30 avril 2024

Temps de lecture : 3 min

« Meta est agressif et semble prêt à lutter contre les lois qui le dérangent en Australie », Terry Flew

Professeur spécialisé dans les médias et la communication à l’Université de Sydney, Terry Flew a suivi de très près le vote en 2021 de la « loi » qui a obligé les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) à rémunérer les médias australiens dont ils diffusent les contenus. Le modèle choisi, basé sur la négociation et non pas la contrainte, a toutefois montré ses limites. L’UE devrait s’inspirer de cette expérience pour préparer son bras de fer avec les géants du web.

 

INfluencia : L’Australie, qui est pourtant considéré comme un pays assez libéral, a été le premier pays à obliger les GAFA à rémunérer les médias dont ils diffusent les contenus. Comment est né ce bras de fer entre Canberra et les géants du web ?

Terry Flew : l’étincelle a été allumée lorsque Facebook a exclu de toutes ses plateformes les contenus des médias australiens afin de protester contre le projet gouvernemental qui prévoyait d’obliger les plateformes numériques à offrir aux organes de presse dont elles diffusent les contenus une compensation financière. En 2021, le gouvernement était contrôlé par le libéral Scott Morrison. Son parti disposait de la majorité à la Chambre des représentants du Parlement mais il devait s’allier avec des indépendants et des petites formations pour faire voter des textes au Sénat. C’est un de ces indépendants qui a imposé au gouvernement d’inclure dans son projet une clause qui obligerait les plateformes du net à payer des compensations aux médias australiens.

IN : La pression populaire à l’encontre des GAFA était-elle forte à l’époque ?

T.F. : on ne peut pas vraiment dire cela. Cet accord est surtout politique. Les éditeurs de médias d’information ont toujours été connus pour être assez puissants en Australie. C’est le cas notamment de Rupert Murdoch. Ce sont eux qui ont poussé en faveur de la mise en place d’un texte contraignant à l’encontre des plateformes.

IN : Aucune loi globale n’a pourtant été votée…

T.F. : en effet. Le gouvernement a choisi une autre option. Il a demandé aux GAFA et aux médias de conclure des accords à l’amiable. Dans le cas contraire, les plateformes seraient officiellement « désignées » (« designated ») par Canberra. En d’autres mots, elles seraient contraintes de payer un montant imposé par les pouvoirs publics.

IN : Des accords ont été signés par toutes les acteurs impliqués ?

T.F. : non mais même aujourd’hui, le plus grand flou existe sur ce sujet. Les accords conclus entre les médias et les GAFA sont confidentiels. On ne sait donc pas qui les a signés et quels ont été les montants payés.

IN : N’a-t-on réellement aucune idée des sommes qui sont versées par les GAFA.

T.F. : les estimations varient autour de 200 à 250 millions de dollars australiens par an (121 à 151 millions d’euros). On sait que l’extrême majorité de ces sommes est versée à quelques rares médias (près de 90% des compensations seraient payées à NewsCorp de Rupert Murdoch et aux chaînes télévisées Seven et Nine n.d.l.r.) mais nous n’avons aucun détail précis. Nous savons que certains médias, comme la chaîne de télévision publique SBS, n’ont pas conclu d’accord avec les GAFA. L’autre chaîne publique ABC, elle, l’a fait. Elle a même déclaré que les compensations versées lui avait permis de recruter 60 journalistes supplémentaires. Une trentaine de médias environ ont signé des ententes avec Meta et Google mais ce chiffre n’est qu’une estimation.

IN : Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas choisi d’imposer une loi qui s’applique à tous les médias et à l’ensemble des plateformes numériques ?

T.F. : le gouvernement estime que ces différents acteurs ont tout intérêt à s’entendre et qu’il n’a donc pas à interférer dans leurs négociations.

IN : Les accords conclus en 2021 arrivent à échéance à la fin de cette année. Vont-ils être automatiquement reconduits ?

T.F. : ce n’est pas du tout évident. Meta, en particulier, estime que l’information génère à peine 3% du trafic sur ses plateformes. Il menace donc de ne plus proposer de news sur ses réseaux. C’est déjà le cas sur Facebook et ses algorithmes ont fortement réduit le flux d’informations sur Instagram et Threads. Je pense que Meta se prépare à bannir toutes les news de ses plateformes comme il le fait déjà au Canada depuis que ce pays a déclaré vouloir instaurer une réglementation semblable à la nôtre. Meta est agressif et semble prêt à lutter contre les lois qui le dérangent.

IN : Google est-il plus nuancé ?

T.F. : cela semble être le cas. Google semble davantage disposé à agir en « bon citoyen ». Beaucoup de médias en Australie veulent toutefois éviter un bras de fer avec les plateformes car si leurs contenus étaient bannis de ces sites, ils perdraient une part non négligeable de leurs revenus.

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