Avec Travel Mode, Zara s’inspire d’Airbnb et explore les nouveaux territoires du tourisme connecté
Zara vient de lancer une offensive inattendue : Travel Mode, une fonctionnalité intégrée à son application mobile, entre lifestyle, tourisme et stratégie omnicanale. Une diversification prometteuse, mais non sans risques.
Il y a quelques années encore, l’idée d’un rapprochement stratégique entre une enseigne de prêt-à-porter et l’univers du tourisme aurait pu sembler incongrue. Pourtant, les lignes bougent. À l’instar d’Airbnb, qui cherche à se réinventer au-delà de son modèle de location entre particuliers en développant une offre tournée vers les expériences locales, Zara s’aventure désormais sur ce même terrain en intégrant à son application mobile une nouvelle fonctionnalité baptisée « Travel Mode ».
Ce dispositif, actuellement déployé dans six villes (Londres, Manchester, Tokyo, Kyoto, Milan et Rome), entend accompagner les consommateurs pendant leurs voyages. En activant le Travel Mode — soit automatiquement via la géolocalisation, soit manuellement — les utilisateurs peuvent consulter les produits disponibles dans leur pays de destination, effectuer des achats livrés directement à leur hébergement, mais aussi accéder à des recommandations locales sur les restaurants, musées et lieux d’intérêt. Un service enrichi par la possibilité d’envoyer des cartes postales numériques à ses proches, dans une logique résolument servicielle.
Si Zara n’en est pas à ses débuts dans l’exploration de services annexes — comme en témoigne le lancement du concept Zacaffé dans certaines boutiques —, Travel Mode franchit une étape supplémentaire dans la logique omnicanale de la marque. Il ne s’agit plus simplement d’harmoniser les expériences entre le digital et le physique, mais bien d’installer la marque dans une dimension contextuelle et émotionnelle : celle du voyage, de la découverte et du lifestyle.
Ce virage stratégique traduit une volonté plus large de renforcer l’engagement client en s’immisçant dans des moments de vie hors des usages traditionnels de la mode. En s’inspirant d’Airbnb, Zara ne cherche pas à concurrencer frontalement les géants du tourisme, mais à s’adosser à des usages croissants liés à la mobilité. Le shopping en voyage, loin d’être anecdotique, représente une part significative de la consommation touristique. En intégrant des services comme la livraison à l’hôtel et des suggestions culturelles locales, la marque transforme sa relation client en relation d’accompagnement.
Une opportunité stratégique… mais à double tranchant
Cette diversification vers un univers serviciel soulève plusieurs questions. Sur le papier, Travel Mode permet à Zara de prolonger l’acte d’achat au-delà des murs du magasin ou du cadre domestique. Elle capte l’attention d’un consommateur en mouvement, en recherche d’expérience, souvent plus enclin à la dépense spontanée. Elle offre aussi une réponse concrète à l’attente d’hyper-personnalisation, devenue une norme sur les plateformes numériques.
Mais ce positionnement n’est pas sans risques. En cherchant à multiplier les points de contact et à embrasser un rôle plus global dans la vie de ses clients, Zara pourrait diluer son ADN de marque de mode. Le danger serait de devenir un acteur « fourre-tout » du lifestyle, au détriment de sa légitimité première. L’autre défi majeur réside dans la gestion opérationnelle d’un tel service : garantir des livraisons rapides et fiables à l’international, s’adapter aux régulations locales, maintenir une interface cohérente sur l’ensemble des marchés, sans alourdir l’expérience utilisateur.
Une réponse aux mutations profondes du commerce
Au-delà des ambitions propres à Zara, Travel Mode s’inscrit dans une tendance plus large : celle d’une hybridation croissante entre commerce, service et contenu. À l’heure où le retail cherche à se réinventer face à la montée en puissance des plateformes, la création d’un écosystème élargi est devenue une nécessité stratégique. Offrir plus qu’un produit — offrir une expérience — devient un levier différenciant.
Zara semble l’avoir bien compris. En plaçant la mode dans le sillage du tourisme et de la découverte culturelle, elle tente de capter une audience mobile, connectée, avide d’expériences nouvelles. Une stratégie qui résonne avec celle d’Airbnb, dont la dernière évolution consiste justement à rendre son application accessible à tous, sans réservation de logement préalable, afin de proposer des services annexes (cours de cuisine, visites guidées, massages, etc.) et se positionner comme une plateforme complète du voyage.
En bref, Zara, comme d’autres géants du commerce, entrevoit dans l’économie de l’expérience un relais de croissance stratégique. Si Travel Mode reste pour l’heure un service en phase de test dans quelques villes pilotes, sa mise en place pourrait préfigurer un repositionnement plus large du groupe Inditex. L’habillement n’est plus un simple acte fonctionnel, mais un moment de vie à inscrire dans un récit plus global, une expérience à scénariser. Dans cette dynamique, les marques ne se contentent plus de vendre des produits : elles cherchent à être présentes dans les moments qui comptent. Vacances, déplacements professionnels, city breaks… autant de contextes où se joue désormais la fidélité. Et si la prochaine grande bataille du commerce ne se jouait plus seulement sur les prix ou la mode, mais sur la capacité à accompagner les styles de vie ?