Une marque peut-elle être activiste ? La responsabilité sociale d’entreprise est-elle une exigence finalement surannée ? Quand notre monde devient meilleur, les marques peuvent générer plus de profits. INfluencia en parle avec Benoît Beaufils d’Innate Motion.
A tous les défaitistes qui pensent encore qu’une marque ne peut pas endosser le costard risqué et pernicieux d’un activiste, Patagonia redonne de l’espoir. Les marques, premiers acteurs du changement ? En tout cas elles ont leur mot à dire et le mois dernier, son directeur marketing Strick Walker, nous avait expliqué son engagement écologique et sa stratégie publicitaire. L’an dernier le magazine Fast Company consacrait dix pages à un dossier spécial sur ladite génération flux. Le constat de l’enquête, qui s’est notamment intéressée à la réussite du modèle éthique de Chipotle devrait faire réfléchir : ce sont les entreprises dont la mission première est une valeur positive et non pas l’argent, qui finalement encaissent le plus en banque.
Un des facteurs de cette réussite commerciale réside dans l’efficacité des campagnes publicitaires. Le point commun entre celles de Dove, Chipotle et Patagonia ? La revendication de leur responsabilité sociale – corporate social responsibility (CSR) en anglais. Dans un rapport du printemps 2015, Business for Social Responsability s’est penchée sur la capacité des marques à utiliser les principes du CSR pour construire une relation de confiance et de loyauté avec le consommateur. Une question essentielle demeure: une marque peut-elle être activiste? Pour nourrir le débat, INfluencia a discuté avec le Français Benoît Beaufils, founding partner chez Innate Motion, chantre d’un marketing humanisé et d’un branding par la valeur collective.
INfluencia : comment le mot « activiste » peut-il s’appliquer à une marque à moins qu’elle ne décide de vendre en priorité une cause et plus un produit ?
Benoît Beaufils : la raison d’être des entreprises est de faire du profit, il n’est pas crédible de prétendre le contraire. Cependant les entreprises fonctionnent dans un écosystème beaucoup plus large que la relation clients-entreprises. Les fournisseurs, le tissu social des régions où ils travaillent, les ONG qui scrutent leurs activités… tout cela fait partie de leur environnement et ont un impact sur elles. Les clients eux-mêmes ne sont pas seulement des “clients” ou des “consommateurs”, mais des gens normaux avec des opinons citoyennes, des émotions humaines… Le développement d’internet fait que les opinions des gens comme citoyens, comme consommateurs, comme individus, se mélangent et résonnent entre elles. Il n’y a plus quelques activistes et des millions de consommateurs passifs : tout le monde a un avis et c’est une bonne chose. On achète donc un produit aussi parce que la réputation de l’entreprise est bonne, ou bien on le rejette parce qu’elle est mauvaise.
Il y a peu, nous avons entendu des adolescents espagnols nous expliquer “qu’avant ils achetaient du Coca-Cola, mais que maintenant la société a fermé une usine dans leur région, alors ils n’en achètent plus”. Ils avaient 16 ans et ils votaient déjà avec leur porte-monnaie. Les entreprises ont compris l’importance de leur réputation il y a longtemps et de ce fait ont mis en place des politiques pour la développer, via des actions de “responsabilité sociale d’entreprise” (CSR). Mais pour moi ce mode de fonctionnement a deux défauts : primo lorsque des actions positives (même si elles sont vraiment utiles) sont faites “à coté” d’une pratique d’affaires douteuses, personne n’est dupe. Est-ce que les banques impliquées dans le scandale de manipulation du Libor sauvent leur réputation parce qu’elles ont des actions en faveur de l’accès à l’eau potable, ou supportent de jeunes artistes? Secundo, les actions de CSR restent des “coûts » et parce c’est un “coût”, elles sont rarement pratiquées à une échelle qui fait la différence. De plus, dès que les budgets baissent, elles disparaissent. Le CSR est donc trop facilement une excuse ou une pratique de “greenwashing”.
IN : concrètement que signifie et qu’implique donc le label « activiste » pour une marque ?
BB : Ce que nous appelons l’activisme d’entreprise consiste à imaginer une manière de faire des affaires qui relie fondamentalement l’intérêt de l’entreprise à celui de l’environnement dans lequel elle travaille. Par exemple, lorsque la marque Lifebuoy met en place des programmes de lutte contre la diarrhée infantile en apprenant aux enfants à se laver les mains, les familles en bénéficient, mais cela permet aussi d’augmenter le marché du savon. Lorsque Danone lance des actions en Indonésie rurale pour permettre à de petits entrepreneurs de vendre des préparations à base de lait vitaminé aux abords des écoles, cela permet aux enfants (encore largement sous-nourris en Indonésie) d’acheter des produits plus nutritifs que les snacks habituels. Cela développe donc de petits métiers, mais donne aussi la possibilité à Danone de vendre plus de lait. Danone comme Lifebuoy, ont conçu un système qui fait que plus elles travaillent pour leur cause (la santé infantile, la nutrition infantile) plus leurs affaires marchent. Ces actions ne sont plus un coût mais des investissements, des actions durables faites à une large échelle. Tout le monde y gagne. Il faut bien comprendre que l’implication pour les marques est importante : il faut apprendre à travailler en écoutant tout l’écosystème. Danone comme Lifebuoy travaillent avec des ONG, des médecins, et pas seulement avec des études de consommateurs. Il faut aussi développer d’autres compétences que celles de communication, comme faire travailler ensemble des acteurs à but lucratif et à but non lucratif. Il s’agit d’une réinvention de ce que le marketing peut être, pour concevoir et mettre en place des cercles vertueux entre causes et affaires.
IN : l’activisme de marque gagne t-il en popularité car il constitue une réponse aux désirs du consommateur ou bien est-ce l’inverse ?
BB : l’activisme d’entreprise se développe sous la pression des consommateurs et d’autres acteurs, comme les ONG par exemple. La pression exercée par des ONG comme Oxfam sur de grosses entreprises comme Unilever est pour beaucoup dans le développement de l’activisme. Mais certaines organisations ont le mérite d’avoir compris que plutôt que de lutter contre les ONG, il valait mieux travailler avec elles. A la fois parce que ces entreprises sont remplies de gens qui travaillent avec leur conscience, et qui trouvent un sens au fait de construire des programmes qui créent une valeur sociétale. D’autre part parce que les entreprises ont compris qu’il y avait là une valeur ajoutée pour elle. Unilever, par sa pratique environnementale, est moins exposée aux risques de scandales que d’autres – et cela a une valeur pour les actionnaires. Unilever est aussi devenue depuis le développement de son programme USLP de développent durable, une des entreprises mondiales les plus recherchées par les employés. Cela permet de recruter mieux et de renforcer la valeur économique. La générosité paie!
IN: au final combien de marques sont-elles vraiment activistes comme Patagonia, par exemple ? Le terme n’est-il pas un peu devenu un attrape-consommateur ?
BB : peu de marques mettent l’activisme au cœur de leur activité visible. C’est encore une pratique débutante. Beaucoup le souhaiteraient mais se rendent compte que c’est exigeant. Communiquer sur ce que l’on fait de bien représente aussi une prise de risque. En cas de faiblesse, on est plus exposé. C’est en fait une chance parce que cela oblige les entreprises à réfléchir profondément à leur pratique et à agir efficacement avant de communiquer sur ces actions. C’est le contraire du CSR. Beaucoup d’entreprise, cependant, y réfléchissent et commencent à agir, en améliorant leur approvisionnement, en réfléchissant à ce que leurs produits apportent comme bénéfices, et pas seulement comme perception. Comme souvent, quelques activistes font bouger l’ensemble.
IN : après tout une cause constitue un très bon levier d’engagement, c’est un atout pour l’activisme non ?
BB : des marques comme Patagonia, Dove, Ben & Jerry’s, Chipotle, ont une visibilité exceptionnelle par rapport à leur dépenses marketing. Parce que l’activisme consiste à s’engager sur des choses qui intéressent les gens, à prendre parti sur des batailles sociétales qui touchent tout le monde. Il n’y a pas de meilleure manière de faire parler de soi. Je ne pense cependant pas que l’activisme de marque soit un “truc” de marketing – parce que la pratique en est trop exigeante. Soit on fait réellement une différence, soit on est ridicule. Du point de vue du monde, c’est une bonne chose : plus les entreprises comprennent que pour faire du profit, il faut améliorer le monde dans lequel nous vivons, plus nous avons de chances de progresser !