Ce malaise autour des femmes qui « s’affichent »
Elles sont entrepreneures, dirigeantes, créatrices de contenu ou cadres en reconversion. Elles osent prendre la parole, se raconter, mettre en avant leur parcours. Et bien souvent, elles dérangent.
Je lis très souvent des commentaires acides sous les posts de femmes qui osent s’affirmer sur LinkedIn, dans une société qui se voudrait davantage bienveillante et unie : “pour qui vous prenez vous ?”, “Et ça se dit experte…”, “La prétention a un visage!” . Migraine. Nausée. Quand elles l’ouvrent, les femmes prennent cher.
Vous me direz n’est-ce pas le jeu ? Est-ce que les femmes sont plus souvent critiquées que les hommes ? Pas forcément mais mal perçues oui. Bien souvent, les critiques ne font pas peur aux hommes, alors que les femmes elles s’en protègent par le silence.
Sur les réseaux comme dans les médias, l’expression d’une ambition féminine décomplexée suscite encore des réactions polarisées. Là où l’on admire un homme « qui sait ce qu’il veut », on reproche à une femme « d’en faire trop ». Encore beaucoup d’entre elles craignent la critique, souvent soutenus par un syndrome de l’imposteur très ancré, favorisé par un perfectionnisme développé depuis l’enfance.
Cette différence de regard est au cœur des injonctions contradictoires que subissent les femmes dans leur manière de se rendre visibles. Et elle touche de plein fouet le personal branding.
Définir (vraiment) le personal branding
Évitons les mots-valises, redéfinissons le personal branding. Cette pratique n’est ni un effet de mode, ni une stratégie narcissique, ni un ego trip.
C’est l’art de construire une narration cohérente entre ce que l’on est, ce que l’on fait, et ce que l’on incarne dans le but de se distinguer et de partager sa singularité.
Autrement dit : rendre visible son identité professionnelle à travers ses prises de parole, ses engagements, ses contenus, ses choix, son positionnement.
Dans un monde où la visibilité est devenue un levier de légitimité, le personal branding est un outil puissant : il permet de se différencier, d’attirer des opportunités, de construire une influence.
Et pourtant, malgré son caractère universel, il est souvent perçu (à tort) comme une pratique non seulement prétentieuse, mais également genrée.
Une pratique historiquement masculine… aujourd’hui féminisée ?
Il suffit de jeter un œil à l’histoire pour voir à quel point les figures masculines ont toujours su maîtriser leur image et leur visibilité : Churchill, Jobs, Musk… Tous ont bâti leur légende sur une communication calibrée, un style, une posture. Mais aujourd’hui, dans le monde du travail 2.0, le personal branding est une pratique vertueuse aussi pour l’émancipation des femmes. Peut-être parce qu’elles s’en emparent comme d’un espace de réappropriation.
Le personal branding est devenu une opportunité pour toutes de reprendre leur pouvoir sur leur image, leur notoriété et mais encore, leur développement personnel comme professionnel. De Pauline Laigneau à Louise Aubery en France jusqu’à Oprah Winfrey aux États-Unis, il n’est plus question de faire profil bas ni de gommer certaines lignes de son histoire parce que pas assez “vendeuses”. On apprend dès lors à s’assumer avec authenticité et avec fierté, mais aussi à exprimer publiquement son ambition et sa volonté de grandir, de se réaliser et de contribuer en prenant la parole. Prendre la parole et adopter le “JE” dans ses contenus est un acte d’empowerment puissant et libérateur pour beaucoup d’entre elles, qui, jusqu’alors, se sont tues.
Peut-être aussi parce que la société leur demande encore de “se vendre” plus que les hommes pour obtenir la même reconnaissance. Par ailleurs, une analyse de Harvard Business School et de Wharton a démontré que les femmes évaluent systématiquement leur performance de manière moins favorable que les hommes, même lorsque leurs résultats sont équivalents. Ce biais d’auto-évaluation contribue à une moindre auto-promotion, limitant ainsi leur visibilité professionnelle.
Une pratique aux différences culturelles
Plusieurs études soulignent le rapport genré à la visibilité. Une étude Hootsuite (2023) montre que 72 % des femmes disent avoir peur d’être perçues comme prétentieuses en parlant de leurs succès en ligne. Et, selon une étude KPMP (US) 75 % des femmes cadres supérieures ont connu des sentiments d’auto-doute ou le syndrome de l’imposteur à un moment donné de leur carrière.
Des différences culturelles marquent aussi cette pratique. Aux États-Unis, le personal branding est enseigné dès l’université. L’auto-promotion est valorisée comme une compétence. Tandis qu’en France : la modestie reste une norme implicite, surtout pour les femmes. L’exposition est souvent jugée suspecte.
Dans les Pays scandinaves, l’approche est plus égalitaire, centrée sur l’authenticité plutôt que sur la mise en scène.
Arrogante ou confiante ? Déconstruire le double standard
Le biais de perception est bien réel. Une femme ambitieuse est “dérangeante”. Un homme ambitieux est “inspirant”. Ce phénomène, largement documenté en psychologie sociale, s’appelle le double standard de leadership. Il impose aux femmes une ligne de crête : être visibles, mais pas trop. Assumées, mais pas agressives. Brillantes, mais sans le dire. Ce climat pousse beaucoup de femmes à l’autocensure. À ne pas oser se montrer. À se conformer. À se taire.
Alors que je n’exclus aucun homme dans mes accompagnements, 95% de mes clients sont des femmes. Fruit du hasard ? Je ne crois pas. Souvent freinées par la peur panique ou leur censeur interne que j’aime appeler Gérard, elles craignent d’être critiquées, voire humiliées, de faire le faux-pas et de perdre en un post toute crédibilité si durement bâtie. Pourtant, beaucoup ressentent que l’envie de prendre leur place et de se positionner. Ce changement passant par une communication personnelle/professionnelle incarnée ET authentique.
Et si c’était un espace de liberté ?
Le personal branding, loin d’être un carcan, peut devenir un territoire d’expression génial pour les femmes. Un moyen de déconstruire les stéréotypes, de réécrire son histoire, de s’autoriser à dire « voilà qui je suis ». Il s’agit presque d’une thérapie accélérée pour regagner confiance en soi et en sa vie professionnelle.
Il ne s’agit pas de se formater, mais d’oser prendre sa place. De sortir du bois, non pas pour plaire, mais pour exister, car dans l’ombre on ne fait que s’éteindre. Il ne s’agit pas de crier, ni de se conformer, mais influencer et connecter autrement.
Alors non, le personal branding n’est pas réservé aux femmes
Si il n’est pas une pratique genrée et spécifiquement réservée aux femmes, il peut, pour elles, devenir un levier de puissance, de positionnement personnel comme professionnel et de transformation profonde. Le personal branding est un terrain d’expression pour se réapproprier son histoire et développer son leadership.
Lucie Lebaz
Auteure de “J’ai peur, mais j’y vais” (éditions Dunod),
Experte en branding et coach en personal branding