30 janvier 2024

Temps de lecture : 4 min

Christophe Pradère (BETC Design) : « Le succès du retail est lié à la répétition des visites »

Christophe Pradère est le CEO et fondateur de BETC Design. A l’occasion du salon Maison & Objet qui s’est tenu du 18 au 22 janvier, ce designer formé à la Domus Academy de Milan , qui a travaillé pour de nombreuses marques prestigieuses dont L’Oréal, Shiseido, Louis Vuitton, Rémy Martin, Sofitel, Air France et Peugeot, a tenu une conférence pour expliquer pourquoi les retailers devaient passer « du storytelling au storyliving ». En exclusivité pour INfluencia, il nous détaille son analyse qui ne manque pas de logique…

Les américains ont inventé le concept de « category killer ». Ces enseignes sont capables de tuer la concurrence

INfluencia : le retail a beaucoup évolué au fil de son histoire…

Christophe Pradère : la distribution est née au XIXème siècle. Avec la révolution industrielle, nous sommes passés d’une production artisanale où les artisans vendaient leurs produits devant leurs ateliers, à une logique industrielle dans laquelle la capacité de production excédait les besoins des personnes vivant autour de l’usine. Il a donc du fallu créer des réseaux de distribution pour vendre ces articles. La production de masse a engendré une distribution de masse. Pendant des années, ce retail n’était rien d’autre que des stocks dans lesquels un maximum de produits étaient entassés et où les gens venaient chercher ce dont ils avaient besoin. La distribution a ensuite évolué pour passer d’un principe « logistique » à une logique commerciale. C’est à partir de ce moment-là que les retailers ont dû commencer à attirer les clients dans leurs boutiques qui ressemblaient alors à des petits stocks. Le grand enjeu pour le commerce, comme pour la restauration, est de faire faire venir les gens plusieurs fois. Le succès du retail est lié à la répétition des visites. Au-delà des bons produits, les retailers ont dû se rendre capables de proposer des actions commerciales qui encourageaient le retour de la clientèle. Les articles saisonniers et les promotions entraient dans cette stratégie car les tensions commerciales généraient du trafic. Cette logique est toujours vraie de nos jours.

IN : les commerces ont pourtant beaucoup évolué depuis ces temps anciens…

C. P. : Sans aucun doute. Quand le retail s’est développé, différents formats de magasins se sont créés. C’est alors que sont apparus notamment les supermarchés, les grands magasins, les boutiques thématiques et les duty-free. Les américains ont inventé le concept de « category killer ». Ces enseignes sont capables de tuer la concurrence car leur offre est tellement exhaustive sur une typologie de produits qu’elle est inarrêtable sur leur segment. C’est le cas de Toys «R» Us dans le jouet et d’Office Depot dans l’équipement de bureau.Du multi-marque, on est ensuite passé au retail mono-marque tourné vers le storytelling avec l’apparition des flagships, des brand stores, des concept stores et des pop-up stores. Je crois d’ailleurs beaucoup au potentiel de ce dernier format.

IN : Pourquoi ?

C. P. : Ce qui est à la fois génial et très simple avec le pop-up store est qu’il va chercher les clients là où ils sont. Avant, on disait que les trois choses les plus importantes pour une boutique étaient l’emplacement, l’emplacement et l’emplacement. Avec le pop-up store et le digital qui permet d’accroître sa notoriété et sa visibilité de manière spontanée, on génère une puissance commerciale décuplée et même plus importante que celle d’un magasin bien situé car la boutique éphémère se trouve là où sont ses clients. C’est le cas notamment de Chanel qui a ouvert un pop-up en plein cœur d’Art Basel à Miami. La durée de vie limitée de ces points de vente permet, par ailleurs, de libérer la créativité des marques pour tester des concepts inédits.

Chanel pop-up à Miami

IN : le boom du commerce digital a bouleversé tous ces modèles…

C. P. : le retail de demain sera forcément nourri par le digital. Quand le numérique est arrivé au début des années 2000, tout le monde disait que le retail allait mourir et que les clients allaient acheter tous leurs produits sans se déplacer. En fin de compte, le digital a renforcé le retail en lui donnant d’autres priorités à suivre. C’est à ce moment qu’on a commencé à parler de parcours client. Aujourd’hui, ce parcours commence chez soi et se termine chez soi. Le client est passé du statut de spectateur qui s’émerveillait devant la théâtralisation des boutiques à celui d’acteur. Avant d’aller dans une boutique, il sait déjà ce qu’il veut et il a fait des comparaisons avec d’autres retailers. Du coup, les enseignes ne peuvent plus lui offrir la même chose que dans le passé et doivent leur proposer d’autres concepts.

On crée du storyliving quand on permet aux clients de participer au concept qu’on a mis en place.

IN : comment se traduit cette évolution ?

C. P. : les retailers doivent passer du tangible à l’immersif, de la théâtralisation axée sur la narration et la distinction à la sensorialisation, à l’expérimentation et à l’engagement. L’écosystème est aujourd’hui omni-channel. Le magasin, l’e-commerce, le mobile, le drive et les réseaux sont tous liés les uns aux autres. Tous ces points d’interaction ont fait de la boutique une des étapes du parcours client.

IN : comment les retailers peuvent-ils s’adapter à cette nouvelle tendance ?

C. P. : les magasins doivent développer avec leurs clients des relations nettement moins transactionnelles. La customisation est une piste intéressante. Nike l’a montré en permettant à ses clients de choisir en boutique les finitions de leurs baskets. Adidas est allé encore plus loin en scannant dans ses magasins les voutes plantaires des particuliers pour leur fabriquer sur place des semelles adaptées à leurs pieds. La marque canadienne de cosmétique Bite fabrique, elle, dans ses points de vente des rouges à lèvres comestibles avec des pigmentations correspondant à la couleur de votre peau. Il est aussi important de montrer et de faire tester ses produits sur ses points de vente. Apple a été un des premiers à le comprendre avec ses Apple Stores dans lesquels ses employés sont formés pendant deux ans avant d’entrer en contact avec les clients. Il est primordial aujourd’hui de bien former ces vendeurs pour qu’ils puissent parler des produits qu’ils proposent sans avoir systématiquement des réflexes transactionnels. La réalité augmentée renforce également ce concept de storyliving dans lequel les clients sont des acteurs à part entière.

Les amuse bouche aux huiles comestibles de Bite

IN : ce nouveau modèle ne condamne-t-il pas, à terme, les petits commerces de province qui n’ont pas forcément les moyens d’offrir de nouveaux services à leurs clients ?

C. P. : Loin de là. L’arrivée du storyliving permet de concevoir les magasins différemment. C’est vrai pour les nouveaux formats à créer mais aussi pour les boutiques existantes. On crée du storyliving quand on permet aux clients de participer au concept qu’on a mis en place. Cela n’est pas une question de surface de vente ou de technologies coûteuses à intégrer mais plutôt de mentalité à faire évoluer.

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