Influenceurs en immersion : Quand les créateurs de contenus redessinent le tourisme en 2025
En 2025, les créateurs de contenu voyage ne se contentent plus de faire rêver sur Instagram ou TikTok. Plus professionnels, plus engagés — et parfois plus clivants —, ils redessinent les contours du tourisme à l’ère des enjeux climatiques et de l’économie de l’attention. Du slow travel aux contrats avec les marques, panorama actualisé d’un secteur en pleine mutation.
En l’espace de quelques années, Instagram, TikTok et consorts se sont imposés comme de véritables boussoles touristiques. Photos virales, conseils et récits de voyage ont explosé sur les plateformes sociales, transformant l’imaginaire des vacances. Le phénomène est massif : le contenu lié au voyage a bondi de +410% sur TikTok depuis 2021, d’après Anaïs Devaux, responsable du secteur voyage chez TikTok France, citée dans Le Monde le 10 mai dernier. Sur Instagram, près de 2 millions de posts “voyage” ont été publiés en 2024, selon l’agence We Are Social. Ces plateformes sont devenues les nouveaux guides touristiques, contribuant largement au rebond spectaculaire du secteur depuis 2022. Résultat, une simple vidéo peut propulser un lieu inconnu au rang de spot incontournable. À Paris, un petit comptoir à sandwichs a vu affluer des foules internationales après avoir été désigné « le meilleur sandwich de Paris » dans des vidéos cumulant des millions de vues. De Santorin aux coins les plus reculés de l’Hexagone, une destination peut devenir “instagramable” du jour au lendemain, pour le meilleur – révéler des trésors oubliés – ou pour le pire, avec des foules soudaines et des retombées difficiles à gérer.
Du récit authentique aux expériences immersives
Face à l’essor de ce tourisme 2.0, les créateurs de voyage redoublent de créativité pour capter l’attention. L’ère n’est plus seulement aux cartes postales léchées : l’authenticité, la spontanéité et l’interactivité sont les nouvelles devises. Les voyageurs de 2025 plébiscitent les témoignages sans filtre de micro-influenceurs de niche, jugés plus sincères et proches de leurs préoccupations. « Authentiques, spontanés, sans filtre : les marques touristiques misent de plus en plus sur les témoignages des micro-influenceurs face caméra », résumait L’Echo Touristique le 2 juin dernier en décrivant cette quête de contenu plus vrai et incarné. Les grandes célébrités cèdent ainsi du terrain aux experts locaux et ambassadeurs de confiance, dont les recommandations rassurent des publics en quête de sens et de personnalisation.
Parallèlement, la palette des formats s’élargit. Stories en direct, vlogs interactifs, mini-vidéos TikTok dynamiques : ces formats immersifs permettent aux abonnés de « participer » virtuellement aux aventures. L’utilisation de la réalité augmentée ou de filtres ludiques introduit une dimension de gamification, rendant l’expérience ludique et engageante. Cette évolution répond à l’appétit d’une audience volatile qu’il faut séduire en quelques secondes. L’essor des outils d’IA générative commence aussi à se faire sentir : certains influenceurs testent la création d’avatars virtuels ou de contenus assistés par IA pour renouveler leur storytelling. Toutefois, dans le secteur du voyage, rien ne remplace totalement l’authenticité d’une vraie expérience : le public valorise le vécu et l’humain, ce qui pousse les influenceurs à partager coulisses, émotions et tranches de vie pour conserver la confiance de leur communauté.
Tourisme 2.0 : l’alliance des influenceurs et des marques
Derrière ces contenus de rêve, l’industrie touristique a bien compris l’intérêt de s’allier aux influenceurs pour promouvoir destinations et services. Dans le rapport “The Creator Economy in Travel 2025”, publié par Travel Massive en mars dernier, journalistes et influenceurs figurent en 2025 parmi les partenaires les plus sollicités par les professionnels du voyage, devant même les blogueurs ou YouTubeurs. Offices de tourisme, tour-opérateurs, compagnies aériennes ou hôteliers cherchent ces nouveaux prescripteurs capables de toucher un public large de façon moins institutionnelle. Plus d’un tiers des créateurs travel affichent dix à quinze ans d’expérience – beaucoup ayant démarré à l’époque des blogs – et se sont professionnalisés en de véritables business de contenu.
Bien sûr, le travel blogging classique n’a pas disparu. Mais à cela s’ajoute désormais newsletters, podcasts, voire la création de vidéos publicitaires authentiques pour les marques. Résultat, les collaborations sont de plus en plus intégrées aux plans marketing des marques touristiques : « Nombre de collaborations commerciales entre marques et créateurs comportent désormais un volet publicitaire. Sponsoriser des témoignages authentiques a un impact décuplé », souligne un expert social media dans l’article de l’Écho touristique, citant l’exemple de campagnes mêlant micro-influenceurs et contenus sponsorisés chez Decathlon Travel ou Explora Project.
L’ère du partenariat ponctuel cède la place à des relations durables. Certaines marques nouent de véritables contrats d’ambassadeurs avec les influenceurs, intégrés sur le long terme à la stratégie de communication. Le tourisme, en particulier, mise sur la puissance de l’émotion et de l’expérience vécue pour vendre du rêve. Les influenceurs, “partenaires stratégiques”, apportent une image moderne et aspirationnelle difficile à obtenir avec la publicité classique. En échange, les annonceurs adaptent leurs méthodes de collaboration : beaucoup passent par la recommandation ou invitent les créateurs lors d’événements, et près de la moitié n’hésitent pas à rémunérer en nature, via des voyages ou expériences offertes.
L’influenceur face au défi climatique : turbulences en vue
Si les influenceurs font voyager des millions de personnes par procuration, ils sont aussi de plus en plus attendus au tournant sur leur impact environnemental. L’année 2024 a marqué les esprits avec son lot de polémiques sur les voyages à répétition de certaines vedettes du net. En septembre, la YouTubeuse Gaelle Garcia Diaz a ainsi essuyé un torrent de critiques après avoir emmené d’autres influenceuses à l’autre bout du monde (au Japon) pour promouvoir une marque de cosmétiques. Pour rappel, un aller-retour Paris-Tokyo émet à lui seul autour de 2,9 tonnes de CO₂, soit plus que l’empreinte annuelle recommandée par personne pour contenir le réchauffement. Avec l’enchaînement des années chaudes record (2023 puis probablement 2024), la communauté ne pardonne plus l’insouciance climatique.
Conscients de ces attentes, certains influenceurs tentent de réinventer leur façon de voyager et de créer du contenu. « Je refuse les déplacements en avion, et parfois des activités – j’ai déjà dit non à un tour en hélico ou à une balade en yacht », explique par exemple Charlotte Lemay (alias Chamellow) dans un entretien à BFMTV le 3 novembre dernier. Cette Instagrameuse, connue pour son engagement écologique, a même décliné un contrat de plusieurs dizaines de milliers d’euros proposé par une compagnie aérienne : « Je n’ai pas hésité, parce que sinon, ma carrière n’aurait aucun sens », confiait-t-elle à BFMTV. Comme elle, une poignée d’influenceurs « green » refusent désormais les partenariats incompatibles avec leurs valeurs, quitte à perdre des revenus importants. Le collectif Paye ton Influence (cofondé par Amélie Deloche) recommande aux créateurs de s’interroger sur la nature des marques qu’ils promeuvent – « des entités engagées, éthiques » plutôt que de simples pousse-à-la-consommation.
Dans la pratique, cela se traduit par plus de sélectivité, voire par de nouvelles exigences : « Certains créateurs vont refuser les propositions de voyage impliquant de prendre l’avion pour seulement quelques jours. Ils mettent des conditions, et ça c’est nouveau », observe Rubben Chiche, cofondateur de l’agence Follow qui encadre plusieurs influenceurs. Au sein de cette agence, les partenariats avec les compagnies aériennes sont purement et simplement interdits depuis plusieurs années. Le mouvement « flight hiding » (dissimulation de vol) prend également de l’ampleur : plutôt que d’afficher fièrement leurs billets en classe affaire, certains influenceurs cessent de montrer leurs trajets en avion sur les réseaux. Ce réflexe d’invisibiliser les vols répond à une audience de plus en plus sensibilisée : « L’une des principales raisons derrière ce phénomène, c’est l’enjeu réputationnel », confirme Amélie Deloche. Autrement dit, éviter de normaliser l’hypermobilité permet d’écarter les critiques, même si cela ne réduit pas l’empreinte en soi. « Pour être pertinent, le flight hiding doit être associé à une diminution globale des trajets en avion », rappelle d’ailleurs le collectif Paye Ton Influence, insistant sur l’exemplarité nécessaire.
En parallèle de ces gestes, une nouvelle vague d’influenceurs “travel” mise sur le tourisme vert comme crédo. On les appelle parfois écovoyageurs ou éco-influenceurs : ils promeuvent la découverte locale, le slow travel et les transports doux. En France, des figures émergent : le Breton Guillaume Payen met en scène ses périples exclusivement en train à travers l’Hexagone, tandis que le duo Roxane & Yoann (@roxandyo) a traversé l’Europe sans prendre l’avion, pour prouver que « voyager sans avion est une réalité » et inspirer d’autres voyageurs soucieux de la planète. D’autres prônent le voyage en vélo (comme le couple @UnMondeAVelo), ou valorisent des hébergements éco-responsables et les rencontres locales plutôt que les “spots” touristiques superficiels. En bref, l’hypermobilité n’apparait plus comme un idéal.
Dans cet environnement, Greenpeace France souligne que « les influenceurs deviennent des relais de communication particulièrement efficaces de l’industrie du tourisme et de l’aviation », en multipliant les images de destinations de rêve et de promos attractives. Ils contribuent directement à un imaginaire qui valorise l’hypermobilité aérienne, regrette Alexis Chailloux, chargé de campagne climat à Greenpeace, qui plaide pour une « loi Evin climat » interdisant la publicité pour les activités les plus émettrices (dont les vols) sur les réseaux sociaux. Cette proposition, mentionnée dès 2023 par Greenpeace, s’accompagne de mesures comme un rééquilibrage du prix des billets train/avion pour décourager les vols courts, afin de « faire émerger un imaginaire du voyage compatible avec la lutte contre le réchauffement climatique ». Autrement dit, casser le rêve du voyage incessant en avion promu par la pub et certains influenceurs.
Quel avenir pour l’influence touristique ?
D’un autre côté, un contre-courant positif se développe, porté par des créateurs décidés à utiliser leur influence pour le bien commun. « La transition écologique a besoin de ces leaders d’opinion pour promouvoir la sobriété face à la surconsommation », insiste la RTBF dans un sujet publié début janvier, rappelant que même le GIEC voit en eux des acteurs pouvant « favoriser l’adoption de modes de vie à faible empreinte carbone ». Des influenceurs comme Bon Pote ou Léa Camilleri en France se sont spécialisés dans la vulgarisation écologique, tandis que d’autres intègrent simplement plus de transparence et de responsabilité dans leur ligne éditoriale habituelle.
« Mon statut amène des responsabilités… l’influence, ce n’est pas que des gens qui vendent des crèmes sur Instagram, c’est aussi des gens qui partagent des modes de vie sobres, résilients », affirme ainsi le créateur Mateo Bales à BFMTV dans le sujet précédemment cité, lui qui semble pleinement engagé dans une démarche éthique. Bien sûr, l’influenceur voyage de 2025 n’est pas devenu un militant écolo par nature : la majorité continue de faire rêver avec des plages lointaines et des expériences luxueuses. Mais la différence est que ces rêves-là doivent désormais être justifiés, équilibrés ou compensés pour être bien acceptés. Le discours dominant évolue doucement du “voyager plus” vers “voyager mieux”.
À l’aube de 2026, une question se pose : le marketing d’influence touristique peut-il se réinventer pour concilier aspirations d’évasion et impératifs de durabilité ? Le fil rouge de 2025 aura sans doute été la recherche de cet équilibre. Le secteur du voyage sous influence est arrivé à maturité, avec ses codes, ses stars, ses agences spécialisées et même ses régulations. Deux scénarios semblent donc se dessiner. Soit l’influence touristique reste un accélérateur de consommation effrénée – encourageant toujours plus de voyages lointains, au risque de creuser son propre sillon négatif à l’heure de l’urgence climatique. Soit elle devient le levier d’une évolution positive du tourisme, en promouvant des façons de voyager plus durables, plus respectueuses des cultures locales et de l’environnement. Le défi est lancé et l’aventure, cette fois, ne fait que commencer.