur travail éditorial afin de le convaincre de leur accorder un jour une interview dans leur émission. La contradiction de cette explication avec leur pratique antérieure rend compte à elle seule de l’incongruité de leur démarche.
La réalité est beaucoup moins journalistique et beaucoup plus effrayante. Donald Trump propage depuis plusieurs années de fausses informations sur un épisode intervenu tandis que Joe Scarborough siégeait au Congrès : le 20 juillet 2001, l’une de ses collaboratrices, Lori Bolterstein Klausutis, fut retrouvée morte à 28 ans dans le bureau de l’élu à Fort Walton Beach en Floride. L’autopsie détermina qu’une irrégularité non diagnostiquée de sa valve cardiaque avait provoqué la perte de conscience de la jeune femme qui était tombée et s’était cognée la tête sur le bord d’une table. Pourtant, et alors que Joe Scarborough était ce jour-là à Washington DC, des conspirationnistes l’ont accusé d’être responsable de la mort de sa collaboratrice, accusation reprise par Donald Trump lorsque le républicain devenu journaliste le critiqua.
En 2020, Joe Scarborough déclara, à fort juste raison, qu’il “est remarquable que nous ayons un Président qui tente de faire poursuivre la personne qu’il considère comme son principal critique dans les médias. C’est ce que fait Poutine. C’est ce que fait Orban. C’est ce que font les autocrates depuis des siècles.” Quant au veuf de Lori Bolterstein Klausutis, il supplia Jack Dorsey, alors patron de Twitter, de retirer les tweets de Donald Trump relatifs au décès de son épouse. Le dirigeant s’y refusa.
Aujourd’hui, alors que Donald Trump s’entoure, dans sa seconde administration, de sycophantes et d’idéologues d’extrême-droite bien plus dangereux que la majorité des professionnels qui l’assistèrent lors de son premier mandat, Mika Brzezinski et Joe Scarborough ont peur que la menace, portée par Donald Trump et son entourage, d’une nouvelle enquête sur le décès de Lori Bolterstein Klausutis se concrétise.
La perspective d’un débarquement chez soi d’agents fédéraux à 6 heures du matin pour une perquisition, même vouée à l’échec, va dissuader plus d’un adversaire du futur Président.
Au-delà des enquêtes judiciaires fallacieuses, les moyens de pression de celui-ci sur les médias sont potentiellement nombreux, ainsi que je le notais au lendemain de son élection dans la Newsletter Superception :
Les médias et journalistes pourraient être soumis à des contrôles fiscaux motivés par des considérations politiques.
Des agences de régulation pourraient utiliser leurs prérogatives (e.g. administration des licences des stations de télévision) pour influencer les salles de rédaction.
L’administration Trump pourrait entraver ou empêcher des opérations de fusion-acquisition ayant trait à des entreprises de médias qu’elle veut punir.
Les agences gouvernementales vont devenir (encore) moins coopératives avec les organes de presse, privilégiant les influenceurs.
Le harcèlement en ligne et dans le monde réel de la part des supporters de Donald Trump pourrait s’intensifier s’ils sont convaincus qu’ils ne seront pas poursuivis par la Justice pour leurs actes. La protection physique des journalistes pourrait devenir un sujet alarmant et coûteux pour les rédactions et pour les journalistes indépendants.
Le musellement illibéral de la presse commence par des petits renoncements de la part de ses membres et non des assassinats comme dans les dictatures (dont Anna Politkovskaïa est peut-être la plus emblématique pour ce qui concerne le criminel règne de Vladimir Poutine). A cet égard, la visite de Mika Brzezinski et Joe Scarborough à Mar-a-Lago/Canossa est aussi compréhensible sur le plan humain que symbolique sur le plan politique.
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