Médias et communication : jeunisme ou résistance des anciens ? Vos témoignages sont édifiants
Jeunisme en façade, vieux réflexes en coulisses : médias et communication cultivent une fracture d’âge qui affaiblit le secteur. Témoignages chocs.
Réalisé avec Midjourney - (outil d'IA)
Je vous ai demandé sur LinkedIn de réagir à un article qui dénonce la discrimination des quinquas dans les médias et la com’. Vos témoignages et avis sont éclairants et édifiants parfois.
« Pour un directeur de rédaction, l’âge était un critère à peine caché. Il fallait du jeune », raconte un rédacteur en chef numérique trentenaire. L’enjeu ? L’incarnation.
« Voir quelqu’un qui nous ressemble aide. Et quelqu’un de l’âge de la cible pousse plus facilement les bons sujets. » Cet effet miroir semble devenu un réflexe. Denis Verloes (TV5Monde) observe que « des Comex se félicitent d’un âge médian bas comme d’une médaille. »
Dans les rédactions, cela s’est traduit parfois par des purges brutales.
« Pourquoi avoir viré les vieux rubricards dans les années 2010, pour les remplacer par des bâtonneurs ? Dans certaines rédactions, le niveau d’info a baissé après les plans sociaux ». Ai-je moi-même commenté.
La grande saignée des années 2010
Réalisé avec Midjourney – (outil d’IA)
« Les années 2010 ont été terribles pour les quinquas », reconnaît la journaliste indépendante Lola Parra Craviotto. « On valorisait l’agilité numérique, la capacité à bâtonner vite. Beaucoup de journalistes expérimentés ont été sacrifiés ».
Elle souligne une perte de qualité éditoriale, mais reconnaît aussi que certains seniors ont « fait l’autruche. Combien de seniors ont fait l’autruche pendant la transition numérique ? Genre : pourvu que ça passe jusqu’à ma retraite. Et parfois, ce sont ces mêmes seniors qui font appel aux jeunes… pour gérer les réseaux. »
Thierry Herrant, consultant en communication, s’interroge : »Que deviennent les plus de 50 ans dans la com ? En trente ans, je n’ai vu qu’un seul départ en retraite en agence. Les autres finissent consultants ou coachs. »
J’ajoute : « Le pire, ce sont les quinquas passionnés, compétents, mais jugés trop chers. On les a dégagés, et ils n’ont jamais retrouvé de job ». Une situation vécue aussi dans la communication.
Juniors sous-payés, seniors résistants au changement
Dans les métiers de la com’, l’argument économique pèse lourd. Olivier Cimelière, ex-dircom devenu consultant, témoigne : « Un plus de 50 est jugé trop cher, pas assez docile. Pourtant, l’inexpérience coûte plus cher à long terme. »
Stéphanie Verger dénonce une pratique courante : « Confier les réseaux sociaux à des stagiaires. Résultat : fautes d’orthographe, incohérences. » Lola Parra Craviotto confirme : « Laisser le canal le plus important à des profils peu expérimentés fait perdre en crédibilité. »
À l’inverse, Jean-Loup Delmas, journaliste chez 20 Minutes, évoque plutôt la résistance au changement des plus âgés : « Ça me semble difficile d’occulter que beaucoup de journalistes d’un certain âge ne billent rien à TiKTok ou aux influenceurs en général et ne font pas l’effort de chercher à comprendre. Il y a étrangement des domaines dans le journalisme (les réseaux sociaux, Youtube, l’éco, le sport et la culture) où des professionnels assument tout à fait d’avoir des lacunes énormes, là où ils ne se le pardonneraient pas pour l’international ou la Pol par exemple.
Tout comme un certain nombre de journalistes âgés ont un ego boursouflé énorme, ne veulent pas faire du web parce qu’ils sont encore au tout « Print blabla c’est mieux blabla ». Je vois pas comment on peut nier cette réalité à vrai dire. »
Le modèle français en cause
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Kati Bremme (France Télévisions) livre une explication plus systémique : « en France, le diplôme pèse souvent plus que l’expérience acquise (cf. l’effet « Grandes Écoles »). L’entreprise, perçue non comme une communauté mais comme un lieu de performance individuelle, valorise la jeunesse au détriment des carrières longues.
Les seniors sont jugés coûteux, moins adaptables, moins « agiles ». Dans une société marquée par un modèle nucléaire et étatiste, où l’État-providence plutôt que la famille prend en charge les aînés, la transmission intergénérationnelle a peu de valeur.
À cela s’ajoute un marché du travail rigide : pour gérer leurs effectifs, les entreprises privilégient les départs liés à l’âge. Résultat : le senior est vu comme une charge plutôt qu’un capital… »
Sandrine Chesnel complète : « Ici, le chef doit tout savoir mieux que tout le monde. Du coup, un vieux non-chef est vu comme une menace. » Elle raconte avoir été perçue comme « un zombie » lorsqu’elle a voulu rejoindre le web de L’Express sans ambition de management.
Anne de Kinkelin (France Médias Monde) dénonce de son côté « le mépris du reverse mentoring, l’absence de parrainage, des RH sous-staffés. » Résultat : une gestion des carrières quasi inexistante, où les injonctions se contredisent : « On doit travailler jusqu’à 67 ans, mais à 45 ans on est déjà senior et trop cher. «
Une fracture qui fragilise les deux camps
Pour certains, l’expérience reste pourtant un atout décisif. Fabrice Frossardinsiste : « L’IA va bouleverser la com. L’expérience stratégique sera nécessaire pour éviter les erreurs et donner une vision. »
Coryne Nicqregrette qu’on « laisse filer des compétences sans comprendre la richesse qu’elles apportent ». Mais Denis Verloes relativise : « Comprendre TikTok ne demande pas d’y vivre. On peut analyser les usages avec humilité, sans se croire plus malin que la cible. »
Face à ce clivage, les générations se renvoient la balle. Les jeunes dénoncent le verrouillage des postes par les anciens. Les plus âgés fustigent une obsession de la jeunesse qui conduit à une perte de qualité et de transmission.
Pour Emmanuel Parody, consultant média, ce débat lui rappelle celui qui avait opposé jeunes journalistes web et journalistes du print, suite à la parution en 2009 d’un article du Monde baptisé les forçats de l’info. « Ça me rappelle le débat entre forçats et négriers du web… »
Une discrimination qui persiste
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« L’âgisme est la plus grande des discriminations », affirme Mathilde Thillaye du Boullay, fondatrice de Knowldy, média & communauté sur l’employabilité des 45+. Elle rappelle qu’en 2030, près de la moitié des actifs auront plus de 45 ans. Pourtant, la culture d’entreprise continue de valoriser les « jeunes talents » au détriment de l’expérience.
Valérie Gruau, fondatrice de Seniors à votre Service, note que la France reste en retard sur l’emploi des seniors par rapport à ses voisins européens. « Changer les mentalités prend du temps », soupire-t-elle.
Céline Burr, elle, remet en cause les catégories : « La question pourrait aussi être : à partir de quand est-on considéré senior dans le domaine com/journalisme ? »
Michel Martins, Journaliste web, fustige quant à lui, l’usage du mot senior pour désigner des quinquas : « Il faudrait vraiment arrêter d’utiliser le terme de « seniors » ou « vieux » pour parler de pros qui n’ont QUE … 50-55 ans ! On irait déjà dans le bon sens ».
Burn out, harcèlement… Des dégâts humains parfois considérables
Le témoignage de Sébastien Baillyest dur. Il montre une opposition générationnelle via un management arrogant qui rejette l’expertise du senior :
« A 55 ans, j’ai vécu l’humiliation qu’on n’écoute pas mon expertise. Quelque chose de très dur, de rongeant, de sournois et lancinant au fil des semaines, des mois. Sur un gros dossier sur lequel je savais ce que je pouvais apporter. Forcément, un peu plus sûr de moi qu’il y a vingt ans, moins malléable, peut-être. Bref, j’ai fini par dire que les conditions n’étaient plus réunies pour atteindre l’objectif. J’aurais aimé me tromper. Je me suis fait écraser par des moins expérimentés, trop sûrs d’eux, qui ne voulaient rien entendre. J’ai posé le harcèlement moral sur la table, l’enquête interne n’a jamais été menée à son terme, j’ai dévissé… bref, c’était il y a deux ans.
Attention aux catégorisations et simplifications inconscientes
Le débat révèle une impasse : les médias et la communication oscillent entre jeunisme affiché et gérontocratie persistante. Les rédactions veulent incarner la jeunesse mais restent souvent dirigées par des figures expérimentées, parfois déconnectées.
Et si la vraie question n’était pas l’âge, mais la capacité des entreprises à intégrer la transmission, l’altérité et la complémentarité ? C’est ce qu’avance Anne de Kinkelin: « La valeur de la transmission doit redevenir centrale. »
C’est aussi mon avis : « Toujours cette opposition générationnelle. Mais nom de Zeus, n’est-il pas possible un instant d’envisager des rédactions plurielles ? Oui une rédaction a besoin de jeunes (c’est mieux pour parler à ce public quand même). Mais elle a surtout besoin de diversité, sociale, générationnelle, pour coller au mieux à la société. J’ai vu un mouvement de jeunisme aussi absurde et destructeur de valeur édito, que le contraire : les vieux qui s’accrochent en effet. Il faut essayer d’éviter de passer d’un extrême à l’autre. Et sortir de la division dans laquelle certains cherchent à nous enfermer ».
Frédérique Jeske partage cet avis : « je m’engage sur ce sujet depuis 4 ans maintenant, j’ai même fondé l’association citoyenne SENIOR FOR GOOD pour lutter contre l’âgisme. » Tout en précisant que les autre secteurs professionnels ne sont pas épargnés : Vous avez raison le secteur de la com est l’un des pires mais je vous rassure, la discrimination par l’âge est présente absolument partout dans les entreprises de notre pays
Pour Dorothée Rieu, docteur en Neurosciences, « il est important de ne pas se laisser happer par certains stéréotypes, ici l’âgisme. Définition des stéréotypes (côté littérature scientifique) : ils sont dus à des croyances, pour la plupart non conscientes, et à des associations sémantiques basées sur un processus de catégorisation (sociale) simplificatrice. – En amplifiant les différences entre les personnes de différentes générations, et amplifiant les similitudes entre les personnes d’une même génération, cette catégorisation simplificatrice ne peut qu’augmenter le fossé. – Ce processus de généralisation (stéréotype) peut engendrer des erreurs aussi bien de management, que d’embauche, ou d’accès à la formation … »
Dans un contexte de mutation technologique et sociale accélérée, l’enjeu dépasse l’emploi. Il interroge notre rapport collectif au travail, et à autrui. Le débat met aussi en lumière une société française de plus en plus divisée, à tous les niveaux : social, sexuel, et désormais générationnel. Pourtant, la collaboration intergénérationnelle est possible !
👉 Le débat n’est pas clos ! Vous avez un avis (constructif), des infos, éléments intéressants à partager ? N’hésitez pas à commenter sous ce post LinkedIn, je l’ajouterai à l’article, pour enrichir la discussion. Merci !