INfluencia : Votre coup de cœur ?
Rémi Babinet : Il date d’hier après-midi (ndlr : le 8 juillet). J’ai eu la chance de pouvoir visiter Beaubourg vide et en plein déménagement, de monter sur l’inaccessible terrasse du 7ème étage. Le sentiment d’être sur le pont d’un gigantesque cargo encombré de la célèbre tuyauterie colorée. On avait l’impression que Paris bougeait (haha). C’était assez émouvant d’imaginer cette gigantesque collection (150 000 pièces, la deuxième plus grande du monde après le Moma) se répandre un peu partout pour mieux se projeter dans l’avenir. Je suis sensible à ce genre de bâtiments très rares : totalement audacieux et fonctionnels. Je me rappelle à quel point le centre Pompidou a pu pourtant horrifier à sa naissance. Ses architectes ont eu le courage de ne pas occuper toute la place que le concours offrait et de créer ce vide, cette incroyable pente douce qui permet de descendre à la à la cool vers le bâtiment.
« Rien ne nous y préparait tout nous y préparait »
Après-midi extraordinaire pour moi qui s’est terminé par la visite de la stupéfiante exposition de Wolfgang Tillmans dans la bibliothèque du centre (6000 m² !). Je l’ai longtemps pratiquée ! Et c’est pour moi un super exemple de cette capacité de Beaubourg à tout mélanger. Je me rappelle qu’on y trouvait des étudiants mais aussi pas mal de zonards et quelques clochards… Le photographe réutilise les tables et les cabines vidéo, la vieille photocopieuse sur laquelle j’ai pu photocopier des livres entiers (rires) pour proposer un portrait complètement explosé des quarante dernières années que nous venons de traverser. Avec ce titre top qui pourrait être le sous-titre de l’époque : « Rien ne nous y préparait tout nous y préparait ».
La grosse fake news et l’arnaque actuelle, c’est tout ce tintamarre autour de la liberté d’expression
IN. : Et votre coup de colère ?
R.B. : Ce qui me rend vraiment hystérique est la manipulation et l’instrumentalisation de la liberté d’expression. La France est vraiment le pays de la liberté d’expression, c’est même un des piliers de notre société. Or actuellement il y a une pression médiatique assez organisée autour de l’idée que non, on n’est pas vraiment libre de tout dire, qu’il faut reconquérir une liberté d’expression où on aurait la possibilité justement de tout dire, n’importe quand, à n’importe qui et sous n’importe quelle forme. Une liberté d’expression à l’américaine, celle de Trump et des réseaux sociaux. Mais ce qui se passe dans les réseaux sociaux n’est que l’apparence d’une liberté d’expression, avec des algorithmes puissants qui mettent en avant un certain type de discours et qui minorent complètement les autres. Donc, c’est tout sauf un débat démocratique équilibré avec des questions, des réponses entre des gens qui s’écoutent et qui se répondent. Il y a vraiment des discours puissants, très dominateurs et très écrasants qui prennent le pas sur les autres. La grosse fake news et l’arnaque actuelle, c’est tout ce tintamarre autour de la liberté d’expression. Et c’est important parce que cela menace nos démocraties. C’est presque plus dangereux que ce qu’on a appelé justement les fake news. Là, c’est le débat lui-même qui s’affaisse et s’affaiblit.
Ne jamais oublier qu’un livre peut être un évènement
IN. : L’évènement qui vous a le plus marqué dans votre vie ?
R.B. : J’avais cinq ou six ans et on m’a jeté dans le grand bain d’une piscine, alors que je ne savais pas nager – les méthodes de l’époque étaient un peu spéciales… C’était une maîtresse-nageuse qui avait la jambe dans le plâtre. Je m’en souviendrai toujours. C’était à Ivry sur Seine. J’ai eu la peur de ma vie. J’ai fini par remonter (rires) : l’eau est devenue de plus en plus transparente, j’ai saisi la perche, aperçu le plâtre et elle m’a ramené au bord. Je savais nager.
Un livre aussi, forcément. Ne jamais oublier qu’un livre peut être un évènement. J’ai lu à 20 ans « Au-dessous du volcan » de Malcom Lowry, et je n’ai réalisé qu’à ce moment-là, à travers une œuvre – et plus seulement les histoires et les jeux que l’on construit enfant – que l’imaginaire était une réalité supérieure en quelque sorte (rires). À tel point que je suis parti sac au dos pendant cinq mois au Mexique retrouver la trace du consul Geoffrey Firmin au pied des fabuleux volcans Popocatepetl et Ixtaccihuatl.
Nous avons passé notre enfance à remonter des murs, de préférence sans ciment
IN. : Votre rêve d’enfant ou si c’était à refaire
R.B. : Quand j’étais petit, il y avait deux métiers que je rêvais de faire : architecte ou astronome. La chance que j’ai eue est d’avoir pu toucher à l’architecture par ma vie professionnelle car, pour l’agence, j’ai pu construire ou reconstruire trois fois des bâtiments de A à Z. L’architecte qui en était en charge a eu l’amitié de me faire croire que j’étais aussi un peu architecte et c’était génial parce que j’adore cet univers. J’étais sans doute un peu prédisposé à cela par le fait que ma famille avait acquis très tôt une ruine perdue dans la montagne et que nous avons passé notre enfance à remonter des murs, de préférence sans ciment…
Quant à astronome, petit, je connaissais bien les planètes et mon père m’avait appris à reconnaître les constellations. À cette époque, j’avais le fantasme de voir quelque chose au bout du télescope, sans doute de pouvoir mieux tout comprendre. Mais c’était plutôt une sorte d’imaginaire incroyable, auquel personne ne peut être insensible. Je n’ai jamais rien fait pour y arriver. Et puis, j’étais plutôt littéraire et philosophe que matheux.
IN. : Votre plus grande réussite ? (pas professionnelle)
R.B. : Je ne sais pas si c’est une réussite : je ne suis jamais pressé et j’adore la vitesse. Réfléchir vite oui, discuter vivement oui, mais arriver à dilater le temps pour créer est une forme de respiration pour moi et j’ai l’impression d’avoir cette espèce de capacité à l’arrêter un peu. Je suis donc assez calme. Cela m’aide énormément en fait. Cela me fait du bien et j’espère aussi à ceux qui m’entourent. C’est une forme de réussite personnelle permanente à laquelle je tiens. Je ne serais arrivé à rien sans ça. La plus grande réussite serait d’avoir réussi à le transmettre à mon agence et d’en avoir fait une culture qui correspond bien d’ailleurs à l’idée que je me fais de la publicité, entre approfondissement et fulgurance.
J’ai quitté Strasbourg pour aller à Paris et préparer Normale Sup que j’ai ratée
IN. : Votre plus grand échec ? (idem)
R.B. : Un échec assez banal mais qui m’a traumatisé sans que je m’en aperçoive. J’ai quitté Strasbourg pour aller à Paris et préparer Normale Sup que j’ai ratée. Un mauvais souvenir mais rassurez-vous je ne suis plus du tout traumatisé (rires). Ça a été finalement une telle chance dans ma vie que j’ai du mal à en parler comme d’un échec. Après avoir alterné petits boulots (éclairagiste de théâtre, chauffeur-démonstrateur au salon de l’auto…) et études littéraires je suis tombé dans la publicité. À peu près le pire endroit imaginable pour mes parents mais pour rien au monde je voudrais refaire le film à l’envers.
Dîner à côté de Léonard de Vinci, Botticelli, Dante, Descartes, Michel-Ange, Christophe Colomb
IN. : Les convives (vivants ou morts) avec lesquels vous aimeriez partager un dîner ?
R.B. : Je me pose souvent la question du type d’époque dans laquelle on vit et je me dis à chaque fois, et aujourd’hui plus que jamais, qu’on est en plein Moyen-âge mondial ! Abrutissement et brutalité générale en gros ! On n’entend pas trop les créateurs, les philosophes, les scientifiques… Je rêve d’une forme de Renaissance (je suis sûr évidemment qu’elle est devant nous !) et d’être invité à une table où l’on pourrait s’asseoir à côté de Léonard de Vinci, Botticelli, Dante, Descartes, Michel-Ange, Christophe Colomb, et voir ce que ce genre de gars auraient à dire ou à proposer. J’imagine des conversations où l’on parlerait science, politique, littérature… J’imagine aussi les vannes qu’ils pourraient se faire. Je suis toujours frappé par cette époque où il pouvait y avoir une sorte de connaissance et de compétence universelles dans un seul cerveau, en sciences, en art, en mathématiques et en ingénierie. Sacré Léonard ! Ce serait le plaisir d’être invité à un mouvement autant qu’à un repas, d’être vraiment sûr que c’est cool quand le monde bouge. Une table assez européenne donc !
IN. : L’une de vos qualités ?
R.B. : Je sais tricoter. Je connais plusieurs points : point mousse, point de croix, crochet… Je ne sais pas si je serais encore capable de manier des aiguilles mais je faisais, quand j’étais petit, tous les vêtements de mes nounours et poupées. C’est ma grand-mère qui m’avait appris et j’adorais ça. Si ça peut servir…
Malgré sa brutalité j’adore l’époque dans laquelle je suis né
IN. : Que vous dites-vous tous les matins en vous rasant ?
R.B. : Si je me dis quelque chose… car souvent je rêvasse et je suis encore embrumé (rires). Je me dis plutôt que j’ai une chance folle avec ce métier de rencontrer tous les jours des gens aussi différents, intelligents, curieux… Cela m’aide beaucoup parce que du coup je n’ai pas peur. Malgré sa brutalité j’adore l’époque dans laquelle je suis né.
On a toujours tendance à trouver l’époque dans laquelle on est plus inquiétante ou plus moche. C’est comme ça depuis la nuit des temps, je pense. Mais aujourd’hui il y a un tel écho médiatique et une caisse de résonnance énorme qu’on a une perception déformée du monde dans lequel on vit. Reste qu’on a la chance d’être à un moment où on sent qu’on est en train de basculer d’un monde à un autre, à un point charnière avec des bouleversements inouïs dus aux accélérations technologiques comme ont pu l’être l’arrivée de l’imprimerie ou avant, de l’écriture.
Voilà ce que je me dis en me rasant mais je ne me rase pas tous les matins heureusement (rires).
J’emmènerais Bach joué par Glenn Gould. Ça me ferait un copain sur l’île
IN. : Quelle musique emporteriez-vous sur une île déserte ?
R.B. : Comme je suis très pragmatique, je sais que je risque d’y prendre goût et de rester longtemps sur cette île… Alors j’emmènerais Bach joué par Glenn Gould. Avec Gould, je sais que je serai transporté de manière différente à chaque fois sur des variations de Bach. C’est un interprète physiquement présent. On a l’impression qu’il est lui-même l’instrument. Ça me ferait un copain sur l’île. Si je pouvais choisir une ou deux musiques de plus, je prendrais l’œuvre complète des Talking Heads et celle des Beatles.
* l’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’ « À la recherche du temps perdu ».
En savoir plus
L’actualité
– 3 ème édition française du livre écrit par Rémi Babinet : « Pas de publicité, merci » (éditions JBE Books). 10 000 exemplaires vendus. L’édition anglaise est déjà en vente sur le site de JBE BOOKS et sera lancée à la rentrée aux États-Unis et en Europe.
– 13 lions à Cannes 2025 pour BETC
– Gains recents: Alpine, Watches of Switzerland, Riyad Air, Yves Saint Laurent make-up…
Après l’ouverture de Maison BETC à New York l’année dernière, création d’une structure unique mondiale pour les comptes luxe et Lifestyle. Maison BETC rassemble désormais 120 personnes entre Paris, New York et Shanghai.