Polémique Shein & BHV : Le cynisme comme axe de communication à tous les étages !
Face aux polémiques qui s'enchaînent contre l'ouverture d'un espace Shein au BHV, la communication cynique et maladroite des dirigeants n'arrange rien !
Nouveau rebondissement dans « l’affaire Shein » : une douzaine de fédérations et une centaine de marques assignent en justice l’entreprise chinoise pour concurrence déloyale. Ce, huit jours avant une audience au tribunal judiciaire de Paris, lors de laquelle la plateforme risque d’être suspendue pour trois mois. Petit résumé grinçant de ce feuilleton médiatique.
Rarement l’ouverture d’un nouvel espace commercial n’aura fait autant de bruit que celui de Shein au 6e étage du BHV à Paris. A peine effectuée l’annonce un mois plus tôt du partenariat conclu entre la célèbre enseigne parisienne et le mastodonte chinois de l’ultra fast-fashion que déjà les levées de boucliers étaient en branle.
Ce qui n’a pas empêché les principaux acteurs d’adopter une communication particulièrement cynique qui ne résout rien sur le fond.
Une ouverture sous haute tension
Le 5 novembre, l’inauguration promettait d’être houleuse. Elle n’a effectivement pas déçu les caméras des chaînes d’information continue venues couvrir en live l’événement.
Les aficionados de Shein se sont rués en masse constituant très rapidement une impressionnante file d’attente digne d’un concert de Taylor Swift. De l’autre côté du trottoir, des élus parisiens de gauche sont venus gonfler les rangs des militants écologistes et altermondialistes qui conspuent le mercantilisme dévoyé de Shein.
Énorme file d'attente devant le BHV de Paris pour l'ouverture de la première boutique Shein. pic.twitter.com/ifC8B5hn04
Aux récriminations et noms d’oiseaux qui fusent de part et d’autre entre adeptes de vêtements à tout petit prix et détracteurs d’une mode esclavagiste et toxique pour l’environnement, est alors venu s’ajouter quelques jours plus tôt un grain de sable pas vraiment reluisant pour la plateforme chinoise.
Cette dernière est en effet sous le coup d’une saisine du parquet de Paris par la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes). Motif ? La commercialisation en ligne sur Shein de poupées sexuelles à caractère pédopornographique.
Puis c’est au tour du député LR, Antoine Vermorel-Marques, de signaler à la Justice que sur Shein, on trouve également en accès libre à la vente, des armes de catégorie A comme des couteaux zombie et des poings américains.
Il n’en faut pas plus pour embraser la polémique déjà bien bouillonnante sur l’arrivée de Shein au BHV où les principaux acteurs vont alors se livrer à des postures de communication où le cynisme suinte éhontément.
Contrition mielleuse chez Shein
Dos au mur et pour ne pas risquer le blocage de son site de commerce électronique demandé par les autorités de tutelle, Shein suspend illico l’accès à sa place de marché qui accueille des vendeurs tiers qui sont précisément à l’origine de la mise en vente des objets interdits. Porte-parole de Shein en France, Quentin Ruffat fait acte de contrition dans un communiqué envoyé à l’AFP qui
« prend acte de l’annonce faite aujourd’hui par le gouvernement. La sécurité de nos clients et l’intégrité de notre marketplace sont nos priorités absolues. L’entreprise souhaite engager dans les plus brefs délais un dialogue avec les autorités françaises ».
Tout à son opération de déminage face au couperet judiciaire qui menace, Quentin Ruffat en vient même à verser sur le plateau de RMC dans l’auto-absolution si on l’écoute bien :
« C’est un dysfonctionnement interne dans notre process et notre gouvernance, on en a pris la mesure avec une réponse rapide. Nous avons pris des mesures à la hauteur et avons été réactifs. Nous collaborerons à 100% avec la justice et répondrons à l’ensemble des questions qu’ils nous posent ». Formulé ainsi, on a presque envie de dire « faute avouée à demi pardonnée ».
La tentation du bouc émissaire
L’impétrant ose même une défausse additionnelle pour pondérer le rôle de Shein dans cette crise : « Cela n’excuse pas tout, il faut différencier la marque Shein qui vend des vêtements et la marketplace. Shein n’est qu’un intermédiaire ».
La classique invocation du bouc émissaire pour diluer la responsabilité de celui est sous le feu de toutes les critiques. Avec encore un peu plus de cynisme, il aurait même pu ajouter que Shein n’est pas la seule plateforme d’e-commerce confrontée à ce genre de dérives. Son concurrent chinois AliExpress est lui aussi visé par une enquête judiciaire pour des faits similaires.
Ce résipiscence qui ne respire pas l’honnêteté morale, perd également de vue une responsabilité légale fondamentale à laquelle l’entreprise chinoise est astreinte qu’elle le veuille ou non : le Digital Services Act (DSA).
Le règlement européen sur les services numériques oblige les acteurs du commerce en ligne à prendre certaines mesures en matière de modération et de surveillance des produits considérés comme illégaux dans le territoire de l’Union européenne. En cas d’infractions graves et récurrentes, les amendes peuvent atteindre jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires, voire à l’interdiction du service dans l’UE. Mais qu’importe, l’urgence est de faire retomber la pression sans trop concéder.
La provocation assumée du propriétaire du BHV
Face à cette controverse affectant son partenaire, on aurait pu croire que Frédéric Michel, le jeune repreneur fortuné du BHV, allait quelque peu grincer des dents à cause du risque d’image qui entraîne son magasin par ricochet. C’est bien mal connaître le personnage ! Dans les jours précédant l’inauguration de l’espace Shein au 6ème étage du BHV, il a fait installer sur la façade du magasin, une imposante affiche en noir et blanc où il figure tout sourire en photo avec Donald Tang, président exécutif de Shein. L’ensemble est surmonté d’un slogan provocateur : « L’affiche qu’on n’aurait pas dû faire ! ».
Syndicats, fournisseurs, politiques, ONG et membres du gouvernement ont beau être en ébullition contre cette arrivée jugée peu compatible avec la défense de l’industrie textile française, il n’en a rien à carrer et l’assène sans ambages dans un post qu’il publie sur Instagram :
« Ceux qui pensent que notre conviction n’est que quête de profit se trompent : j’ai peut-être plus à perdre qu’à gagner. Je le fais parce que je suis persuadé que c’est le sens de l’histoire — et je veux voir le BHV prospérer. L’arrivée de SHEIN au BHV se fait dans un cadre maîtrisé, avec une vérification rigoureuse de la provenance des produits ».
Un véritable visionnaire bienfaiteur à l’entendre !
Les autres sont des jaloux
Quand l’histoire des poupées pédopornographiques remonte à la surface médiatique, il reste droit dans ses bottes devant les micros. Toujours esquisse-t-il un petit air dubitatif en déclarant : « Quand j’ai appris ça, ce week-end, j’ai réfléchi à annuler le partenariat ». Avant d’embrayer aussitôt et balayer l’hypothèse d’un revers de main :
« Cela ne pourrait pas arriver dans un commerce physique. Les produits qui seront vendus par Shein dans nos magasins sont fabriqués dans des usines qui fabriquent aussi pour les marques pseudo-françaises ».
Et pan ! Une pierre dans le jardin des marques françaises qui ont fait le choix de déserter le BHV et qui seraient en fin de compte pas si vertueuses qu’elles ne le clament et peut-être jalouses du deal avec Shein.
Le sémillant Rastignac du commerce du détail est en revanche nettement moins prolixe sur un autre dossier où il est empêtré depuis de nombreux mois. Depuis le rachat du BHV fin 2023 par Frédéric Merlin, des dizaines d’enseignes ont dû faire face à d’importants retards de paiement sur leurs ventes effectuées au BHV.
D’après l’Union française des industries de la mode et de l’habillement (UFIMH), plus de 7 millions d’euros n’ont pas été versés par le grand magasin parisien. La Fédération française du prêt-à-porter féminin estime de son côté l’ardoise globale autour de 17 millions d’euros.
Accumulation des arriérés et immixtion de Shein ont entraîné depuis une hémorragie constante des marques qui claquent la porte (dont Dior et Guerlain récemment). Même si Frédéric Merlin reconnaît du bout des lèvres des impayés en cours de résolution, il reste inflexible et trop ravi de son coup de poker juteux avec Shein (8) : « Ce que je crois, c’est que c’est le moyen de sortir parce que leurs points de vente n’étaient sans doute pas bénéficiaires chez nous ». Et sans doute pour lui, le moyen de se refaire la cerise au regard de son bilan commercial peu brillant ?
L’Etat fait les gros yeux
Dans ce débat qui perdure depuis, le gouvernement a bien sûr tonné en menaçant d’interdire purement et simplement les activités de Shein en France si les manquements ne cessent pas de se produire à l’avenir. Dans l’immédiat, il a déjà obtenu la suppression des objets litigieux en vente sur la plateforme chinoise.
Il a également formulé une requête auprès de l’Union européenne afin qu’une enquête soit enclenchée sur les pratiques potentiellement délictueuses de Shein. En parallèle, il a engagé des poursuites judiciaires sur les violations qui ont été constatées. Enfin, il a évoqué l’idée d’instaurer une taxe de 2 € sur chaque article en provenance d’un pays extra-européen.
Toute cette agitation médiatique destinée à montrer que l’Etat n’allait pas rester les bras ballants face au rouleau compresseur qu’est Shein, a connu son point d’orgue le 6 novembre à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. Avec en tête d’affiche deux ministres, Amélie de Montchalin et Serge Papin pour croiser le fer avec la bête noire chinoise. Devant une nuée de caméras de télévision, le duo a alors inspecté des colis provenant de la plateforme pour repérer les produits hors normes réglementaires, ceux de contrefaçon ou encore dangereux pour la santé.
Evidemment, quand on cherche, on trouve . Et les deux douaniers du jour de déclarer : « Les premiers constats font déjà apparaître des produits non conformes et illicites, Lors d’une précédente opération, 80 % des articles n’étaient pas conformes à nos normes. ».
« un, ne sont pas aux normes, et deux, nourrissent un commerce illicite, ça fait beaucoup quand même. Je trouve qu’il serait grand temps qu’on s’en occupe ».
Répondre à la hauteur des moyens mis par Shein
C’est évidemment là où le bât blesse. La déferlante de Shein est loin d’être d’une nouveauté. Pourtant, le législateur semble toujours avoir un train de retard sur ce type d’acteur qui est par ailleurs très solidement entouré par des bataillons de juristes, de cabinets d’affaires publiques et d’agences de communication (lire à ce propos cet article du blog) très forts pour dénicher des failles ou des échappatoires réglementaires.
Un exemple ? La loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN). Celle-ci assimile les places de marché comme Shein à des hébergeurs de contenus numériques. Cela leur permet de revendiquer l’exonération de responsabilité quant aux contenus hébergés. Elles doivent toutefois retirer les contenus illicites quand elles en ont connaissance. Shein l’écrit lui-même dans ses conditions générales de vente de Shein:
« Shein n’est pas tenu de surveiller ou de rechercher activement des activités illégales ou des produits illégaux, ni d’inspecter les produits avant qu’ils ne soient vendus sur le site ».
Communiquer sur les vrais enjeux plutôt que s’agiter
Ce n’est pas en gesticulant devant une nuée de journalistes qu’on convaincra notamment les consommateurs de ne plus souscrire à ce genre de commerce qui s’affranchit sans vergogne de toutes les règles en vigueur dans l’Union européenne. C’est en employant un arsenal législatif plus drastique et en coupant le robinet tant que l’ordre n’a pas été rétabli. De 2021 à 2023, la plateforme américaine Wish avait été précisément déréférencée en France pour des faits similaires. La popularité de celle-ci en a gravement souffert et n’est jamais revenu au niveau antérieur.
Confrontée à cette concurrence déloyale et ravageuse, Julia Faure en sait quelque chose. Cofondatrice de la marque de vêtement durable et écoresponsable « Loom » et membre du collectif « En mode climat », elle appelle les autorités à sortir de ces postures temporaires où l’on sort le gros gourdin avant de le ranger parce que Shein aura réussi à donner l’impression de sa bonne foi :
« Ce qui m’interroge dans tout ça, c’est qu’on a toujours tendance à attendre du consommateur une régulation pour que les choses changent dans cette industrie, alors que non, ça ne viendra pas du consommateur, même s’il fait des déclarations.
Et non, ça ne viendra pas du côté des entreprises non plus parce qu’il y a une prime au vice. Donc ce qu’on attend, c’est quand même qu’il y a un État qui régule pour empêcher qu’il y ait sur notre marché des vêtements qui soient issus de l’esclavage, des vêtements qui soient pleins de produits toxiques. ».
Plus personne n’ignore aujourd’hui qui est intrinsèquement Shein. De deux choses l’une. Soit on poursuit cette mascarade cynique au risque de détruire encore plus les acteurs français et d’inonder le marché avec des produits de piètre qualité, soit on passe à l’action et on fait savoir régulièrement où en est l’avancement des mesures pour contraindre Shein (et d’autres d’ailleurs) à respecter le cadre européen ou s’exposer au bannissement.