ChatEurope : un chatbot européen pour décrypter l’Union, au-delà des infox
Portée par l’AFP et un consortium de quinze médias européens, cette nouvelle plateforme mise sur l’intelligence artificielle pour offrir aux citoyens une information fiable, multilingue et pédagogique sur l’actualité de l’UE. Son ambition : contrer la désinformation en rendant l’Europe... plus lisible.
Depuis le 1er juillet 2025, les Européens disposent d’un outil inédit pour mieux comprendre ce qui se joue à Bruxelles et dans l’Union : ChatEurope. Ce chatbot conversationnel d’un nouveau genre a été développé sous l’impulsion de l’AFP, en partenariat avec quatorze autres médias de premier plan, parmi lesquels Deutsche Welle, France Médias Monde, RFI Romania, dpa, ANSA, El País, Maldita.es, Agora, OBCT, APA, BNR, Delfi, HRT et VoxEurop. À travers cette initiative, ces rédactions mettent en commun des milliers de contenus — dépêches, articles, vidéos, analyses — qui forment la base de connaissance du chatbot. Celui-ci ne s’appuie donc sur aucune génération de contenu automatisée, mais exclusivement sur des sources journalistiques existantes, sourcées, validées et contextualisées.
« ChatEurope, c’est l’alliance de l’innovation et de la fiabilité », résume Christine Buhagiar, directrice du développement et des diversifications à l’AFP. « Ce projet offre aux citoyens un accès direct, personnalisé et vérifié à l’actualité européenne, dans un contexte de désinformation massive ». Le chatbot est capable de répondre à des questions aussi concrètes que « Qui a remporté la présidentielle en Pologne ? » ou « Que prévoit le plan de réarmement européen ? », avec une réponse synthétique, sourcée et accessible à tous les niveaux de familiarité avec le sujet.
Une architecture technologique européenne
Derrière l’interface fluide de ChatEurope se trouve une chaîne de développement intégralement européenne. Le moteur conversationnel a été conçu par la société roumaine DRUID AI, spécialiste des solutions de chatbot en environnement professionnel, et s’appuie sur le modèle open source du français Mistral AI. La plateforme éditoriale, elle, est propulsée par la technologie XWiki, une solution française de gestion de contenus collaboratifs. La diffusion du projet s’appuie sur le réseau MediaConnect (news aktuell), garantissant une visibilité large dans les écosystèmes médiatiques du continent.
Deutsche Welle, qui fait partie du noyau dur du projet, a par ailleurs mis à disposition sa technologie propriétaire Plain X. Cet outil, utilisé en interne pour la traduction, la synthèse et la transcription automatisée de contenus audiovisuels, contribue à assurer une homogénéité linguistique et éditoriale dans les réponses du chatbot. « Il est indispensable que l’intelligence artificielle soit utilisée pour renforcer l’intégrité journalistique, et non l’affaiblir », souligne Guido Baumhauer, directeur du développement et de la distribution chez DW. Cette orientation technologique affirme la volonté des partenaires de bâtir un outil d’IA qui respecte les standards du journalisme professionnel.
Multilingue par essence
L’interface de ChatEurope est disponible en sept langues : français, anglais, allemand, espagnol, italien, roumain et polonais. Mais grâce aux capacités linguistiques du chatbot, il est possible de poser des questions dans l’ensemble des langues officielles de l’Union européenne. L’utilisateur peut dialoguer naturellement, comme avec un assistant personnel, et recevoir des réponses adaptées à son niveau d’expertise. Chaque réponse s’accompagne systématiquement d’une source identifiable — lien d’un article, nom du média, date de publication — offrant une traçabilité inédite dans l’univers des chatbots.
Ce fonctionnement permet une approche pédagogique directe, en rupture avec la logique des moteurs de recherche. Pas de liens à trier ni de résultats biaisés : ChatEurope propose une synthèse claire, souvent enrichie d’infographies, de brèves vidéos ou de formats explicatifs. L’expérience, conçue pour être rapide et intuitive, vise à rendre les grandes décisions européennes plus tangibles pour le grand public. À cela s’ajoute une page Youtube ouverte en amont du lancement qui vient compléter le dispositif informationnel.
Une indépendance éditoriale non négociable
ChatEurope est cofinancé par la Commission européenne dans le cadre d’un programme de soutien à la démocratie et à la lutte contre la désinformation. Mais cette aide publique s’accompagne d’un engagement fort : la gouvernance du projet reste exclusivement entre les mains des rédactions partenaires. Aucune interférence n’est tolérée sur le choix des contenus, le traitement des réponses ou l’orientation des sujets abordés. Ce principe d’indépendance est central pour l’AFP, qui coordonne l’ensemble. « Les médias doivent évoluer avec l’IA : c’est ce que nous faisons ici, sans renoncer à nos exigences d’exactitude, de transparence et d’indépendance éditoriale », insiste Christine Buhagiar. Dans un contexte électoral tendu et face à la prolifération des infox, cette ligne de conduite constitue un marqueur fort.
En rendant l’Europe plus intelligible, ChatEurope répond à un besoin croissant d’explication, de clarté et de fiabilité. Il ne s’agit pas de concurrencer les plateformes ou les moteurs de recherche, mais d’installer un tiers de confiance entre les citoyens et l’information européenne. L’outil s’adresse aussi bien aux étudiants qu’aux enseignants, aux journalistes qu’aux curieux. Disponible sur www.chateurope.eu, il se présente comme une porte d’entrée vers une connaissance partagée de l’Union. Dans un paysage informationnel saturé, l’ambition est simple mais exigeante : mettre l’IA au service d’un journalisme exigeant et collaboratif pour replacer — une fois n’est pas coutume — la technologie au service du lien démocratique.
Un rempart face aux infox, un outil pour tous
Le lancement de ChatEurope ne se comprend pleinement qu’en le replaçant dans un contexte plus large : celui d’une intensification des campagnes de désinformation ciblant l’Union européenne, sur fond de crise géopolitique, de défiance civique et d’élections cruciales. Selon le European Digital Media Observatory (EDMO), plus de 600 cas de manipulation de l’information concernant l’UE ont été recensés sur les cinq premiers mois de 2025, soit une progression de près de 40 % par rapport à la même période en 2024. Ces contenus, souvent relayés sur les réseaux sociaux ou les messageries privées, alimentent des récits de défiance : Bruxelles serait opaque, technocratique, voire hostile aux citoyens.
C’est précisément à cette méfiance que ChatEurope entend répondre, en proposant une alternative crédible, lisible et vérifiée. À la différence des contenus viraux souvent fondés sur des fragments décontextualisés, le chatbot s’appuie sur des bases journalistiques solides, agrégées à l’échelle européenne. Chaque réponse est une tentative de rétablir un continuum informationnel là où la rumeur fracture, là où les fausses évidences prennent le dessus sur l’analyse. Dans cette lutte, ChatEurope n’est pas seul. Plusieurs initiatives européennes ont vu le jour ces dernières années pour défendre une information de qualité à l’échelle du continent.
EDMO, justement, agit comme un centre de coordination pour la lutte contre la désinformation en Europe, en mettant en réseau chercheurs, vérificateurs de faits et journalistes. EUvsDisinfo, piloté par le Service européen pour l’action extérieure, documente depuis 2015 les campagnes de manipulation menées depuis l’étranger. Et à un autre niveau, des outils comme The Europe Experience ou Euradio tentent de reconnecter les citoyens à la fabrique des décisions européennes. Mais la force de ChatEurope réside dans sa dimension interactive, pédagogique et décentralisée : il ne s’adresse pas seulement aux experts ou aux institutions, mais à tout citoyen équipé d’un smartphone.
Cette ouverture soulève une autre question essentielle : celle de l’accessibilité numérique. Pour lutter efficacement contre les infox, encore faut-il que l’outil soit utilisable par les publics les plus éloignés des dispositifs technologiques classiques. C’est pourquoi la capacité de ChatEurope à répondre dans toutes les langues officielles de l’Union, à s’adapter au niveau de complexité des questions, et à fonctionner sur des terminaux mobiles basiques constitue un levier majeur d’inclusion. Reste à savoir comment le projet pourra s’intégrer à des actions d’éducation aux médias, notamment auprès des jeunes publics. En France, l’AFP est déjà partenaire de plusieurs programmes d’éducation aux médias et à l’information (EMI), en milieu scolaire et en bibliothèque. Le potentiel de ChatEurope comme ressource pédagogique semble évident : accessible, contextualisé, transparent, multilingue.
Dans une Europe marquée par la fragmentation politique et la méfiance informationnelle, le projet entend non seulement combler un déficit d’explication, mais aussi rétablir un espace de confiance. Un espace où l’intelligence artificielle, loin d’être un facteur d’opacité, devient un outil de transparence démocratique.