28 novembre 2023

Temps de lecture : 3 min

Christine Albanel  : « L’humour et la prise de distance sont deux précieux alliés de nos intelligences. »

L’ARPP est sa maison depuis peu. Cette agrégée de lettres, plume de Jacques Chirac dont elle écrivait les principaux discours, Christine Albanel, ancienne ministre de la Culture et de la Communication, a accepté de réfléchir à voix haute aux intelligences qui ont jalonné son parcours. Un article à retrouver dans la revue 44 d’INfluencia.

IN : Qu’évoque l’intelligence pour vous ? 

 Christine Albanel : Je dirais d’abord la faculté de comprendre, savoir analyser, le réel, l’époque, les individus, l’évolution de la société… Ensuite, il s’agit de hiérarchiser, en distinguant l’accessoire de l’essentiel. Enfin, rendre ce qui est complexe, simple. J’ajouterais : être ouvert aux autres, curieux, en mouvement, pour toujours être capable de modifier son point de vue… Même face à un tableau balisé, être capable de le retourner pour le regarder à l’envers.  

IN : Qu’est-ce qui a le plus nourri la vôtre…  

Ch.A. : Les gens avec qui j’ai travaillé, échangé, rebondi, en confiance. Le rire également. L’humour et la prise de distance sont deux précieux alliés de nos intelligences.

IN. : N’a-t-on pas coutume de confondre les mots “intelligent” et “intellectuel “?  

 Ch.A. : J’ai surtout le sentiment que le mot intellectuel a perdu de son aura. Nous sommes loin de l’époque des Lumières, et plus près de nous, loin de années 70, où Jean-Paul Sartre, Pierre Bourdieu, Michel Foucault ou Raymond Aron étaient de vrais phares, dont les prises de position faisaient événement, et qui suscitaient d’ailleurs une dévotion quasi religieuse. Aujourd’hui, le débat politique ou public se structure beaucoup moins autour des grands intellectuels. Peut-être parce que chacun s’invite dans le débat, notamment via les réseaux sociaux. Pour le meilleur et souvent pour le pire. 

IN. : Quel est le rôle de la culture dans la formation des intelligences ? 

 Ch.A. : La culture est la clé du monde, la clé du trésor. Elle permet de le déchiffrer. La France en reste une figure de proue, par sa position de précurseur, par exemple sur le droit d’auteur, ou par notre politique en faveur du cinéma. Nous avons toujours eu pour tradition de porter la culture au plus haut niveau, de Louis XIV à nos présidents, François Mitterrand et ses Grands Travaux, Jacques Chirac avec le musée du Quai Branly… Aujourd’hui, Il faut continuer à mener des projets ambitieux. Le dernier en date est celui de Villers-Cotterêts (NDLR, projet d’Emmanuel Macron visant à en faire la Cité internationale de la langue française). Attendons de voir quelle place il va prendre dans notre paysage culturel.

IN. : Vous avez commencé votre parcours en tant qu’enseignante ? Était-ce une vocation, pourquoi vous en être écartée si rapidement ? 

 Ch.A. : J’ai enseigné les lettres à Villepinte. Puis un an, dans un établissement du Nord, l’enseignement est une excellente école. Mais tout ce que je souhaitais, à l’époque, était écrire des pièces de théâtre. Il fallait pour cela que je reste à Paris, à tout prix. Or, en tant que jeune agrégée, j’étais à peu près sûre d’être affectée loin de la capitale. Lorsque l’on m’a proposé d’entrer en politique, je n’ai pas hésité longtemps. En grande lectrice de Balzac, la politique m’amusait beaucoup.   

IN. : Que vous a appris l’enseignement ?  

Ch.A. :
Que l’on ne peut pas tricher face à des élèves. Que l’objectif premier reste de transmettre du savoir, des connaissances. Je me
souviens avoir proposé à mes élèves du lycée technique l’étude du « Cousin Pons » de Balzac. Au départ, j’ai eu beaucoup de mal à me faire entendre. Quand je leur ai expliqué que comprendre les codes sociaux était indispensable pour avancer, éviter d’être humilié comme l’a été précisément le Cousin Pons, j’ai gagné leur écoute

IN. : À quel poste avez-vous croisé la plus grande concentration d’intelligences ? 

Ch.A. : Certainement au Conseil d’Etat. Mais, je dirais que c’est au château de Versailles, que j’ai dirigé pendant quatre ans, que j’ai rencontré la plus grande diversité d’intelligences, au service de ce lieu extraordinaire. L’intelligence des conservateurs, des architectes en chef -deux corps qui cohabitent en plus au moins bonne intelligence !-. Mais aussi l’intelligence des restaurateurs, celle des fontainiers, des jardiniers, qui se passionnent pour l’introduction de telle ou telle famille de carpes dans le Grand Canal pour le débarrasser d’une flore devenue envahissante… Versailles brasse une somme de talents et de compétences fascinante.

IN. : Ce n’est donc pas au gouvernement ? 

Ch.A. : Il y a bien sûr des gens remarquables en politique mais moins qu’autrefois, même s’il subsiste une fascination française pour la politique. Simplement, je ne suis pas sûre qu’un Alain Juppé aujourd’hui choisirait encore d’embrasser cette carrière. Et je pense à l’inverse qu’un Alexandre Bompard, hier, aurait peut-être fait de la politique. L’agressivité ambiante pèse sur les politiques. Leur pouvoir réel est limité, les attaques dont ils sont l’objet sont multiples, pour un emploi du temps plus que chargé, et des rémunérations moindres que celles de leurs propres directeurs d’administration. L’attractivité de la politique s’en ressent. Et c’est pour cela que l’on voit tant de jeunes haut-fonctionnaires partant très vite dans le privé, ce qui est dommage.

IN. : Vous rejoignez aujourd’hui l’ARPP, et siégez au comité éthique de FranceTV, l’éthique est-elle une forme d’intelligence en voie de disparition ? 

 Ch.A. : L’éthique est une intelligence qui repose sur plusieurs intelligences. Ce qui convient, ce qui est opportun, ce qui est acceptable ou non, ce qu’il faut défendre. J’ai le sentiment qu’en France, nous vivons dans une société assez éthique, notamment par rapport à de nombreux pays où règnent sans entrave violences et corruption. C’est un privilège et une chance qu’il faut protéger.

 

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