20 avril 2023

Temps de lecture : 7 min

A l’heure de la permacrise, apprenons à danser sous la pluie

Face aux crises géopolitiques, économiques, climatiques, énergétiques et sociales qui s’accumulent et plongent les Français dans une profonde incertitude, la question demeure : comment vivre avec ce chaos qui semble s’installer toujours un peu plus ? Pour y répondre, les Français semblent avoir adopté trois stratégies : la compensation, l’adaptation ou encore l’action/réaction, qui sont autant de comportements auxquels les marques vont être confrontées pour engager leurs publics.

 

Doliprane, flemme réconfortante et quête d’extraordinaire : le triptyque des adeptes de la compensation

Selon YouGov, Doliprane était la marque la plus populaire auprès des Français en 2022. Preuve, s’il en fallait, de la fatigue qui les a gagné depuis la crise sanitaire. Mettre en place une stratégie de compensation apparaît donc comme évidente pour des consommateurs en gueule de bois, qui souhaitent reprendre leur souffle et demandent réparation. Rien d’étonnant donc à constater l’essor d’activités de rattrapage, telles que le revenge shopping, le revenge travelling ou encore l’apparition de nouvelles plateformes reposant sur le « care », la bienveillance et la prise en compte de leur nouvelle vulnérabilité, comme avec l’application Black Elephant.

Ils cultivent également l’art de la flemme et la quête du confort

Face à la nécessité de trouver de nouveaux repères, les Français réévaluent leur relation au travail, devenu moins central (-36 points en 30 ans[1]) et aspirent à retrouver des marqueurs positifs de leur passé en convoquant une certaine nostalgie itérative. Ils cultivent également l’art de la flemme et la quête du confort, à l’heure où 52% [2] des 25-49 ans hésitent à sortir et préfèrent leur canapé. En revanche, quand les Français se décident, alors l’expérience à l’extérieur doit devenir intense et répondre à une nouvelle exigence : celle de l’extraordinaire pour maximiser le présent.

pourquoi ne pas aider nos contemporains à dégager un ROI de la flemme ?

Ainsi, afin de s’adresser aux consommateurs ayant adopté cette stratégie de compensation, les marques n’ont d’autre choix que de puiser dans leur énergie et fondamentaux pour attirer, engager et proposer des expériences rayonnantes et galvanisantes.

  • Une autre histoire: puiser dans l’histoire d’une marque est essentiel pour valoriser ou réinventer une culture commune, alors que les individus sont en quête de repères et d’objets transitionnels rassurants. Une marque peut alors revisiter nos icônes, à l’image de Cartier avec sa campagne Tank, mettant en scène Catherine Deneuve à différentes étapes de sa carrière d’actrice ;
  • L’expérience, nouvelle vague: pour intensifier la rencontre, les marques peuvent chercher à imaginer de nouvelles résonances (omni)contextuelles, pour vivre des expériences toujours plus intenses et immersives, incluant autant que possible l’humeur ou les émotions, comme la dernière exposition Chanel, le Grand numéro, qui offrait une véritable expérience olfactive ou encore l’incursion de l’école Poudlard au salon de l’étudiant pour recruter, comme une école de commerce, les nouveaux gamers de « Hogwarts Legacy ».
  • La ré-compense: ou comment valoriser le temps pour soi, comme celui réservé aux pauses qui ne devraient pas être considérées sémantiquement comme des « temps morts ». Puisque la fatigue est généralisée et que les Français sont les champions du temps libre parmi les pays de l’OCDE, pourquoi ne pas aider nos contemporains à dégager un ROI de la flemme ? En les poussant par exemple à en profiter plus à l’instar de ce que nous propose le petit bonhomme de TikTok pour passer moins de temps sur l’application car « la vraie vie est ailleurs ».
Nouvelles mentalités et changement d’échelle : le crédo de ceux qui s’adaptent

Après la compensation vient l’adaptation : on accepte et accueille plus ou moins ce nouveau réel avec son lot de contraintes et de nouvelles normes, mais surtout, on fait avec, en travaillant sa résilience.

Il s’agit de vivre avec son temps, à l’heure de la plateformisation, automatisation, virtualisation qui invisibilisent progressivement une partie de notre monde, à la fois pour en supprimer les irritants (plus d’action de paiement, de ticket de caisse…) mais aussi pour en effacer les traces (plus de cuisines visibles, plus de cookies…), afin d’imaginer peut-être passer plus vite au suivant en composant avec le flou !

assumer enfin son côté Bridget Jones avec une France qui comptera 44% de foyers solos d’ici 2025 selon le CREDOC.

Vivre avec son temps, c’est aussi embrasser les nouvelles réalités d’une société dans laquelle les mentalités évoluent pour inviter positivement la sobriété dans sa vie et considérer l’altérité dans toute sa différence. Et alors que la circularité des biens continue de croitre, elle donne naissance à de nouveaux business models, parfois surprenants, comme Squeaky Clean Toys, le marché seconde main des sex toys. S’adapter, c’est aussi accepter de nouveaux modèles et représentations, comme assumer enfin son côté Bridget Jones avec une France qui comptera 44% de foyers solos d’ici 2025 selon le CREDOC.

 

Parallèlement, plusieurs signaux nous invitent à observer cette stratégie d’adaptation au travers d’une réconciliation entre l’Humain et la nature, le vivant, pour mieux l’intégrer dans chacune de ses réflexions (Exposition « Vivant » de la fondation Good Planet, « Les Vivants » à la fondation Cartier, ou encore le film documentaire « Le Chêne et ses habitants »). Il s’agit également de changer d’échelle de temps et d’espace. Comme avec le retour des trains de nuit de l’Orient Express ou les trains lents de Ouigo, et promouvoir les espaces collaboratifs, dans la ville (avec les fermes urbaines ou le co-living) comme dans le métavers (l’Elite Education City, programme éducatif associé à la blockchain). Il s’agit aussi d’investir de nouveaux lieux, comme les sous-sols vides des parkings désormais moins utilisés, avec déjà 20 projets lancés à Paris depuis 2017.

Cela passera sans doute par un glissement de posture de marques davantage orientées vers le Système D.

Pour répondre à ces comportements d’adaptation, les entreprises et leurs marques doivent imaginer les leviers de la désirabilité d’un mode de vie qui parait a priori plus contraint pour qu’un Robinson heureux puisse émerger. Cela passera sans doute par un glissement de posture de marques davantage orientées vers le Système D.

Les entreprises ont alors trois options :

  • Penser malin: alors que l’inflation pèse sur le budget des ménages, valoriser les Français qui se distinguent en trouvant LE bon plan transforme la contrainte en positif. C’est ce qu’a bien compris Canal+ en interpellant les moins de 26 ans avec son offre Rat+ ou Monoprix avec son offre « Je m’appelle Reviens ! ».
  • Proposer moins d’irritants et plus d’invitants: dans un monde de plus en plus automatisé, où même l’achat devient commodité, il est impératif de réhumaniser la relation, à l’image de la dernière campagne Fnac, mettant à l’honneur ses conseillers pour revendiquer sa liberté face aux algorithmes ;
  • Imaginer une approche de la sobriété plus universelle: les marques ont la responsabilité de proposer une sobriété désirable, l’ADEME ayant même démontré que la performance d’une entreprise augmentait de 7% lorsque la rentabilité intégrait l’éthique. Typology, la marque de beauté sans superflus, l’a d’ailleurs bien compris en lançant une campagne avec comme claim : « Le moins est parfois plus ».
Eco-anxiété et nouvel activisme : les citoyens entrent dans l’action/réaction

Pour mieux appréhender les transformations et ne plus rester dans cette zone de flou, certains aimeraient passer plus vite à l’action quand d’autres vont plus loin, en adoptant de nouvelles formes d’activismes. Allant de comportements plus vertueux tels le véganisme ou le flexitarisme à la désobéissance civile, aux blocages, en passant par des campagnes d’affichage ou des obstructions, le militantisme se muscle avec des moyens d’actions directes, quand 35% des Français jugent légitime de recourir à des actions violentes pour faire avancer une cause ou ses idées[3].

Tous partagent une même ambition : faire changer les choses à l’heure où Denis Colombi, dans son livre « Pourquoi sommes-nous capitalistes malgré nous », nous explique que pour beaucoup, il semblerait plus facile d’envisager la fin du monde que celle du capitalisme.

Pour opérer ce changement, il faut donc que la transition soit désirable. Ce qui implique un effort conjoint entre des individus plus engagés, des marques de plus en plus politiques et une technologie véritablement servicielle. Alors que la sobriété numérique est probablement celle qui demandera le plus d’efforts pour être mise en place, les technologies seront de précieuses alliées pour nous accompagner vers ce nouveau monde. D’abord, pour préserver nos libertés afin de nous réapproprier notre identité et notre data, comme avec l’ambition affichée du Web 5, mais également pour booster notre créativité avec les progrès permis par l’IA générative.

Si l’inquiétude est forte, 54%[4] des Français pensent que nous avons la capacité de surmonter les crises actuelles. Les marques doivent donc savoir être présentes dans les bons comme les moins bons moments, en évitant l’injonction. Mais alors comment peuvent-elles devenir les alliées des consommateurs en quête d’action ?

  • En faisant preuve de néo-activisme: les Français sont sensibles aux engagements et aux actions des marques pour l’inclusion ou le climat quand ils sont clairement lisibles et durables, comme Airbnb qui, depuis 2015, s’engage en faveur des migrants. Cela peut aller jusqu’à l’apprentissage de la transgression ou l’opportunisme (hacking de situation) pour marquer les esprits, comme le Bescherelle qui démontre par l’absurde que connaitre l’orthographe des mots est essentiel pour bien utiliser l’Intelligence Artificielle ;
  • En distillant l’optimisme: les marques possèdent plusieurs leviers pour aider à résister autrement à l’époque, au premier rang duquel celui de profiter de chaque occasion pour diffuser l’optimisme. C’est Lidl qui donne vie à une farce de 1er avril en faisant gagner une véritable Mini Lidl à ses clients ;
  • En partageant leur valeur: pour être une véritable alliée, la marque doit être encore plus capable de définir ce qui la singularise sur son marché. Cette réflexion sur ce qui fonde leur valeur et finalement ne « peut être volé » est au cœur de la démarche de la raison d’être des entreprises. Et au-delà de partager sa valeur, une marque doit être à même de la redistribuer, à l’image de la reprise d’un McDonald’s à Marseille par d’anciens salariés pour en faire une cantine solidaire, l’Après M.

En temps de crise, chacun réagit donc à sa manière. Certains se tournent vers le confort, l’adaptation progressive, d’autres vers l’activisme, mais ces trois comportements ont un point commun majeur : celui de composer et d’essayer de vivre avec les crises qui semblent désormais sans fin. A l’image des consommateurs, les marques doivent faire preuve de créativité afin de proposer des expériences inédites et mémorables, de diffuser de l’optimisme ou encore de proposer des outils pour naviguer en temps de crise et co-construire le monde de demain. Car comme le rappelle très justement Sénèque : « Il ne s’agit pas d’attendre que l’orage passe, mais d’apprendre comment danser sous la pluie.

[1] Baromètre Opinion Way 2023.

[2] Fondation Jean Jaurès x Ifop – « Grosse fatigue et épidémie de flemme », 2022.

[3] Ifop – « Le regard des Français sur la violence dans les manifestations contre la réforme des retraites », 2023 ;

[4] Opinion Way pour SciencesPo Cevipof, Baromètre de la confiance politique / vague 14 – Février 2023.

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