Avec des publics aujourd’hui tentés de dépenser plus d’argent pour avoir l’occasion de voir sur scène des « vétérans » tels que Placido Domingo, Ian McKellen ou les Rolling Stones, que les stars en début de carrière -même prometteuses- il est d’autant plus surprenant de découvrir un groupe de musique classique qui n’a aucun plan pour l’avenir.
Le programme des « Circonstances Supposées » du London Contemporary Orchestra propose, autour de la musique du compositeur de Claude Vivier (1948-1983), trois performances absolument immersives et en réponse aux lieux dans lesquels elles se jouent. La création de ce programme inédit, et qu’on a vraiment hâte de voir se lancer en France, est motivée par la volonté de capter l’audience en la faisant participer au spectacle : les spectateurs sont à la fois les observateurs, les créateurs, les protagonistes de ce moment unique, mais ils sont également observés pendant celui-ci.
Le London Contemporary Orchestra est connu pour sa programmation « cool » et de niche, qui combine les collaborations « pop » (avec entre autres Foals, Belle & Sebastian, Radiohead) et les bandes-originales de films avec des performances musicales plus avant-gardistes dans un milieu de la musique d’ensemble qui reste très classique voire conservateur. Avec les « Circonstances Supposées», le London Contemporary Orchestra pousse l’innovation et la création encore plus loin, forçant d’une part ses pairs à se regarder plus profondément dans le miroir, et confrontant les publics les plus fervents du caractère expérimental et innovateur de l’orchestre à une nouvelle dimension de l’expérience musicale.
Cette disruption du genre trouve sa source dans les « Trois discours sur des circonstances supposées » de Soren Kierkegaard. Le philosophe médite sur trois épisodes : une confession, un mariage et une scène dans un cimetière. Une approche narrative donc, de la réflexion sur la vie et la mort, qui a littéralement donné naissance aux trois concerts des « Occasions Imaginées » qui suivent ce voyage réflexif sur le sens de la vie… un écho à l’inspiration qui a guidé le compositeur Claude Vivier. L’hommage et l’adaptation expérientielle à la narration philosophique de Kierkegaard et l’écriture musicale de Vivier vont jusqu’au choix des lieux, puisque la colline de Primrose (et son cimetière) sert de scène à une des performances, tout comme une station de métro abandonnée et fermée au public vient pour une autre (et c’est dans le métro parisien que le voyage musical de Vivier se déroule).
En créant un contexte et une dimension narrative physique inédite, le London Contemporary Orchestra espère donner la possibilité aux publics de ressentir la musique de façon encore plus intense que dans une salle de concert : le spectateur démarre la soirée à un kiosque près d’une station de métro (fermée mais ré-ouverte et entièrement chorégraphiée pour l’occasion) où on lui remet un journal, qui est en fait le programme de la soirée. Depuis ce kiosque, le spectateur est invité dans le hall de la station de métro, où son billet sera validé. Plongé dans la foule des –faux- voyageurs du métro, les premières notes se font entendre, de façon de plus en plus audible au fur et à mesure que la station d’arrêt approche, comme si l’esprit des voyageurs du passé les accompagnait dans le présent, et vers les prochains moments d’une soirée qui s’annonce unique, inclassable.
Sous des allures surréalistes, presque irréelles, voire intimidantes, les spectacles du London Contemporary Orchestra sont avant tout exaltants et ont su dépasser subtilement et dans un format totalement inattendu pour l’émetteur tant que pour le récepteur, les frontières du genre : celui de la musique d’ensemble, et celui du marketing expérientiel.
Vivement les « Circonstances Supposées » à Paris… Anyone ?
Florence Marin
Rubrique réalisée en partenariat avec La Société Anonyme