7 avril 2015

Temps de lecture : 4 min

L’avenir désempare les futurologues…

Que se passe-t-il quand l'accélération de l'histoire s'additionne à l'instantanéité croissante du présent ? L'avenir se transforme en impasse. Se retrouvant plongés dans des abîmes de perplexité, futurologues, cartomanciennes et prévisionnistes rendent leur tablier...

Que se passe-t-il quand l’accélération de l’histoire s’additionne à l’instantanéité croissante du présent ? L’avenir se transforme en impasse. Se retrouvant plongés dans des abîmes de perplexité, futurologues, cartomanciennes et prévisionnistes rendent leur tablier…

Il fut un temps béni (autrefois), où professionnels de la prévision et éminences grises des think tanks anglo-saxons se réunissaient paisiblement autour du feu de bois d’un chalet du Colorado, sur le bord d’une plage californienne ou dans le creux d’un amphithéâtre du Connecticut entouré de pinèdes et de jeunes daims en liberté. Chacun jouant sa partition avec jouissance. À gauche, les héritiers du progrès bienfaisant et de la main invisible ; à droite, les preachers de l’apocalypse certifiée, catastrophistes et millénaristes de tous poils.

Ainsi, John Naisbitt, Alvin Toffler, Edward de Bono, Faith Popcorn, Ivan Illich, Isaac Asimov, munis de leurs megatrends (ndlr : ou hypertendance, est une tendance sociétale qui affectera tous les domaines de notre vie dans les années à venir), « cartes du futur » et autres « troisièmes vagues » refaisaient le monde, comme on joue au ping-pong. Ces débats sans fin se poursuivent de nos jours (cf. The Bet – and Our Gamble over Earth’s Future, de Paul Ehrlich et Julian Simon, Paul Sabin, 1980), mais ils n’attirent plus les foules. De ce côté-ci de l’Atlantique aussi, les joutes futuristes fleurissaient de temps à autres. Cornelius Castoriadis, Jacques Lesourne, Thierry Gaudin, Alfred Sauvy ou Jacques Attali y prenant un malin plaisir.

Se concentrer sur le chantier du présent

Aujourd’hui, les « travailleurs du futur » ont remisé tarots et boules de cristal au placard. Comment en effet jouer au futur si son adversaire ne cesse de sortir de sa main des cartes inconnues de tous et qui ne faisaient pas partie du jeu cinq minutes auparavant ? Chacun préférant désormais se concentrer sur le chantier du présent, déjà lui-même indéchiffrable. Munis de leurs piolets et de leurs cordes de rappel, les Slavoj Žižek, Jeremy Rifkin, Ilya Prigogine, Fabrice Hadjadj, Hartmut Rosa ou Jaron Lanier attaquent avec avidité la montagne complexe du monde actuel par toutes ses faces.

Une escalade qui finit par un constat unanime, entrevu à travers les brumes du sommet : la fin du capitalisme, épuisé par ses excès, ses mystifications, ses fausses promesses. Que ceux-ci soient : 

– technologiques : une robotisation « super intelligente » (un stade de sophistication qui dépasse, de loin, celui de l’intelligence artificielle) relègue le corps social au fin fond de la société, l’homme, y compris l’intellectuel, devenant lui aussi « trop cher ». In fine, Internet ne détruit-il pas plus d’emplois qu’il n’en crée ?

– multiculturels : une « hégémonie » source d’illusion démocratique, où la charia se voit appliquée dans certaines communautés européennes en accord avec le droit du pays d’accueil, déclinaison alternative d’un universalisme en situation d’échec par ailleurs ;

– temporels : l’aliénation par l’accélération permanente, la fragmentation des perspectives, la perte d’une autodétermination, la désynchronisation sociale ;

– spirituels : dépourvue de mémoire longue et en l’absence d’un futur assuré, la jeunesse occidentale se perd dans un post-humanisme qui écrase l’humain, via le technicisme, l’écologisme ou le fondamentalisme ;

– sociaux : le jeu et la jouissance digitalisés nous enferment dans des univers interactifs obsessionnels avec, à la clef, une absence totale de résultats tangibles ;

– géopolitiques : le caractère mensonger de la guerre américaine contre le terrorisme exacerbe le choc des civilisations, tellement espéré par les faucons de toutes plumes. Que vaut la Septième flotte américaine, la plus puissante du monde, face à un Occident en situation de perdre la guerre des idées ?

– économiques : quelle place à la relation humaine, à la culture, à la paix, dans une économie où l’analyse prédictive sera très bientôt capable de déterminer, à six mois près, la date de votre mort ?

L’irréalité de l’inimaginable

On comprend mieux, dès lors, la prudence à éviter le prédictif à trop longue vue. Car ces analystes pointus sentent bien que les turbulences de nos vies contemporaines s’accumulent plus rapidement que la vitesse des êtres humains et des organisations à générer leur propre résilience. À quoi bon, dès lors, prédire de sombres lendemains alors même que nous pataugeons dans les sables mouvants d’une réalité inatteignable ! Sorte de mix bizarroïde, mélange de Metropolis et de Brazil, où même l’impensable deviendrait possible. À ce rythme-là, Dostoïevski va redevenir furieusement in : « L’homme ne renoncera jamais à la vraie souffrance, c’est-à-dire à la destruction et au chaos. »

Voilà toute la différence, à quelques années de distance, entre la Chute du mur de Berlin et l’effondrement des Twin Towers. L’événement du 10 novembre 1989, si brusque fut-il, faisait partie des scénarios, certes improbables à court terme, au sein des états-majors de l’Est comme de l’Ouest. Alors que l’attentat du 11 septembre 2001 connecte la réalité du drame immédiat à l’irréalité de l’inimaginable. Ce malheur dépasse, en niveau de tension, la guerre froide de jadis, durant laquelle l’épée nucléaire de Damoclès n’était censée se déclencher qu’à partir d’un crescendo violent, mais tangible. À l’inverse, l’irruption médiatique (mise en boucle) du choc suicidaire « avion de ligne contre béton armé » tue la promesse d’avenir. « L’histoire est sortie de ses gonds », comme le résumait Thérèse Delpech, directrice des affaires stratégiques au CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives) et chercheur associé au Centre d’études et de recherches internationales (CERI). Nous n’attendons plus rien de l’histoire qui vient, sinon que de pouvoir durer.

Sortir par le haut, du chaos et des idées ?

Retrouvez la suite de cet article dans la revue digitale  » Le Futur « .

Illustrations : Laurent Duvoux

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