20 novembre 2025

Temps de lecture : 4 min

Deux heures pour parler avec son opposé : le pari fou mais efficace de La Croix

Faut qu’on parle, opération lancée l’an dernier par La Croix avec le Fonds Bayard Agir pour une société du lien, propose à des personnes aux opinions éloignées de se rencontrer « en vrai » pour échanger leurs points de vue et mieux se comprendre. L'événement de la saison 2 se tient le 22 novembre avec un dispositif médias et partenaires élargi.
Faut qu'on parle La Croix 2024

Les échanges entre participants du dispositif Faut qu'on parle se déroulent en face à face et sans intermédiaire. @ Marianne Pubill

A l’ère du clash et de la post-vérité, certaines discussions deviennent rapidement difficiles. On peut parfois les croire impossibles. En août 2024, une étude du think tank Destin commun notait que 77 % des Français jugent la société divisée et que plus d’un Français sur deux estimaient les différences qui les séparent trop importantes pour avancer ensemble.

Pourtant, faut-il préférer le confort de l’entre-soi plutôt que la confrontation que requiert le débat contradictoire et céder à la peur du conflit ? Avoir peur de changer d’avis ? « Nous étouffons parmi les gens qui pensent avoir absolument raison », affirmait Albert Camus.

Avec Faut qu’on parle, lancé en 2024, La Croix avec le Fonds Bayard Agir pour une société du lien entendent agir concrètement contre la polarisation croissante de la société et prendre part à la sauvegarde de sa cohésion démocratique. « Le dialogue est un pilier éditorial à La Croix. Avec cette opération, nous sommes devenus nous-mêmes un acteur de la polarisation en prenant part à la vie démocratique et en refusant de baisser les bras face à la défiance croissante envers les médias », explique Béatrice Bouniol, chef du service Culture à La Croix.

Le dispositif n’a pas d’ambition commerciale mais s’inscrit dans la raison d’être du groupe Bayard, qui a adopté le statut d’entreprise à mission en décembre 2022. Il s’inspire d’une opération similaire lancée en Allemagne en 2017 par le journal allemand Zeit Online. My Country Talks a depuis essaimé dans une centaine de pays et rassemblé près de 300 000 participants. Sa deuxième édition se tient samedi 22 novembre 2025 dans plusieurs villes de France, loin des réseaux sociaux mais pleinement ancrée dans la vraie vie. Le concept est somme toute simple :

Prendre deux heures de son temps pour échanger dans un lieu public et sans intermédiaire avec une personne inconnue, qui ne pense pas comme soi.

Pendant cet échange, « il ne s’agit pas de se laisser convaincre par les opinions de l’autre, mais avant tout de l’écouter et de mieux le comprendre », explique-t-elle.

Objectif 2025 : élargir la diversité des participants

La première édition lancée avec Brut. qui avait mobilisé 6 400 participants avait connu un bel élan. Elle avait été relayée par 150 associations et 80 ambassadeurs. « Cette année, nous avons voulu élargir la diversité des participants pour qu’ils aient des profils les plus éloignés possibles les uns des autres et refléter une meilleure diversité territoriale. L’autre défi consistait à rallier des gens peut-être un peu éloignés des médias », ajoute la chef du service culture.

Le dispositif 2025 inclut donc davantage de médias – La Croix et Notre Temps en ce qui concerne Bayard, mais aussi La Voix du Nord pour une meilleure implantation régionale et le pure player Réel Média, fondé en mars 2023 par Bernard de La Villardière et Arnaud Delomel. Chacun a assuré une couverture éditoriale de l’événement. La SNCF a aussi apporté son soutien à l’opération, de sorte que les rencontres pourront se dérouler dans les gares, en plus des traditionnels lieux culturels et tiers lieux.

L’IA à la manœuvre pour organiser les rencontres

Quelque 5000 personnes ont répondu à l’appel des médias partenaires de cette deuxième édition. S’ils sont moins nombreux que l’an dernier, les profils des inscrits sont « beaucoup plus polarisés », ce qui correspond à l’objectif de la démarche, souligne-t-on à La Croix. Avant d’arriver au formulaire d’inscription, chaque participant a dû répondre à 9 questions clivantes sur des sujets de société (écologie, immigration, éducation…). Les résultats ont été gérés par l’IA de My Country Talks, qui fonctionne à l’inverse des algorithmes générateurs de « bulles de filtres ».

Les participants se sont vu proposer de rencontrer une personne aussi éloignée que possible en matière d’opinions et aussi proche que possible géographiquement.

« Ils ne se choisissent pas mais ils peuvent refuser la rencontre qui se déroulera dans le lieu partenaire de leur choix. Nous avons eu peu de refus car les gens qui s’inscrivent ont envie de participer. Nous les accompagnons jusqu’à la rencontre avec un guide pour lier la conversation avec une personne inconnue, mais ils se voient ensuite en toute autonomie », détaille Béatrice Bouniol.

Puisqu’ils n’assistent pas aux rencontres, les organisateurs doivent donc se contenter de témoignages… Les échanges ont montré que, parfois, les désaccords n’étaient pas si profonds. Certains ont noté leurs désaccords initiaux et fait le bilan en fin d’échange. Des rencontres se sont conclues par des échanges de livres. « Le plaisir de l’échange a créé des liens, parfois des amitiés, une envie de se revoir et de creuser les désaccords., parfois de faire tomber la colère… Cette expérience a donné beaucoup d’énergie à certains participants. L’an dernier, l’effet groupe des rencontres qui se sont tenues à la Maison de la conversation a été stimulant et très joyeux », se souvient-elle.

Des effets mesurés et mesurables

C’est aussi ce qui ressort du questionnaire de satisfaction réalisé à l’issue de la première édition.

  • 95 % des participants se déclaraient satisfaits de leur discussion
  • 75 % sont restés en contact avec leur interlocuteur
  • 95 % voulaient réitérer l’expérience en 2025

L’impact de cette opération, conduite en Allemagne depuis 2017, a fait l’objet de travaux universitaires. L’étude d’impact publiée en juillet 2023 par Adrian Blattner de l’université de Stanford et Martin Koenen de l’université de Harvard a montré que « deux heures de discussion avec quelqu’un qui a des opinions opposées suffisent à diminuer la polarisation affective de 77 % ». Pour évaluer les changements provoqués par l’expérience française, les initiateurs de Faut qu’on parle ont fait appel au chercheur Albin Wagener, enseignant-chercheur en analyse de discours et en systémique des interactions à l’université catholique de Lille. Des résultats qui seront scrutés avec intérêt alors que la tension dans la société ne cesse de s’accentuer…

Les rencontres de la saison 2 de Faut qu’on parle se tiendront dans de nombreuses régions et villes en France. Voir la carte ici.

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