23 mai 2025

Temps de lecture : 8 min

Corinne Mrejen (Groupe Les Echos-Le Parisien) : « Je bois beaucoup d’eau chaude et j’aime ça »

Jean-Pierre Bacri la fait mourir de rire. Mais Corinne Mrejen, la DG Pôle Partenaires et Chief Impact Officer du groupe Les Echos-Le Parisien répond très sérieusement au « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’Hôtel Littéraire Le Swann* – Proust oblige.

INfluencia : Votre coup de cœur ?

Corinne Mrejen : Mon coup d’émotion récent, est la révélation en mars dernier, sur France Inter de Nicolas Demorand sur sa bipolarité, qu’il a lui-même qualifié de « maladie mentale ». J’étais dans ma cuisine en train de prendre mon thé et je me suis arrêtée tellement j’étais bouleversée. Pour la petite histoire, il a enregistré cette séquence parce qu’il avait peur de ne pas aller jusqu’au bout. J’ai trouvé extrêmement émouvant et formidable qu’il s’expose ainsi et se mette à nu. Quand on y réfléchit, dans une société qui s’empresse de juger, noter et dénoncer, il avait finalement plus à perdre qu’à gagner. Et pourtant il n’a pas pensé qu’à lui-même et à son propre intérêt, mais en quoi cela pourrait être utile à d’autres. J’ai une amie qui a été confrontée à cela, car un de ses enfants est bipolaire. Avoir un « rôle modèle » comme Demorand, qui explique qu’il est possible de vivre, de travailler et de mener une telle carrière avec une maladie mentale, je trouve cela génial.

La majorité est trop silencieuse. Il faut l’aider à prendre la parole et l’accompagner


IN. : Et votre coup de colère ?

C.M. : Il m’est impossible de ne pas commencer par évoquer la résurgence de l’antisémitisme en France, notamment depuis le 7 octobre 2023. Bien sûr, il est évident de dire que ce n’est pas seulement le problème des Juifs. C’est le symbole, le signe et le symptôme d’un mal plus global de la société, de déséquilibres économiques, de perte de repères, d’une profonde crise démocratique. J’aime bien cette phrase attribuée à Emmanuel Lévinas qui disait : « Quand les Juifs ont peur, c’est toute la société qui doit s’inquiéter ». C’est mon premier coup de colère.

Le deuxième, qui n’est pas tellement plus léger, c’est le backlash, la dénégation du dérèglement climatique. Je pense que c’est une erreur historique. C’est reperdre du temps et nier les faits. Sur l’inclusion, c’est être à rebours de tout ce qui a déjà été fait. Donc, je pense que là aussi, c’est absurde, franchement.

Face à cela, j’ai plus envie d’affirmer ma conviction, que nous partageons aussi au niveau de notre groupe, qu’il faut garder le cap, en étant – pardon d’employer ce terme – le plus efficace possible, plutôt que d’avoir une posture moralisatrice et des injonctions. Qu’il faut plutôt aider à comprendre, décrypter, s’attacher à ce qui est factuel et ce qui est de l’ordre de la science, pour changer les comportements, valoriser des initiatives qui font progresser, et permettent d’imaginer et se projeter dans un monde et une croissance plus durables.

Il ne faut pas laisser la société se polariser. On donne trop la parole aujourd’hui aux radicalisés des deux extrêmes, aux climato-sceptiques et à ceux qui sont en faveur de la décroissance. En fait, la majorité est trop silencieuse. Il faut l’aider à prendre la parole et l’accompagner.

Je suis fascinée par ceux qui, face et après l’horreur, réussissent à transformer cette expérience en quelque chose de plus beau, de plus fort, de plus universel

IN. : La personne qui vous a le plus marquée dans votre vie ?

C.M. : C’est Simone Veil. En disant Simone Veil, je n’ai presque pas besoin d’expliquer mon choix ! Elle m’a marquée et me marque encore. Pour sa vie, son parcours et ses combats. C’est une icône pour l’Europe et pour le droit des femmes. Je me souviens encore et je me repasse très régulièrement, car on me le remet souvent sur mon mur, ce fameux discours en novembre 1974 sur l’IVG qu’elle a prononcé dans l’hémicycle et qui deviendra « la loi Veil ». Elle était tellement belle et forte, chaque mot était pesé. En fait, même en l’évoquant aujourd’hui, je suis émue parce que c’est vraiment un moment extrêmement fort où elle est face à des députés qui se comportent et qui réagissent de façon totalement ignoble. Elle n’a pas lâché, elle n’a pas vacillé. C’est remarquable. Ce qui me fascine, ce sont les gens qui, face et après l’horreur, réussissent à transformer cette expérience en quelque chose de plus beau, de plus fort, de plus universel. C’est le sentiment que j’ai eu quand j’ai vu « La vie est belle ». J’ai failli quitter la salle au milieu du film. J’étais avec mon compagnon et un ami psy qui m’a retenue, en me disant : « Non, non, il faut que tu restes jusqu’à la fin. » Il a eu raison. J’ai compris que face à l’horreur, il faut surtout ne pas oublier et transmettre, mais aussi en faire quelque chose, le transformer en un combat qui est plus fort et plus important que chacun d’entre nous.

J’ai également une grande admiration pour Léon Blum. J’ai réécouté la série de podcasts faite sur lui par Philippe Collin sur Radio France. En fait, mes choix se rejoignent parce que Blum, comme Simone Veil, c’est l’intégrité, la justice, le sens du bien commun, le courage. Il est rentré dans la politique après l’affaire Dreyfus, mais c’était un grand intellectuel et il est resté toute sa vie écrivain. Il a traversé l’emprisonnement, mais il a fait preuve d’une grande pugnacité pour faire également quelque chose de plus important et d’utile à tous. Il a transformé la vie des Français au niveau sociétal, social, culturel.

À chaque fois que j’écoute « l’Affiche rouge », je pleure.

Et puis – c’est plus léger mais cela fait partie de la vie – je voudrais citer une troisième personne : Arthur Teboul, le vocaliste et parolier du groupe Feu! Chatterton. L’an dernier, quand il y a eu la panthéonisation du couple Manoukian, il a interprété « L’Affiche rouge ». C’était poignant. À chaque fois que j’écoute « l’Affiche rouge », je pleure.

Teboul est quelqu’un d’incroyable et j’aime beaucoup sa relation à la poésie. Il pense qu’elle doit entrer dans la vie quotidienne des gens, qui devraient aller chez le poète comme on va chez le fleuriste. Il a créé « le Déversoir », un « cabinet de poèmes minutes ». Quand vous venez dans cet endroit, chaque consultation donne lieu à l’écriture d’un poème instantané en votre présence, qui vous est ensuite lu, puis remis.

Ma plus grande fierté c’est la psychanalyse

IN. : Votre plus grande réussite ? (pas professionnelle)

C.M. : Plutôt que de parler de réussite, je dirais que ma plus grande fierté c’est la psychanalyse. J’ai commencé une analyse après la naissance de mon fils aîné. Pendant sept ans, cela m’a franchement beaucoup aidée à me structurer, à y voir plus clair, à mieux savoir qui j’étais, ce que je voulais, comment interagir avec les autres.

Je voudrais aussi parler d’une satisfaction personnelle : je m’arrange pour faire au minimum 10 000 pas par jour et 40 000 le week-end. Marcher me fait vraiment du bien. Cela me détend et j’en profite pour écouter des podcasts sur divers sujets : histoire, actualité politique, culture, notamment cinématographique et littéraire. C’est une évasion, un moment de liberté et de plaisir solitaire assez jubilatoire, surtout quand je traverse Paris. Sans compter que c’est bénéfique pour mon empreinte carbone, puisque cela réduit notablement mon usage de la voiture.

IN. : Votre plus grand échec ? (idem)

C.M. : Pas un échec mais un regret, celui de ne pas avoir passé plus de temps à étudier plusieurs langues étrangères. C’est quelque chose qui m’a beaucoup handicapée. Certes je parle anglais, j’ai fait un petit peu d’espagnol mais pas suffisamment pour lire un livre dans cette langue. Je pense que maîtriser des langues étrangères, donne la possibilité de mieux connaître et comprendre les cultures, de les hybrider, de mêler les cultures. Apprendre une langue étrangère c’est sortir de sa maison pour aller dans une autre maison.

Mon époux, lui, cuisine très bien, il est très créatif même si cela se fait de façon anarchique

Mais puisqu’il faut vous citer un échec, je vous avouerai que je ne sais pas du tout cuisiner, mais vraiment pas du tout. Mon époux, lui, cuisine très bien, il est très créatif même si cela se fait de façon anarchique (rires). Ma fille est véritablement excellente, notamment en pâtisserie. Elle a créé un site sur Instagram, @cestquoiledessert, impressionnant de rigueur, de précision et de plaisir pour les yeux et pour le goût. Bref, j’ai vraiment l’impression d’être passée à côté de quelque chose. J’essaye toutefois de me rattraper en assurant les préparatifs en coulisse, même pour les petites occasions.

IN. : Votre rêve d’enfant ou si c’était à refaire

C.M. : J’aurais voulu faire du journalisme, pour mieux comprendre le monde dans lequel on est, ne pas s’occuper que de soi-même mais de ce qu’il y a autour, de ce qui peut arriver, de comment le passé peut aussi instruire sur la suite.

Je ne suis pas devenue journaliste mais je me suis vite rapprochée des médias et j’ai l’impression qu’à ma modeste place, je contribue un petit peu à faire en sorte qu’il y ait des beaux médias en France, qui rendent compte de ce qui se passe, de la façon la plus juste et la plus pertinente possible en tout cas.

IN. : Votre dernier fou rire

C.M. : je ris souvent et beaucoup. Mais j’ai regardé une nouvelle fois avec ma fille il n’y a pas longtemps « Le sens de la fête », le film réalisé par Éric Toledano et Olivier Nakache avec Jean-Pierre Bacri et Gilles Lellouche. J’adore Bacri, il me bouleverse et me fait mourir de rire. Dans les trois premières minutes, un jeune couple négocie au maximum auprès de Bacri et sa société d’événementiel et lui demande d’être un peu plus imaginatif pour que ce soit un peu moins cher et mieux. Et Bacri pète un câble. Il leur dit en gros :  « ok je vais être très imaginatif. Pour les photos, on va enlever le blanc autour du cadre. Pour le menu, on va faire sauter l’entrée, le plat et vous allez ramener des Pom’potes pour le dessert ». Ça démarre tout de suite comme cela, et c’est vraiment très très drôle. Le rire c’est ça. C’est la légèreté mais aussi l’épaisseur, la densité, la dénonciation, c’est tout ce que j’aime.

« Je joue à Maman »

IN. : La manie qui irrite vos proches

C.M :  Je ne sais pas si cela irrite, c’est en tout cas un running gag à la maison, auprès de mes amis ou au bureau : je bois de l’eau chaude, pas de tisane ou de thé, mais de l’eau chaude ! J’en bois beaucoup et j’aime ça ! Cela dit, aujourd’hui, je remarque que je ne suis plus la seule et que d’autres en font autant de plus en plus !

Sinon, je sais que l’usage intensif de mon téléphone irrite. Je vais vous raconter une petite anecdote : quand ma fille avait quatre ans, elle faisait semblant de jouer avec un téléphone en tapant sur un clavier – à l’époque on avait des BlackBerry- et elle disait : « je joue à maman ». C’est une image qui m’a pas mal marquée.

Pour moi, Il y a vraiment eu un avant et un après « Belle du Seigneur »

IN. : Quel livre emporteriez-vous sur une ile déserte ?

C.M. : L’écriture c’est le fait de peser les mots, c’est l’analyse, mais c’est aussi l’émotion, la nuance, l’évasion, le décryptage et la fiction. La littérature a toujours été très importante dans ma vie. Deux écrivains ont beaucoup compté et j’emporterais leurs livres. Le premier est Albert Cohen. Je me souviens encore du moment où j’ai terminé « Belle du Seigneur », il y a très longtemps sur une plage à 5h du matin au lever du soleil. Il y a vraiment eu un avant et un après ce livre.

L’autre écrivain c’est Romain Gary. J’ai relu cet été pour la énième fois « La promesse de l’aube ». Mon fils aîné l’avait acheté. Je ne savais pas qu’il l’avait annoté. Je lui ai demandé de me le passer et quand je l’ai ouvert, j’ai découvert ses commentaires. C’était très émouvant.

* L’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’ « À la recherche du temps perdu ».

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Les Echos Le Parisien Médias / Paris Match Médias (nouveau nom en janvier 2025 de la régie Les Echos Le Parisien Médias, suite à l’acquisition de Paris Match par le groupe LVMH le 1er octobre 2024), est la régie exclusive des marques Les Echos, Le Parisien-Aujourd’hui en France, Paris Match, Investir, Boursier.com, Mieux Vivre Votre Argent, Connaissance des Arts, Historia et Radio Classique.

Son rôle : « imaginer et proposer aux annonceurs des solutions de communication à haute valeur, mêlant brand content, expériences inédites, data targeting et display ». Les Echos Le Parisien Médias / Paris Match Médias, à travers la puissance de ses marques média, rassemble un Français sur deux, soit 26,5 millions chaque mois (ACPM OneNext Global 2025 S1 Brand 30J).

 

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