Selon le Reuters Institute, la France est l’un des pays les plus défiants envers les médias
Malgré une année 2024 riche en actualités nationales, les Français n’ont pas renoué massivement avec les médias traditionnels. Le Digital News Report 2025 du Reuters Institute dresse le portrait d’un public toujours plus tourné vers le numérique – réseaux sociaux en tête –, mais marqué par une défiance persistante envers l’information... et une réticence à payer pour des contenus en ligne.
La consommation d’information en France poursuit sa migration vers le digital. Désormais, 83 % des Français consultent chaque semaine des sources d’actualité en ligne (sites web, réseaux sociaux, podcasts…) selon le Digital News Report 2025. Par contraste, la télévision – longtemps médium d’information dominant – voit son audience s’effriter. La portée hebdomadaire de la TV pour s’informer recule à 59 % en 2024, soit une baisse de 4 points en un an. De même, l’écoute de l’actualité à la radio amorce un déclin, notamment chez les jeunes qui lui préfèrent les formats à la demande comme les podcasts. La presse écrite traditionnelle continue son déclin en tant que source principale, tandis que le smartphone s’est imposé comme l’écran privilégié pour suivre l’actualité, supplantant l’ordinateur dans de nombreux cas. Ce basculement vers le mobile s’est confirmé lors des Jeux olympiques de Paris 2024 : l’accès officiel accordé à de nombreux créateurs de contenu sur TikTok et Instagram a illustré l’usage croissant du téléphone portable pour suivre les événements en France.
Cette transformation des habitudes s’accompagne d’une fragmentation des voies d’accès à l’information. Les Français naviguent de plus en plus par des « portes d’entrée » numériques plutôt qu’en visitant directement les sites des médias. S’ils reçoivent toujours des alertes d’actualité sur mobile ou via e-mail, ce sont surtout les plateformes sociales et, dans une moindre mesure, les agrégateurs qui jouent un rôle de carrefour vers l’info. Aux États-Unis, cette tendance s’est accentuée au point que 54 % du public y accède désormais aux nouvelles via les réseaux sociaux ou plateformes vidéo, dépassant pour la première fois la télévision (50 %) et les sites d’info classiques (48 %).
La France s’inscrit dans cette dynamique, bien qu’à un degré moindre : on y compte encore une audience significative pour la télévision, mais l’essor du numérique capte la croissance de l’attention. Conséquence préoccupante de cette surabondance de contenus, l’évitement de l’actualité progresse : 36 % des Français avouent éviter les informations souvent ou parfois, un niveau record en hausse de près de 10 points par rapport à 2017. Ce phénomène – observé dans de nombreux pays – révèle une fatigue ou un désengagement d’une partie du public face à un flux jugé anxiogène ou envahissant.
Les réseaux sociaux, vitrines d’information pour les plus jeunes
Parmi les canaux numériques, les réseaux sociaux s’affirment comme une source d’information incontournable, en particulier pour la jeune génération. En France, 19 % des sondés citent désormais les réseaux sociaux comme leur principale source d’actualités, un chiffre en hausse par rapport aux années précédentes. Cette proportion reste modérée en comparaison de certains pays plus dépendants des flux sociaux : au Royaume-Uni elle atteint 20 %, tandis qu’aux États-Unis les plateformes sociales et vidéo sont devenues le premier vecteur d’information (54 % d’utilisateurs hebdomadaires). À l’inverse, dans plusieurs pays d’Europe du Nord ou en Asie comme le Danemark et le Japon, l’influence des réseaux sociaux demeure bien plus limitée et n’a que peu évolué ces dernières années. En Europe continentale, la France se situe dans une position intermédiaire : l’impact des réseaux y est réel mais « les marques d’information traditionnelles restent plus résilientes » qu’ailleurs, selon les auteurs du rapport.
Facebook demeure le réseau social d’actualité numéro un en France, utilisé par 33 % des Français pour s’informer (61 % l’utilisant pour n’importe quel usage). YouTube (24 % des utilisateurs pour l’info) et Instagram (21 %) occupent les deuxième et troisième rangs, ces deux plateformes ayant enregistré les plus fortes progressions d’usage pour l’actualité en 2024. Le rôle de TikTok se renforce également : encore modeste (12 % d’utilisateurs d’actualité hebdomadaires), ce réseau de vidéos courtes a gagné 4 points en un an comme source d’infos chez les Français. Cette hausse, portée par les publics jeunes, traduit une recherche de formats plus visuels et immersifs pour suivre l’actualité.
Le succès fulgurant de HugoDécrypte en est l’illustration emblématique. Les contenus pédagogiques et décryptages de ce jeune créateur (Hugo Travers) sur YouTube, Instagram ou TikTok répondent à l’attente d’une partie du public pour une information « plus accessible et incarnée ». Près d’un Français de moins de 35 ans sur cinq (22 %) déclare avoir vu HugoDécrypte commenter des infos au cours de la dernière semaine. Ce taux d’exposition considérable, équivalent ou supérieur à celui de nombreux médias établis, montre la capacité de ces nouveaux influenceurs de l’info à toucher des audiences que les médias traditionnels peinent parfois à atteindre.
Le phénomène n’est pas propre à la France : aux États-Unis, des commentateurs sur YouTube ou des personnalités de podcast attirent massivement les jeunes adultes, notamment ceux méfiants vis-à-vis des médias classiques. Toutefois, le Digital News Report 2025 souligne que cette galaxie alternative s’accompagne d’une perception ambivalente. D’un côté, ces créateurs constituent de nouveaux relais d’information, de l’autre ils figurent parmi les sources jugées les plus susceptibles de propager de fausses informations, au même titre que les acteurs politiques. En France, cette émergence a suffisamment marqué les esprits pour que les États généraux de la presse recommandent en 2024 de reconnaître les influenceurs d’actualité comme des sources d’information à part entière – une proposition restée sans suite dans le contexte politique troublé.
Confiance en berne dans les médias français
Malgré la diversification des supports, la confiance du public envers les médias d’information reste le talon d’Achille en France. Seuls 29 % des Français disent faire confiance à la plupart des nouvelles la plupart du temps. Ce niveau place l’Hexagone parmi les pays les plus défiants : 41ème sur 48 marchés étudiés, ex æquo avec la Hongrie, selon le rapport. La France fait ainsi figure d’exception en Europe de l’Ouest, affichant un taux de confiance bien inférieur à l’Allemagne (45 %) ou au Royaume-Uni (35 %). À l’opposé, des pays comme la Finlande (67 %) ou le Nigeria (68 %) conservent les plus hauts niveaux de confiance, même si ceux-ci sont parfois corrélés à un paysage médiatique moins libre. Globalement, le taux de confiance mondial se stabilise autour de 40 % pour la troisième année consécutive, mais la France se distingue par une érosion continue de la crédibilité accordée aux médias au cours de la dernière décennie. En 2015, plus d’un tiers des Français faisaient confiance aux nouvelles, contre moins de 30 % aujourd’hui.
Cette défiance chronique s’inscrit dans un climat de polarisation et de remise en question des institutions plus large. Le Reuters Institute note qu’elle « reflète des niveaux de confiance faibles et en déclin à l’égard des institutions » en général dans le pays. Le paysage médiatique français offre cependant un tableau contrasté : certaines marques d’information conservent le capital confiance du public, tandis que d’autres en sont largement dépourvues. Les médias de service public figurent parmi les mieux considérés : par exemple, 58 % des sondés disent faire confiance aux nouvelles de France Télévisions, et les stations de radio publiques nationales ou les quotidiens régionaux obtiennent également des scores de confiance élevés.
En revanche, des chaînes privées d’information en continu comme BFM TV et CNews suscitent la méfiance d’une part importante de l’audience – respectivement 38 % et 35 % des Français déclarent ne pas leur faire confiance. Ces écarts s’expliquent en partie par des perceptions de parti pris ou de recherche du sensationnalisme. Ils traduisent une attente du public envers plus de rigueur, d’impartialité et de transparence de la part des médias – attentes largement partagées dans les différents pays étudiés, et identifiées comme leviers principaux pour reconstruire la confiance.
Abonnements : peu d’élus, même après l’actualité chaude
Malgré l’essor du numérique, payer pour des nouvelles en ligne reste un comportement minoritaire en France. Seulement 11 % des Français ont déboursé de l’argent pour s’informer sur internet au cours de l’année écoulée. Ce taux déjà faible n’a pratiquement pas bougé depuis l’an dernier, en dépit d’une actualité intense (crise politique intérieure, JO, grands procès) qui aurait pu élargir l’audience des médias. La France demeure ainsi en dessous de la moyenne des pays développés : dans un groupe de 20 nations aux marchés médias comparables, la proportion de lecteurs payants atteint 18 %. Les pays nordiques dominent ce classement (42 % de Norvégiens et 31 % de Suédois paient pour de l’info en ligne), tandis qu’à l’autre bout de l’échelle on ne recense que 6 à 7 % de lecteurs payants en Croatie, Serbie ou Grèce.
Les États-Unis affichent pour leur part un taux d’environ 20 %, soit presque le double de la France. Autrement dit, le public français reste largement attaché à la gratuité de l’information, que ce soit via les médias publics, les sites en accès libre ou les contenus circulant sur les réseaux. Pourtant, certains titres de presse français réussissent à tirer leur épingle du jeu grâce au modèle abonnement. Les deux grands quotidiens nationaux généralistes ont continué de recruter des lecteurs numériques en 2024 : Le Monde revendique désormais 580 000 abonnés payants et Le Figaro 294 000. Le pure-player d’investigation Médiapart, pionnier du tout payant, a atteint 245 000 abonnés et continue de croître. Ces succès, certes notables, restent concentrés sur quelques marques et ne compensent pas une réticence générale du public à payer pour de l’information courante.
La majorité des Français s’estiment bien informés via les offres gratuites disponibles – un constat qui vaut d’ailleurs dans la plupart des pays analysés. Le Digital News Report note que même parmi les consommateurs réguliers de nouvelles, beaucoup considèrent les contenus en accès libre comme suffisants, reléguant l’abonnement à un surplus réservé aux médias ou fonctionnalités jugés vraiment indispensables. La France illustre bien ce défi : malgré l’instabilité politique récente qui a suscité des pics d’intérêt ponctuels (le directeur du Monde a attribué une partie des nouvelles souscriptions au climat politique houleux), convertir durablement cette attention en abonnements payants demeure difficile.