30 avril 2025

Temps de lecture : 5 min

Technologies émergentes : pourquoi les entreprises et le grand public ne se comprennent plus

Une étude européenne de Hotwire menée dans cinq pays européens met en lumière un profond fossé entre la perception des dirigeants d'entreprise et celle du grand public à propos des technologies de rupture. Un désalignement qui questionne le rôle des communicants dans la réconciliation des points de vue.

En matière d’innovations technologiques, les dirigeants européens regardent l’avenir avec des lunettes teintées d’optimisme. Le grand public, lui, semble avoir oublié de les chausser. C’est ce que montre The Frontier Tech Confidence Tracker, une étude exclusive commandée par Hotwire Global et menée par le cabinet Opinium auprès de 730 décideurs et 8 000 citoyens dans cinq pays européens, dont la France. L’analyse révèle un fossé de perception de 29 points entre les élites économiques et le reste de la population sur l’impact des technologies de rupture telles que l’intelligence artificielle, la robotique, la réalité augmentée ou encore l’informatique quantique.

Alors que les décideurs affichent un score moyen de 77 sur 100 en matière de confiance dans ces technologies, le grand public n’atteint que 48. Ce décalage, qualifié de “fracture technologique”, souligne une adhésion beaucoup plus nuancée de la part des citoyens. L’étude note également que la population européenne est, en moyenne, 13 points moins optimiste que les décideurs sur l’impact sociétal de ces technologies — un chiffre qui grimpe à 20 % sur certains marchés. Les entreprises semblent souvent persuadées d’emmener le monde dans la bonne direction. 79 % des décideurs européens (78 % en France) pensent ainsi que le public perçoit positivement les entreprises qui adoptent ces technologies. Erreur de perspective : seuls 46 % des citoyens européens (42 % en France) partagent ce regard bienveillant.

Le malentendu ne s’arrête pas là. Les dirigeants voient dans la technologie un levier de performance : amélioration de la productivité (58 % en Europe, 52 % en France), développement de produits (44 % et 43 %), avantage concurrentiel (38 % et 31 %). Le public, quant à lui, pointe plutôt les risques de licenciements (38 % en Europe, 34 % en France) et l’aggravation des inégalités (25 % et 30 %). Deux récits qui ne se croisent plus vraiment.

Qui croire ? La bataille de la crédibilité

L’écart de perception s’accentue encore sur le terrain du travail. Les entreprises sont 34 points plus enclines que leurs salariés à considérer comme positifs les changements induits par la technologie sur leur lieu de travail. Là où les directions voient gains d’efficacité, nombre d’employés perçoivent perte de sens ou menace sur l’emploi. Sur les bénéfices sociétaux, le consensus reste tout aussi fragile. Si le public estime que les applications médicales (36 % en Europe, 40 % en France) représentent l’avancée la plus prometteuse, les décideurs placent plutôt l’efficacité opérationnelle (50 % en Europe, 42 % en France) et la croissance économique (41 % et 36 %) en tête de leurs priorités.

Dans ce climat de défiance, la question de la source d’information jugée fiable devient centrale. Et les résultats sont clairs : les leaders technologiques ne font pas recette. Si 51 % des décideurs européens les considèrent comme les plus dignes de confiance, le grand public est 29 % moins enclin à leur accorder le même crédit. À l’inverse, scientifiques et chercheurs remportent l’adhésion des deux camps : 43 % du public (en Europe comme en France) leur font confiance, et ils arrivent en deuxième position pour 49 % des décideurs européens, et même en première position pour 50 % des dirigeants français.

Un enjeu stratégique pour les communicants

L’étude agit comme un miroir tendu aux entreprises européennes. Elle révèle moins un rejet des technologies qu’un besoin de pédagogie, de transparence et de lien. Car si la confiance se construit dans l’échange, elle peut se briser dans l’opacité. « À une période où le rôle des entreprises dans la société est très observé, il y a un vrai risque qu’elles se déconnectent de ce que pense le public sur l’usage de la technologie pour atteindre des objectifs commerciaux », alerte Ute Hildebrandt, CEO de Hotwire Global pour l’Europe continentale. « Se mettre à dos les parties prenantes peut entraîner une couverture médiatique plus critique, des décisions politiques moins favorables, et au final, mener à un ralentissement de la croissance ».

Ce n’est pas un simple problème de perception, mais une question de stratégie réputationnelle. Isabelle Rahé, Directrice générale de Hotwire France, enfonce le clou : « Forte de ces résultats et des enseignements qui se dégagent de cette étude européenne exclusive, la communication a pleinement un rôle à jouer pour accompagner les dirigeants d’entreprise à construire une stratégie efficace permettant d’emporter l’adhésion des différents publics et de mettre en place des actions concrètes. Au-delà des mots, les actions seront les seules preuves tangibles ».

Expliquer, dialoguer, prouver

En somme, l’étude pointe un double impératif : parler moins techno, et plus humain. La communication autour des technologies de rupture ne peut plus se limiter à une promesse de performance. Elle doit aussi raconter ce que ces innovations font aux gens — à leurs métiers, à leur santé, à leur quotidien. Et le faire avec les bons porte-voix.

Comme le rappelle Ute Hildebrandt : « Les entreprises ont la responsabilité de communiquer proactivement sur l’utilisation qu’elles ont des technologies de rupture et sur la façon dont elles anticipent l’impact sur leur écosystème, et notamment sur la société. Elles doivent le faire autant pour les opportunités que pour les éventuels risques. Une démarche transparente permet de réduire les inquiétudes, de renforcer la confiance et de favoriser l’adhésion ».

Ce fossé de perception entre citoyens et décideurs n’est pas une fatalité. Il révèle surtout la nécessité d’un nouveau contrat de confiance entre technologie, entreprise et société. Dans un contexte où les innovations se succèdent à un rythme effréné, il ne suffit plus d’innover — il faut expliquer pourquoi, comment, et pour qui. La pédagogie ne relève plus de la cerise sur le gâteau, mais bien de l’architecture du projet.

Un dialogue à réinventer

Cela implique aussi un changement de posture. Loin des discours triomphalistes sur la “disruption” ou la “révolution numérique”, les entreprises sont appelées à adopter un ton plus modeste, plus inclusif, plus ancré dans les usages réels. Les communicants ont ici un rôle stratégique à jouer : non pas simplifier à l’excès, mais traduire, contextualiser, illustrer, humaniser. Donner des visages, des bénéfices concrets, et reconnaître aussi les zones d’ombre. Certaines marques commencent à tracer cette voie. Microsoft, par exemple, a mis en place dès 2023 un programme public de sensibilisation à l’IA générative, incluant des tutoriels pédagogiques, des engagements éthiques clairs et des consultations d’experts indépendants. L’objectif : créer une culture de l’appropriation technologique, en particulier autour des outils déployés dans les entreprises.

En France, EDF a développé un dispositif interne transparent sur l’usage des données et des algorithmes dans ses services clients, avec une communication régulière auprès de ses usagers sur les finalités, les bénéfices et les limites de ces technologies. Une manière de prévenir les fantasmes et de construire un usage “rassurant” de l’IA dans des domaines sensibles comme l’énergie ou la relation client. Même dans le secteur de la grande distribution, certains acteurs s’emparent de l’enjeu. Carrefour, dans sa stratégie IA, a publié dès 2024 une charte de responsabilité sur l’utilisation de la reconnaissance faciale à des fins de sécurité en magasin, incluant un audit éthique indépendant et des canaux de feedback ouverts aux clients. Un effort de transparence proactive, encore rare dans ce secteur.

La confiance ne se décrète pas, elle se construit. Et dans une Europe traversée par des doutes technologiques croissants — IA, deepfakes, surveillance algorithmique, automatisation du travail — elle passera moins par des promesses d’efficacité que par des preuves d’écoute, des démonstrations de responsabilité et, surtout, par des actions qui parlent autant que les mots.

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