29 mars 2011

Temps de lecture : 5 min

Club Med: comment flinguer sa marque en 7 étapes

Avertissement: ce billet s'inspire de faits et d'événements ayant réellement existé. Des approches désastreuses du marketing expérientiel peuvent choquer certains lecteurs sensibles aux stratégies de marque...

Il y a quelques années, j’ai consacré une émission complète d’Invité de Marque à la saga du Club Med, fleuron du tourisme français aux fortunes diverses depuis les années 90, dont la communication se cherchait autant que le positionnement.

C’était l’époque de la transition laborieuse vers une stratégie visant à redorer le blason jadis glorieux de la marque et à l’amener vers un territoire de luxe et de volupté: rénovation des villages, introduction de nouveaux standards sur les villages 5 Tridents, rupture assumée avec l’image GO / GM ( gentil organisateur, gentil membre ) et top du marketing expérientiel vu par le Club, ouverture d’une agence ultra design sur les Champs Elysées…

Récemment, la crise égyptienne m’a donné une occasion en or de revoir l’image globalement positive ( quoi que non convaincue quant à l’application ) que j’avais constituée au fil de lectures sur la stratégie du Club pour cesser de perdre des parts de marché. Expérience édifiante où l’idée qu’on se fait d’une marque vole en éclats.

Tout part d’une anecdote personnelle. Mais qui confine à l’universel tant elle résume bien le seul vrai moment de vérité pour les marques et les entreprises qui les gèrent : l’épreuve des faits, surtout en temps de crise. – point sur lequel les marques françaises ont des siècles de retard que seuls d’excellents produits compensent parfois – C’est donc l’histoire d’une blogueuse souhaitant découvrir certains trésors de l’Egypte antique sans passer par la case croisière sur le Nil. Son choix se porte en décembre 2010 sur le Club Med de Louxor, en grande partie à cause de la garantie « qualité » et « zéro tracas » liée au Club. Départ prévu : samedi 29 janvier 2011.

Bien sûr, le départ n’a pas lieu. A 5 h du mat à l’aéroport, c’est une malheureuse hôtesse, sans instructions ni pouvoir, qui doit informer tous ceux qui arrivent au comptoir d’enregistrement. Alors qu’on entend parler des troubles en Egypte depuis le 25 janvier, le Club contacté quotidiennement pendant une semaine a promis qu’il appellerait  » même dans la nuit  » si le départ était annulé.

Première faute: défaut d’anticipation. Faute grave puisque même des Tours opérateurs pure players, moins équipés et moins attendus sur le service, ont pris leur téléphone le vendredi soir. Plus idiot encore : la page Facebook du Club, le 30 janvier, mettait encore en valeur les retours de touristes ravis de leur découverte égyptienne alors que le mouvement prenait de l’ampleur et qu’il était clairement idiot de vouloir prendre ses vacances au moment même où un peuple jouait son destin.

Deuxième faute: absence de gestion de crise. Alors que le Club dispose de nombreux établissements dans le monde pouvant absorber une partie des annulations, aucune proposition alternative n’est faite sur place en dehors d’une lettre photocopiée « promettant un avoir « . Quand on sait qu’une des raisons historique du choix Club Med est la prise en charge complète de la logistique, le » tout compris », c’est une rupture du « contrat de confiance » de la marque.

Troisième faute: le service low cost. A l’aéroport, une lettre d’excuse bâclée, photocopiée en N&B. Puis, toutes les démarches pour trouver une solution sont laissées à la charge du client, qui de retour chez lui un peu dépité ( quoi que pas surpris, vu la tournure des événements ) doit appeler un numéro payant pour retrouver une destination. Aucun appel proactif d’un gestionnaire ni même d’une cellule de crise spécialement dédiée. Pendant deux mois. Ce n’est pas le service minimum, c’est pas de service du tout.

Quatrième faute: la vente forcée. Contrairement à ce qu’ont raconté les relationnistes du Club dans certains médias peu soucieux de creuser, le Club ne fait aucun effort commercial pour rebooker sur d’autres dates et d’autres destinations. La politique « prix de brochure » , en agence exclusivement, avec obligation de débourser plus pour ceux ayant acheté sur le site officiel du Club , était appliquée dès la semaine suivant l’annulation. Pénaliser les clients qui passent par le web, c’est pas merveilleusement 2.0 ça ?

Cinquième faute: le mépris. Ici, l’histoire prend une tournure savoureuse. Alors que le contrat de vente, le Code du Tourisme et la jurisprudence sont formels sur le sujet, Christelle Hognon du service « adhérent » entre en scène par voie épistolaire: le Club Med refuse de rembourser, tout simplement ( ce qui permettrait juste de revoir ses plans de vacances en toute liberté ). 3 lettres recommandées avec accusé de réception plus tard, c’est toujours le même refus, exprimé laconiquement. Le conseil juridique lui même n’en revient pas :  » Venant du Club Med, c’est très étonnant « . Entre l’image et la réalité, un gouffre. Ce sera donc la Cour et les avocats, niveau zéro de la relation client et de la Lovemark 😉

Sixième faute: après le mépris du client, la suffisance de la marque qui pense sa e-réputation intouchable ? A l’heure des réseaux sociaux ( sur lesquels il est présent ), des blogs et du mauvais buzz, à l’heure de la « customisation », le Club n’adapte pas sa réponse, et garde, quel que soit l’argument, un ton proche de l’autisme. Le Club Med lit-il les forums de discussion sur tous les exaspérés du  » cas de force majeure  » usurpé ? A-t-il consulté récemment les avis voyageurs sur certains de ses villages sur TripAdvisor ?

On en doute. Les commentaires sont riches d’enseignements: tous les insatisfaits, tous les bémols expriment la sensation d’une déception entre l’attente ( à la hauteur du prix ) et l’expérience réelle. On lit pourtant sur le blog de Michelle Blanc et d’autres que le Club était à la pointe concernant Facebook et Twitter. Le Club ferait mieux d’être à l’écoute que d’être « à la pointe » sur du vide. La page facebook du Club, c’est DisneyLand ou l’île aux Enfants ( pour tous ceux de la génération Casimir dont je suis 🙂 ): il y a deux jours, c’était « besoin de soleil ? la Tunisie et l’Egypte à -15% »: ouais, super ! Il y a 2 mois ? on ne parlait de rien.
Mais alors de rien du tout. Pas même un témoignage du directeur du Club de Louxor pour savoir s’il se passait quelque chose dans ces coins là aussi.

Septième faute : la non-différenciation. Quel est le positionnement du Club ? La communication du Club est devenue fade et sans saveur depuis déjà presque une décennie. Jolie, esthétique. Mais sans élément différenciant majeur, pendant que, dans l’univers du tourisme , tout le monde bouge ! Kuoni, Jet Tours, Thomas Cook ( très beau cas de repositionnement haut de gamme réussi ), Transat ( moins réussi ) et bien sûr, les acteurs du web : Voyage Privé, Go Voyages, Expedia … Pire, la concurrence pour le CLub , ce sont aussi tous ces hôtels de luxe qui poussent comme comme des champignons: en terme de produit et de service, le Club ne tient pas la route.

Le monde change, le Club Med s’en remet à la DA pour convaincre qu’il est lui même neuf. « Tous les bonheurs du monde » est tellement moins percutant que « Le bonheur si je veux ! » Or si Trigano fut disruptif, Giscard d’Estaing est lisse et de bon goût : la communication, dans laquelle la marque investit massivement, devrait faire mieux pour la sortir du lot.

Les morales de l’histoire

Une marque qui se positionne « haut de gamme » se doit d’avoir une relation client exemplaire. Etre cheap n’est pas vraiment une option.
Une marque moderne capitalise sur tous les incidents consommateurs pour transformer une expérience négative en fidélité à vie pour bons services rendus.
Une marque intelligente et web 2.0 utilise les réseaux sociaux de manière généreuse et transparente ( en limitant le côté publi-reportage, en ouvrant les commentaires et en ne mettant pas un mouchoir sur les sujets qui fâchent )
Mieux vaut un client satisfait qu’un fan sur sa page Facebook.
Et pour paraphraser un vieux dicton, « qui veut voyager loin ménage son consommateur « .

Emmanuelle Garnaud Gamache / idead.com

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