Ces questions reviennent comme d’éternelles rengaines dès qu’une innovation technologique majeure apparaît sur le marché. Comment l’encadrer sans la freiner ? Comment la gouverner sans la contrôler ? Comment éviter ses possibles excès sans limiter son développement ? L’arrivée de l’intelligence artificielle dans notre quotidien, aussi bien au travail qu’à la maison, représente une véritable révolution. Ses applications semblent sans limite. Mais s’il est, avouons-le, plutôt plaisant et amusant d’explorer les outils d’IA dès leur sortie et de jouer les apprentis-sorciers, ce modèle n’est pas franchement celui que doivent appliquer les entreprises. Leurs dirigeants en sont les premiers convaincus. 70% des patrons français pensent ainsi qu’il est impossible de faire confiance à l’IA sans une gouvernance efficace déployée au sein de leur organisation, si l’on en croît les conclusions d’une récente étude publiée par IBM Institute for Business Value. Et pour cause…
L’IA se plante encore souvent…
Les réponses apportées par certaines IA génératives ne sont pas aussi intelligentes que certains voudraient bien le penser. « Nous avons récemment demandé à ChatGPT combien de fois la lettre ’s’ se trouvait dans le mot anticonstitutionnellement, s’amuse Yann Legrand, le directeur général adjoint d’Epsilon, en charge de la data et de l’IA. Sa première réponse était… 6. Je lui ai posé la même question hier et la plateforme m’a dit… 3. Lire de telles aberrations sur un sujet aussi simple montre bien que les modèles publics d’IA générative n’ont pas encore pris la main. » C’est le moins que l’on puisse dire…
Des inquiétudes persistantes
Certaines entreprises s’inquiètent de ces « erreurs ». La confidentialité toute relative des données « moulinées » par les moteurs d’IA en accès libre est un autre sujet de préoccupations de nombreuses sociétés. Son coût n’est pas non plus une question à éluder d’un revers de la main. Car il faut bien prendre conscience que ces nouvelles technologies nécessitent de sérieux investissements. Les offres « gratuites » trouvent vite leurs limites. « Aujourd’hui, beaucoup parlent de token lorsqu’il s’agit d’utiliser ces solutions IA mais derrière ce mot se cache des dollars et des euros sonnants et trébuchants, prévient Fabien Alègre, le directeur du département conseil data chez Epsilon. Si générer du texte grâce à l’IA ne nécessite pas trop de token ni d’énergie, produire des images et à fortiori des vidéos demande beaucoup plus de moyens. Cela coûte très cher et consomme énormément d’énergie. On s’en rend déjà compte quand on voit à quel point l’utilisation du Cloud explose depuis quelques mois. »
Comment alors gouverner tout cela et cette régulation est-elle tout bonnement possible ? Fabien Alègre n’en doute pas une seconde. « Les questions qu’on entend aujourd’hui ressemblent beaucoup à celles qui étaient posées il y a une quinzaine d’années quand le cloud est arrivé », se rappelle cet expert. Comment toutefois s’y prendre ?
L’IA n’est pas la solution à tous les problèmes
« La première interrogation qui doit vous venir à l’esprit au sujet de la gouvernance est de savoir si l’IA est réellement la bonne réponse au problème que vous devez résoudre, ajoute Fabien Alègre. 90% des POCs sur l’IA (ces ‘Proof Of Concept’ sont des expérimentations qui servent à démontrer la valeur d’un cas d’usage ou d’une méthode à partir d’un lac de données – n.d.l.r.) ne vont jamais au stade de production. Il est en effet plus facile de créer une centrale nucléaire dans un laboratoire que de la construire en taille réelle. » Cette transition du prototype à l’industrialisation reste le plus grand défi des projets d’IA. Bien que prometteurs lors des phases de démonstration, beaucoup de projets échouent à se pérenniser en production. Pourtant, le passage à l’échelle est possible. Le maître-mot pour réussir est… anticipation et ce dès la conception du programme.
Bien préparer le terrain
La première chose à faire est de définir une roadmap précise de l’IA. Son pilotage implique de prioriser les besoins, de mesurer le vrai retour sur investissement de son projet et de gérer les initiatives à suivre. L’intégration de l’humain est un autre élément clé. Favoriser l’adoption de solutions par la confiance et identifier les évolutions nécessaires dans les métiers, les carrières et les compétences sont des étapes fondamentales d’une bonne gouvernance. Le volet formation est également primordial.
Former encore et toujours
« L’accompagnement au changement est obligatoire, résume Yann Legrand. Il est nécessaire de former les collaborateurs pour les aider à utiliser ces technologies au quotidien. Les salariés sont généralement très demandeurs car beaucoup ont déjà commencé à utiliser l’IA chez eux, surtout depuis l’arrivée de ChatGPT. Ces outils ne leur font pas peur mais ils souhaitent comprendre leur fonctionnement pour mieux s’en servir. » Va-t-on pour autant arriver à une gouvernance très encadrée comme on peut le voir dans d’autres secteurs comme la RSE par exemple ? On peut l’imaginer.
« Nous n’en sommes qu’aux balbutiements aujourd’hui mais beaucoup d’initiatives se lancent actuellement, note Fabien Alègre. Certaines sont très locales et d’autres beaucoup plus vastes comme celles de l’UE qui a établi son IA ACT et l’OCDE avec son AI Principles. » L’IA est là et sa gouvernance est en marche. Il n’y a pas de temps à perdre.