Apprentissage personnalisé, soutien aux enseignants… : PyxiScience veut transformer l’éducation par l’IA
En levant deux millions d’euros pour développer une plateforme d’apprentissage assistée par IA, la jeune pousse PyxiScience ambitionne d'inventer l'école de demain. Des promesses qui suscitent moult enthousiasmes... mais également quelques réserves.
Alors que l’éducation française traverse une période de fortes tensions – entre surcharge de travail pour les enseignants, classes hétérogènes et exigences croissantes d’individualisation – une jeune start-up ambitionne de proposer une réponse technologique concrète. Créée en novembre 2024, PyxiScience vient de lever deux millions d’euros auprès de Newfund, du fonds Invess Île-de-France et Bpifrance. Son objectif : accélérer le développement de sa plateforme éducative qui mobilise l’intelligence artificielle pour corriger, générer et analyser automatiquement les copies d’élèves dans l’enseignement secondaire et supérieur.
Déjà utilisée par plus de 10 000 étudiants, notamment à l’Université Sorbonne Paris Nord et à la New York University de Paris, la solution développée par PyxiScience cible les mathématiques, du lycée jusqu’aux premiers cycles universitaires. À la clé : un gain de temps pour les professeurs et une adaptation en temps réel au niveau de chaque élève.
« Il s’agit d’une IA capable d’adapter les exercices à la progression de l’élève, de proposer un entraînement illimité et personnalisé, et de corriger les copies manuscrites avec une précision de plus de 90 % », détaille Jacques Lévy Véhel, directeur R&D et cofondateur de la société. « Malgré les progrès de l’IA, aucune solution ne permettait jusqu’ici de reconnaître l’écriture manuscrite de mathématiques avancées et de suivre pas à pas un raisonnement pour vérifier sa validité », explique-t-il au Journal du Net. Le défi technologique est immense : il ne s’agit pas seulement de reconnaître une écriture manuscrite – ce que font déjà certains OCR –, mais bien de comprendre la structure logique du raisonnement et sa pertinence. Pour y parvenir, PyxiScience s’appuie sur un modèle de langage multimodal régulièrement mis à jour, combinant reconnaissance visuelle et logique mathématique.
La plateforme permet également aux enseignants de générer automatiquement des exercices adaptés, et de mutualiser les ressources pédagogiques via une interface collaborative. Le modèle économique diffère selon les zones géographiques : en France, les établissements souscrivent à une licence annuelle ; aux États-Unis, PyxiScience prévoit un modèle de commercialisation directe auprès des universités et des enseignants. À terme, la start-up vise l’élargissement à d’autres matières scientifiques.
Corriger plus vite, enseigner mieux ?
Si ces avancées technologiques suscitent un réel intérêt, elles ne sont pas exemptes de questionnements. Dans une tribune publiée sur Le Café pédagogique en février 2025, l’enseignant de lettres Thibaud Hayette se penchait précisément sur ce sujet : « L’IA peut-elle corriger nos copies ? ». Et sa réponse, à la fois lucide et nuancée, vient utilement éclairer les promesses de PyxiScience.
Pour Hayette, les plateformes d’IA correctrices sont indéniablement utiles pour décharger les enseignants d’une partie de leurs tâches. Il constate d’ailleurs que ces outils permettent de « corriger rapidement, sans erreur de calcul, sans oubli d’un critère d’évaluation, et avec une objectivité totale sur les attendus formels ». Dans le cas des mathématiques, cette objectivité peut s’avérer précieuse, notamment pour des tâches répétitives ou pour des évaluations formatives à grande échelle.
Mais l’enseignant met aussi en garde : « L’IA juge, mais elle ne comprend pas. Elle applique des règles, mais ne contextualise pas. Elle évalue une syntaxe, pas une pensée ». Et d’ajouter, avec une certaine gravité : « Elle n’a pas d’intuition pédagogique. Elle ne devine pas qu’un élève a voulu dire quelque chose de juste mais ne l’a pas formulé clairement. Elle ne perçoit pas l’effort ». Ce constat renvoie à une question centrale pour l’avenir de l’éducation : à quoi tient la qualité d’un enseignement ? À la correction mécanique d’erreurs factuelles, ou à la capacité d’un adulte à lire entre les lignes, à encourager, à ajuster ses exigences en fonction d’un parcours, d’un contexte, d’une personnalité ?
Même dans des disciplines très structurées comme les mathématiques, ces subtilités ne sont pas absentes. La démarche d’un élève, même erronée, peut témoigner d’une logique intéressante, d’un raisonnement alternatif qui mérite un retour pédagogique individualisé. Thibaud Hayette insiste sur ce point : « Une copie, ce n’est pas seulement un document à évaluer. C’est une trace d’apprentissage, un lieu de rencontre entre un élève et un professeur ».
Un assistant puissant… à condition de ne pas le laisser piloter
C’est pourquoi le positionnement de PyxiScience apparaît d’autant plus pertinent qu’il évite de tomber dans l’illusion de l’automatisation totale. Son IA n’a pas vocation à remplacer les enseignants, mais à leur permettre de mieux se concentrer sur le cœur de leur métier : l’accompagnement, la remédiation, la transmission. En déléguant les tâches répétitives – la création d’exercices, la vérification de résultats, la correction de copies simples –, PyxiScience offre un levier d’efficacité, sans prétendre intervenir dans les dimensions plus subjectives et sensibles du travail enseignant.
Cette vision rejoint celle de Thibaud Hayette : « L’enseignant du XXIe siècle sera sûrement assisté, peut-être même augmenté grâce à l’IA, mais pas remplacé ». Ce rôle d’assistant cognitif est sans doute la meilleure voie pour une intégration responsable de l’IA dans l’éducation : non pas une substitution, mais un appui technique qui permet de dégager du temps et de la disponibilité mentale pour mieux interagir avec les élèves.
En bref, vers une pédagogie assistée mais incarnée
Avec PyxiScience, l’IA entre dans la salle de classe par la porte des mathématiques, et le fait avec une ambition affichée de rigueur et de fiabilité. Mais pour que cette promesse soit tenue, encore faut-il que les enseignants soient associés, formés, et reconnus dans leur rôle de pilotes pédagogiques. Car aucune machine, aussi sophistiquée soit-elle, ne pourra remplacer ce que l’enseignant incarne dans l’apprentissage : une présence, une écoute, un regard qui valorise les progrès et détecte les signaux faibles.
Encore faut-il, également, que les enseignants aient réellement la main sur ces outils. Trop souvent, les innovations numériques sont imposées depuis le haut, sans réelle concertation avec ceux qui sont censés les utiliser. L’acceptabilité d’une technologie passe autant par sa pertinence fonctionnelle que par la perception de son utilité sur le terrain. Autre enjeu, plus discret mais fondamental : la formation. Pour que l’intelligence artificielle serve véritablement le projet éducatif, encore faut-il que les enseignants soient outillés pour la comprendre, l’exploiter et en questionner les limites. À l’heure où l’IA générative fait irruption dans les pratiques scolaires, il devient indispensable d’intégrer cette dimension dans les cursus de formation initiale et continue.
La réussite de PyxiScience dépendra donc autant de ses performances techniques que de sa capacité à s’insérer dans un écosystème humain complexe, fait de contextes, de publics, de styles d’enseignement variés. Elle devra prouver sa souplesse d’intégration, sa transparence, et surtout sa capacité à renforcer — et non affaiblir — le lien pédagogique. Et puis il y a la question, inévitable, de la confiance. Une IA qui évalue ou accompagne les élèves touche à des dimensions sensibles : la notation, le parcours, parfois même l’orientation. Quels critères sont utilisés ? Comment sont construits les modèles d’analyse ? Sont-ils biaisés ? Reproductibles ? Vérifiables ? La transparence des algorithmes, la portabilité des données, ou encore la souveraineté des systèmes (en particulier dans l’Éducation nationale) ne sont pas des détails techniques, mais des préalables démocratiques.
En cela, l’initiative de PyxiScience, aussi prometteuse soit-elle, devra composer avec une attente croissante de régulation éthique dans l’usage des technologies éducatives. Si elle y parvient, si elle réussit à combiner exigence technique, transparence algorithmique et respect de la complexité humaine du métier d’enseignant, alors elle pourrait bien marquer une nouvelle étape dans l’histoire de l’école augmentée. Une école où, paradoxalement, l’intelligence artificielle pourrait remettre un peu plus d’intelligence… humaine.