9 octobre 2025

Temps de lecture : 3 min

Journalistes, influenceurs : la nouvelle frontière de l’information à l’ère des réseaux

Alors que Wired lance sa plus grande campagne de communication depuis des années, la distinction entre journaliste et influenceur semble plus floue que jamais.

Depuis cette semaine, les rues de New York, Los Angeles ou encore San Francisco sont envahies de gigantesques affiches et panneaux digitaux à l’effigie de la prochaine couverture politique de Wired. Cette campagne physique d’envergure est boostée par un déploiement sur la Toile avec notamment la diffusion QR codes, des vidéos TikToks de journalistes et films tournés en « verticale » sur Instagram.

Pour Katie Drummond, la directrice éditoriale mondiale de Wired depuis septembre 2023, cette campagne est plus qu’un coup marketing. Elle incarne une transformation structurelle : faire des journalistes de véritables figures d’autorité multi-plateformes, capables de fédérer une audience, de bâtir une crédibilité personnelle et… de générer des revenus.

« L’objectif, c’est de créer un moment avec notre journalisme, affirme-t-elle. Les éditeurs ne le font pas suffisamment. Le fait que Wired prenne soin de sa marque est important. Choisir la publicité en extérieur est aussi intéressant car cela élargit notre visibilité et rompt avec les cycles d’informations génératif où tout semble être devenu une commodity. »

Ce virage commence déjà à porter ses fruits. Depuis que Wired a misé sur des vidéos incarnées par ses journalistes, l’audience de ses plateformes en ligne explose. Sur Instagram, son « reach » a progressé de 33% et le nombre de vues de 800%. Sur YouTube, une série pilotée par la rédaction a dépassé le million de vues.

Quand le journaliste devient créateur de contenu

Ce phénomène n’est pas isolé. Dans le dernier Digital News Report du Reuters Institute (2024), on observe une montée en puissance des news influencers – journalistes, commentateurs, activistes – qui publient directement sur TikTok, Instagram ou YouTube.

Dans des pays comme le Brésil, l’Argentine ou les États-Unis, ces figures hybrides captent l’attention là où les médias traditionnels perdent du terrain. Ces créateurs de contenus sont considérés comme plus directs, plus incarnés et plus engageants. Et parfois aussi plus polarisants.

Mais à mesure que les journalistes s’adaptent aux codes des créateurs de contenu, une question s’impose : où s’arrête le journalisme et où commence l’influence ?

Journaliste vs Influenceur : deux rôles, une même plateforme

Sur la papier, leurs missions ne sont pas les mêmes : le journaliste enquête, interroge, vérifie en recoupant ses sources et informe dans l’intérêt public. L’influenceur, lui, divertit, raconte, partage une opinion ou un mode de vie, souvent dans une logique de monétisation.

Mais aujourd’hui, les reporters traditionnels avec leur carte de presse et les personnalités du web créent du contenu numérique, cultivent une audience fidèle et génèrent des revenus grâce aux abonnements, aux dons et au sonnant et trébuchant des annonceurs et des marques.

Les plateformes comme Substack, Patreon ou YouTube Premium ont brouillé les pistes. Le modèle du « mille vrais fans » est devenu une réalité économique : un journaliste peut vivre d’un lectorat de niche sans intermédiaire.

La désintermédiation : opportunité ou risque ?

Ce virage « solo » séduit de nombreux journalistes chevronnés, qui quittent de grands médias pour créer leur newsletter ou leur chaîne personnelle. Ce modèle peut paraître tentant car il leur offre une plus grande liberté éditoriale, une relation directe avec l’audience et des revenus potentiellement plus élevés. Qui dit mieux?

Cette évolution n’est toutefois pas sans risque. En voici quelques-uns…

  • Perte du cadre déontologique (relecture, vérification, hiérarchie).
  • Risque de surper-personnalisation de l’info (l’info devient un personal brand).
  • Exposition accrue aux attaques en ligne et aux poursuites judiciaires.
  • Solitude du créateur face à la surcharge et l’isolement professionnel.

Si des contenus journalistiques peuvent facilement être diffusés sur les réseaux, les rédacteurs ne doivent pas y perdre leur âme pour autant. La rigueur de leurs enquêtes doit être absolue et le combat contre les fake news permanent.

Le défi : redéfinir le journalisme, sans le diluer

Selon Summer Harlow, du Knight Center for Journalism, le temps est aujourd’hui venu de dépasser la dichotomie « journaliste vs influenceur ». Si une personne fait du journalisme -même sur TikTok- pourquoi ne pas l’appeler journaliste ? Ce changement de cadre implique toutefois une mise à jour du contrat social entre journalistes et la société dans sa globalité. Quelles règles doivent être suivies ? Quelles protections faut-il mettre en place ? Et qui est responsable de quoi ?

Une révolution encore inachevée

À l’heure où Wired transforme ses journalistes en figures publiques, où des reporters lancent leur propre média les réseaux sociaux et où des lecteurs préfèrent suivre un visage plutôt qu’un logo, une chose est claire : le journalisme ne disparaît pas, il se recompose.

Mais cette mutation pose des questions fondamentales :

  • Peut-on conjuguer influence et indépendance ?
  • Comment garantir la fiabilité dans un océan de contenus ?
  • Quel rôle pour les rédactions traditionnelles dans ce nouvel écosystème ?

L’explosion des formats courts, la monétisation directe et la désintermédiation sont d’autres éléments perturbateurs pour l’équilibre historique du journalisme. Les défis pour la profession sont immenses. Les titulaires de la carte de presse ne doivent pas s’enfermer dans une nostalgie du passé mais inventer un journalisme d’influence éthique et rigoureux, à la fois accessible, incarné… et crédible. Ce chemin promet d’être long et tortueux.

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