1 juin 2022

Temps de lecture : 5 min

Adelaïde de Clermont-Tonnerre (Point de Vue) : « Elizabeth cristallise beaucoup d’enjeux de la société d’aujourd’hui »

L’Angleterre et le monde célèbrent, du 2 au 5 juin 2022, le jubilé de platine qui marque les 70 ans de règne d’Elizabeth II. Adelaïde de Clermont-Tonnerre, directrice de la rédaction de Point de Vue et présidente de Royalement Vôtre Edition, décrypte l’engouement médiatique et sociétal autour de cette souveraine à la longévité hors norme.

INfluencia : à l’occasion du jubilé de platine de la reine d’Angleterre, tous les médias y vont de leurs éditions spéciales, hors-séries, documentaires, podcasts… Que dit, selon vous, cette « Elizabeth mania » ?

Adelaïde de Clermont-Tonnerre : cette passion pour Elizabeth dépasse très largement les frontières du Royaume-Uni et même du Commonwealth, qui ont une histoire très évidente et incarnée avec la reine. En France, elle suscite un engouement déjà ancien et c’est d’ailleurs le pays qu’elle a le plus visité dans le monde, hors Commonwealth. Quand François Hollande l’avait reçue pour sa dernière visite d’Etat, beaucoup de Français l’acclamaient, la place du marché aux fleurs de Paris a été rebaptisée à son nom… Dans une période très anxiogène comme celle que nous traversons, nous avons besoin de plus en plus d’ancrage et Elizabeth est un point de permanence depuis des générations. C’est vrai dans son royaume où moins de 10 % des gens sont plus âgés qu’elle, mais aussi pour les Français qui s’identifient à cette famille mondialement médiatisée et très cathartique. On les voit naître, grandir, s’aimer et se déchirer. Ils deviennent une famille référence et particulièrement la figure d’Elizabeth, qui est un peu la grand-mère des Européens. On s’identifie aussi à elle car la pandémie a profondément bouleversé notre rapport aux personnes âgées. Chacun d’entre nous a vu leur fragilité, a eu peur pour eux, s’est aussi rendu compte de la manière dont on traitait nos aînés… Au-delà de sa situation personnelle, Elizabeth cristallise beaucoup d’enjeux de la société d’aujourd’hui.

On s’identifie aussi à Elizabeth, car la pandémie a profondément bouleversé notre rapport aux personnes âgées. Chacun d’entre nous a vu leur fragilité, a eu peur pour eux, s’est aussi rendu compte de la manière dont on traitait nos aînés…

IN : en tant que romancière, que vous inspire-t-elle ?

A. de C-T. : j’ai avant tout beaucoup d’admiration pour elle en tant que femme. La reine a un courage moral et physique hors normes. Elle a voué sa vie à sa fonction, continue de travailler et d’occuper le terrain à un âge où n’importe quelle autre personne serait à la retraite depuis trente ans ! La romancière est touchée par cette femme qui incarne une génération qui disparait ou qui a disparu. C’est le dernier chef d’Etat à avoir connu la guerre et à avoir servi pendant la guerre. Elle incarne des valeurs d’engagement, de service, voire de sacrifice, aujourd’hui perdues par une société devenue plus individualiste et personnelle. Elizabeth est entourée d’un grand faste mais, à titre personnel, c’est une femme qui ne gâche pas et dont les valeurs sont proches des préoccupations écologiques. On a aussi une immense tendresse envers cette femme que l’on voit aujourd’hui un peu chancelante, à qui plein de gens aimeraient donner le bras alors que l’on n’a pas le droit de toucher la reine. L’immense solitude liée à sa fonction et cette fragilité sont assez bouleversantes. Depuis la mort de son mari le Prince Philip, elle se confie beaucoup plus. Elle a abordé dans son discours de Noël des choses intimes qu’elle n’avait jamais osé dire avant. Pour un grand documentaire de la BBC, elle a confié des archives absolument privées… Après des décennies de devoir, elle est dans une telle relation de confiance avec ses concitoyens que, dans sa 96e année, elle fend un peu l’armure. Et ça aussi, en tant que romancière, c’est très touchant.

Après des décennies de devoir, Elizabeth est dans une telle relation de confiance avec ses concitoyens que, dans sa 96e année, elle fend un peu l’armure

IN : dans une société d’hyper-communication, la reine s’exprime peu. Ses discours sont pourtant toujours très remarqués…

A. de C-T. : elle s’exprime toujours avec beaucoup de subtilité. Pendant la pandémie, dans son fameux discours qui a marqué tellement de gens et bien au-delà de son pays, elle disait « We will meet again ». C’était une très jolie allusion à une chanson qui avait beaucoup compté pendant la guerre, avec laquelle les Britanniques se donnaient du courage dans la perspective de retrouver leurs familles. Dans la manière dont elle gère les crises familiales, notamment avec Harry et Meghan, chaque mot des communiqués de Buckingham est extraordinairement bien posé. Il y a une vraie fermeté sur la ligne – la couronne passe avant nos problèmes familiaux – mais toujours beaucoup d’affection. Un autre point me semble intéressant : la reine, qui n’est pas dans un rapport d’élection, s’accorde toujours le temps long. Son rôle étant assuré jusqu’à la fin de sa vie, elle peut se permettre de voir l’intérêt général.

IN : comment voyez-vous arriver tous les médias sur le « terrain » de Point de Vue ?

A. de C-T. : on comprend que beaucoup de médias surfent occasionnellement sur cet engouement mais cela ne détrône pas l’expertise de Point de Vue qui reste très référent et travaille en permanence sur ce sujet avec de très bons spécialistes. D’une certaine manière, cela m’amuse car il y a eu pendant longtemps des commentaires un peu caustiques ou ironiques sur le magazine. Considérer que la monarchie est archaïque, c’est une vision finalement très ethnocentrée et nombriliste. En France, nous avons changé de régime il y a longtemps – et c’est tant mieux – mais ce n’est pas le cas de la moitié des pays européens. La monarchie, c’est aussi un élément de modernité. A la génération prochaine, il y aura une jeune reine en Espagne, en Suède, en Belgique…, quand en France nous n’arrivons toujours pas à élire une femme à la présidence de la République.

Considérer que la monarchie est archaïque, c’est une vision finalement très ethnocentrée et nombriliste. C’est aussi un élément de modernité. A la génération prochaine, il y aura une jeune reine en Espagne, en Suède et en Belgique

IN : des couvertures sur la couronne britannique sont-ils toujours un gage de succès ?

A. de C-T. : la famille d’Angleterre reste un blockbuster par son rayonnement mondial, comme les Monaco ou même la cour espagnole… Point de Vue est un magazine d’actualité et dès qu’il y a de l’actualité, ça cartonne. D’une certaine manière, ce magazine qui a bientôt 77 ans a grandi avec la reine. Notre première couverture en couleur était consacrée à Elizabeth. Elle est très francophile et nous avons la chance qu’elle nous lise. Le magazine reste totalement référent sur l’actualité de la couronne britannique et, pour le jubilé, beaucoup de nos journalistes seront présents dans les éditions spéciales des chaînes de télé. Nous avons aussi noué un partenariat avec RTL avec un podcast et une série d’été qui s’appuiera sur notre expertise.

IN : quelle est la place et l’ambition de Point de Vue TV, lancée à l’été 2021 ?

A. de C-T. : nous l’avons lancée sur TVPlayer comme une sorte de mini plateforme qui permet à ses abonnés de projeter les contenus sur tous les écrans. Nous étions très contents d’arriver en mars 2022 sur la TV d’Orange car cela décuple notre audience. La plateforme est une extension assez merveilleuse pour de suivre en mouvement les personnages et les centres d’intérêt de Point de Vue (patrimoine, lifestyle, mode, gastronomie…), faire vivre et explorer ce monde qui fait rêver nos lecteurs, avec des séries comme La Comtesse Rouge, des documentaires pour la plupart inédits en France que l’on traduit pour explorer ce monde des palais royaux, des familles royales. Des accords ont été passés avec des télévisions suédoise, belge… pour aller chercher du contenu premium que l’on traduit. Dans le magazine, nous réagissons à chaud sur l’actualité mais nous voulons aussi créer de l’information durable. La télévision permet d’avoir des propositions immersives pour s’enrichir et de se distraire dans un monde qui semble inaccessible.

La série La Contesse Rouge diffusée sur Point de vue TV

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