11 mars 2022

Temps de lecture : 6 min

« Cessons de vendre des campagnes « cliché » qui ne touchent pas leurs publics », Wilfried Klucsar (Dix Sept Paris)

À rebours de toutes les généralités marketing entendues ça et là,  et de la paresse intellectuelle qui voudrait classer, les individus par « générations », réduire les jeunes à des modes de consommation stéréotypés, Wilfried Klucsar oppose une approche holistique de ces fameuses cibles que les marques veulent atteindre… Interview cash et instructive  du co-fondateur de l’agence digitale, Dix Sept Paris.

 

INfluencia : vous luttez contre les stéréotypes, et pensez que la com n’est pas sérieuse lorsqu’elle crée les génération X, Y, Z et bientôt Alpha…

Wilfried Klucscar : en 2019 déjà, le journaliste, essayiste Vincent Cocquebert auteur notamment de La civilisation du Cocon, déclarait dans Le Monde, que « le problème de l’étiquette millennial, c’est qu’elle a fait disparaître les vraies lignes de fracture, entre la ville et la campagne, les riches et les pauvres, ceux qui ont fait des études et ceux qui, au nombre de 100 000 chaque année, sortent du système scolaire sans diplôme ». Je ne peux qu’être d’accord. Un jeune de 20 ans qui vit à la campagne aura toujours plus en commun avec quelqu’un de 30 ans qui a grandi près de chez lui qu’avec une personne de son âge qui a toujours vécu en plein centre de Paris.

 La génération Y, une facilité de langage adoptée par beaucoup et qui permet de dresser le portrait sans nuance d’une génération…

IN. : le marketing se fourvoierait, donc selon vous ?

W.K. : pas seulement le marketing. Cela touche aussi le management, les ressources humaines, le journalisme, etc. Certes, le concept de Génération Y est un concept percutant et accessible. Certes, il permet à des conférenciers, à des managers et donc, en effet, à des professionnels de la communication de faire des jolies slides ou d’écrire des livres mais il n’en reste pas moins très limité. La discipline qui devrait le plus inspirer la communication et le marketing, c’est la sociologie. Et en sociologie, on sait depuis longtemps que dans la plupart des recherches, l’âge n’est plus un marqueur de distinction très pertinent.

IN. : avez-vous l’impression que ces concepts soient contestés ?

W.K. : ils se sont largement imposés dans l’espace public, mais heureusement, certaines voix discordantes tentent de remettre en cause ces buzzwords pour qualifier la jeunesse et cela depuis leurs créations. Elles dénoncent, à raison, des concepts réducteurs, voire inexacts. Objectivement, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une facilité de langage, souvent utilisée par des plus anciens pour dresser le portrait de la génération qui suit, une génération que la plupart du temps, ils n’arrivent pas à comprendre et à séduire. Si on prend la Génération Y, au delà des poncifs qui pourraient tout aussi bien s’appliquer aux générations précédentes du type « Ils remettent en cause l’autorité » (comme la plupart des jeunes depuis des décennies, notamment les artisans de mai 68 qualifiés de Boomers), on aime lui attribuer des caractéristiques spécifiques qui, là aussi, sont souvent des poncifs ou des idées reçues. C’est ainsi la génération « où tout le monde sait coder », « qui veut du bien être au travail » et qui « est inquiète de la crise climatique ». Alors on met des baby-foots dans les open-spaces et on vend des produits « responsables et écologiques » à grand renfort d’activations. La réalité est que la plupart des jeunes ne savent pas coder, leur bien-être au travail passe, comme pour tout le monde, par une juste rémunération et des bonnes conditions de travail, et la crise climatique les préoccupe comme elle préoccupe une grande partie de la population qui a conscience que son existence est menacée.

Les deux candidats en tête des sondages chez les moins de 25 ans sont Emmanuel Macron et Marine Le Pen ?

IN. : le marketing a pour rôle d’ordonner, de cibler au mieux, vous remettez donc aussi cette méthode simplificatrice, et étendez votre scepticisme à toutes les X, Y , ; Z et Alpha… ?

W.K. : le constat est identique pour la Génération Z, et probablement pour celles qui suivront. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le temps qui délimite chaque « nouvelle génération » est de plus en plus court. Ces termes servent, à nouveau, davantage à faire de grandes généralités plutôt qu’à décrire une réalité complexe. D’ailleurs, si la Gen Z est encore plus écolo, comment expliquer le succès de Shein ? Ou le fait qu’actuellement les deux candidats en tête des sondages chez les moins de 25 ans soient Emmanuel Macron et Marine Le Pen ? Il parait aussi que c’est une génération qui ne peut se passer d’Internet, car elle n’a jamais connu le monde sans. Comme si, en 2022, les membres de la Génération Y ou de la Génération X pouvaient s’en passer davantage. Enfin, c’est la génération considérée la plus ouverte sur le monde. N’est-ce pourtant pas aussi celle qui est la plus soumise aux algorithmes et aux bulles de filtres ?

la Génération Z ne plébiscite pas des contenus pour leur durée mais pour leur valeur ajoutée.

IN. : qu’est-ce que cela signifie pour les marques ? Est-ce un réel danger ? Ne sont-elles pas dans la plaque ?

W.K. : c’est en effet un piège. Un piège dans lequel beaucoup sont tombées avec la Génération Y et qui est en train de se reproduire avec la Génération Z. C’est le piège de la paresse intellectuelle. Celui qui nous fait oublier l’essence de notre métier : comprendre les nuances du monde dans lequel nous évoluons. Il est plus facile de cibler « les jeunes » en partant des caractéristiques qu’on leur a attribuées que de chercher à vraiment les connaître et les comprendre. Refuser de voir leur complexité, c’est le meilleur moyen d’imaginer des campagnes vagues, pleines de clichés et qui ne touchent pas leurs publics. C’est l’assurance de faire comme tout le monde : les mêmes formats, les mêmes contenus, les mêmes messages.

IN. : que proposez-vous, concrètement pour remédier à cet état de fait?

W.K. : je dis simplement que, comme les générations qui les ont précédées, les jeunes aspirent à de la créativité, de la découverte, de la sincérité. Et c’est aussi le rôle des marques de leur apporter.

comment expliquer que des Youtubeurs comme Squeezie ou Michou comptabilisent des millions de vues sur des vidéos qui font en moyenne 20 ou 30 minutes ?

IN. : pourriez-vous illustrer votre propos d’un exemple concret ?

W.K. : récemment, le patron d’Arte relayait les propos tenus par un collaborateur de Google en déclarant que le temps d’attention de la Génération Z était de 9 secondes. Il s’agit ni plus ni moins que d’un mythe qui pousse beaucoup de marques à produire des contenus toujours plus courts, et donc parfois, mais pardon, toujours plus vides. Si ce chiffre est vrai, comment expliquer que des Youtubeurs comme Squeezie ou Michou comptabilisent des millions de vues sur des vidéos qui font en moyenne 20 ou 30 minutes ? Comment expliquer que même TikTok s’apprête à augmenter la durée maximale de ses vidéos à 10 minutes ? La réalité est simple; comme les autres, la Génération Z ne plébiscite pas des contenus pour leur durée mais pour leur valeur ajoutée. C’est simplement une étiquette qu’on leur a assignée car face à l’offre illimitée de contenus dont ils disposent, ils deviennent plus exigeants. Et donc quand ils voient une vidéo peu intéressante, ils ne perdent pas leur temps et passent à autre chose. L’enjeu pour les marques n’est pas de produire des contenus de moins de neuf secondes, mais de produire des contenus de plus de neuf secondes que les jeunes n’auront pas envie de zapper.

Comprendre les jeunes, c’est avant tout comprendre l’époque dans laquelle ils évoluent : Les crises sanitaires, les crises économiques, les crises environnementales

IN. : alors quelle stratégie, une marque peut-elle adopter lorsqu’elle veut cibler cette génération ?

W.K. : faire preuve d’humilité, déjà. Accepter que l’on ne peut pas synthétiser en quelques slides les caractéristiques de millions de personnes qui vivent des réalités très différentes. Ensuite, s’interdire de céder aux facilités et notamment aux ciblages uniquement déterminés par catégorie d’âge. Enfin, faire preuve de curiosité pour trouver les meilleurs insights, ceux qui feront mouche auprès d’eux. La Génération Z, comme celles sans doute qui l’ont précédée, est pleine de contradictions, tiraillée entre ses besoins individuels et des enjeux collectifs qui la dépassent. Comprendre les jeunes, c’est avant tout comprendre l’époque dans laquelle ils évoluent : les crises sanitaires, les crises économiques, les crises environnementales, mais aussi appréhender leurs exigences, leurs besoins, leurs espoirs. C’est le rôle des communicants d’identifier et d’intégrer ces nuances et cette multitude d’aspirations. Pour offrir des expériences, des contenus, des produits qui soient pertinents, originaux, qui sauront les toucher ou les interroger, dans le fond comme dans la forme. Pour, enfin, trouver une place dans leur quotidien et jouer un rôle dans le futur de cette génération aussi riche que passionnante.

 

En résumé

Focus sur Dix Sept Paris
L’agence conceptrice d’expérience des Maisons de luxe a été créée en Janvier 2016 par Elsa Barbier, Directrice Media (auparavant chez Rapp digital, DDB Group) et Wilfried Klucsar, Directeur du développement (ex : Reflex Paris).
Dix Sept Paris accompagne les Maisons de beauté et de luxe dans leur prise de parole digitale : Social, Media & Brand content.
Elle compte parmi ses principaux clients : Lancôme, L’Oréal Paris, Eau Thermale Avène, Kenzo Parfums, Miu Miu Parfums, Hugo Boss.

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