10 mai 2020

Temps de lecture : 8 min

366 : De la distance à la défiance. Small is beautiful

COURT-CIRCUITS / CIRCUITS COURTS : 10 tendances, expliquées, décryptées et illustrées pour la 5ème édition de "Français, Françaises" par 366 et BVA au prisme d’un corpus de plus de 100 millions d’articles et 30 milliards de mots, soit 10 ans de PQR. Aujourd'hui la neuvième et avant-dernière tendance: small is beautiful...

COURT-CIRCUITS / CIRCUITS COURTS : 10 tendances, expliquées, décryptées et illustrées pour la  5ème édition de « Français, Françaises » par 366 et BVA au prisme d’un corpus de plus de 100 millions d’articles et 30 milliards de mots, soit 10 ans de PQR. Aujourd’hui neuvième  et avant-dernière tendance: small is beautiful…

« Les anges déchus » : 25 ans après la sortie du film de Wong-Kar Wai, c’est le titre qu’on pourrait donner à une catastrophe industrielle bien réelle, intervenue en 2019. Celle qu’a connu Victoria’ Secret, la marque iconique de lingerie de luxe, poussée à annuler son défilé-évènement annuel qui voyait les top-models les plus célèbres de la planète parcourir les podiums munies d’ailes d’ange dans le dos, et ce depuis… 1995. Alors que les « anges » attiraient encore 9 millions de téléspectateurs aux Etats-Unis en 2014, ils n’étaient plus que 3 millions en 2018, la courbe des ventes s’effondrant en parallèle. A l’origine de cette désaffection, les polémiques récurrentes sur une stratégie marketing accusée de promouvoir une « femme-objet » – en décalage croissant avec la demande de diversité et d’authenticité sur les podiums, et devenue radicalement obsolète à l’heure de #MeToo. Et pour n’en avoir pas perçu le sens, la marque pourrait être emportée par le flot de l‘Histoire, ou plutôt de la concurrence, celle de marques faisant défiler des mannequins de toutes morphologies et de toutes origines, avec un triomphe critique, d’image et de ventes à la clé.

Les marques entre défiance, consom’activisme et pression morale

Cette authentique parabole ne donne pas seulement la mesure du chemin parcouru depuis l’époque pas si lointaine où Karl Lagerfeld faisait arracher des dizaines d’arbres pour recréer une forêt dans le Grand Palais pour un défilé Chanel : elle montre comment la pression morale se focalise très rapidement sur les grandes marques et révèle l’entrée de ces marques dans un nouveau paradigme, celui de la surveillance active par le public, de par leur statut de « grandes ». Les enquêtes d’opinion ont montré depuis plus de 10 ans l’accroissement spectaculaire de la défiance envers les grands acteurs économiques. Dans notre enquête « seuls » 49% Français ont une bonne image des « grandes entreprises » – perçues comme mondialisées, tentaculaires, bref nous échappant – alors qu’à l’inverse sont plébiscités les acteurs économiques de proximité, artisans (92%), TPE (91%) et PME (88%). Le petit et le proche est prisé ; le gros et le lointain suspect, donc de plus en plus contrôlé et surveillé. Toujours plus méfiants envers le politique et devenus pleinement conscients de leur condition d’homo economicus, les citoyens-consommateurs se comportent de plus en plus en « consom’acteurs ». Notre enquête le révèle : boycotter un produit ou une entreprise apparaît comme le moyen le plus efficace pour influencer les décisions importantes dans le pays aux yeux des Français (71%,), davantage que voter aux élections (68%), faire grève (56%) ou participer à une consultation citoyenne (51%). Et si cette conviction s’impose, c’est que se développent à grande vitesse les moyens, non plus seulement de s’indigner et d’interpeller les entreprises, mais aussi d’agir individuellement et de peser collectivement. Les réseaux sociaux procurent aux militants et activistes une capacité d’exploitation et d’activation de cette tendance à la stigmatisation des « grands » acteurs, comme le montre l’impact des campagnes menées par le collectif Sleeping Giants pour inciter les annonceurs à ne plus placer de publicité autour d’émissions (Eric Zemmour sur CNews) ou dans certains médias diffusant des « discours de haine », ou encore l’écho rencontré, jusqu’au niveau gouvernemental, par la viralité d’une photo prise par une salariée de l’application anti-gaspillage TooGoodToGo d’un stock de baskets lacérées et jetées à la poubelle par un magasin Go Sport.

Yuka dit, l’agroalimentaire tremble !

Tout récemment, la généralisation accélérée des applications de contrôle de produits a considérablement renforcé le pouvoir et la force de frappe des consommateurs, en particulier dans le secteur agro-alimentaire, objet de toutes les inquiétudes sanitaires et environnementales. Au point que selon une étude Ifop de novembre 2019, 1 Français sur 2 connait au moins une de ces applications, et 1 sur 4 en utilise une… tendance foudroyante, puisque 76% d’entre eux disent l’utiliser depuis moins d’un an. L’emblématique Yuka, application aidant les consommateurs à déchiffrer les étiquettes et noter la valeur nutritive des aliments, affichait ainsi 14,5 millions d’utilisateurs à fin 2019, un impact significatif sur les décisions d’achat et une vraie capacité à faire plier la grande distribution. Intermarché a ainsi annoncé le retrait de 140 additifs dans 900 produits des rayons traiteur et surgelés (réussissant ainsi par exemple à faire remonter la note de son Taboulé aux raisins Monique Ranou de 45 à 69) donnant acte à Yuka de son influence : « Aujourd’hui nous devons évidemment faire attention au score obtenu sur Yuka par nos produits, car c’est un outil très utilisé », expliquait à Marianne le directeur R&D de la filière . Dans la dernière enquête menée par Yuka auprès de ses utilisateurs, 84% d’entre eux estiment que l’application a plus d’impact que les pouvoirs publics pour faire changer les choses. On dirait qu’ils ont raison. Fort de son immense succès, Yuka passe désormais de l’information à l’action, en lançant une pétition concertée avec Foodwatch et la Ligue contre le Cancer pour l’interdiction des nitrites dans le jambon. Surveillance, contrôle à distance : si les marques se trouvent confrontées à ces nouvelles logiques, c’est que la défiance envers elles se double désormais d’une exigence de sens et d’éthique…au moins autant qu’envers le politique. On trouve là le reflet et la conséquence inattendue du poids parfois supérieur aux Etats que leur ont conférés 30 ans de mondialisation et de dérégulation. « Sociétalisées » par l’opinion publique, les grandes entreprises sont ainsi percutées par une nouvelle pression morale, qu’exprime sans fard l’application Moralscore, lancée début 2019, qui attribue une note « éthique » aux entreprises d’une dizaine de secteurs, de l’automobile aux opérateurs de téléphonie, selon les critères de la RSE.

La « Grande Entreprise » contrainte à se redéfinir autour de sa raison d’être

Les Grandes Entreprises doivent donc évoluer pour survivre dans ce nouvel environnement. A l’heure où plus de la moitié des Français (53%), dans notre enquête, estime important que les entreprises poursuivent une ambition d’intérêt général pour contribuer positivement à la société, au-delà de leur cœur de métier, il s’agit pour celles-ci de montrer qu’elles s’emparent des grands enjeux du monde et ne poursuivent pas que la rentabilité. En un mot, il leur faut redéfinir leur raison d’être, leur essence, leur identité. Le mouvement semble amorcé : aux Etats-Unis, 181 PDG des plus grandes entreprises mondiales, réunis au sein de la Business Roundtable, ont ainsi redéfini la mission des groupes qu’ils dirigent comme étant de servir le développement plus inclusif et égalitaire de la société américaine dans son ensemble, et non plus les intérêts des seuls actionnaires. Et les études publiées, notamment par la Harvard Business Review, montrent l’impact positif de la raison d’être, pour la réputation mais aussi en termes de performance globale des entreprises qui s’en sont dotées. En France, un nombre croissant d’entreprises se tourne vers les dispositifs instaurés par la loi Pacte, en publiant leur « raison d’être » (Danone, SNCF, ATOS, Veolia…), voire même, comme la MAIF, en adoptant le statut plus contraignant de « société à mission ». Mais, dans un contexte de défiance généralisée et de décryptage immédiat des stratégies de storytelling, pointe tout de suite le soupçon du « purpose washing » ou « woke washing »… Et si les communicants théorisent ce nouveau « filon » de la raison d’être, ils sont aussi les premiers, à l’instar de Nicolas Bordas, vice-président international de TBWA-Worldwide, à avertir de la « vulnérabilité » accrue des entreprises qui revendiquent ainsi leur engagement sociétal. Un risque réputationnel bien évidemment (celui d’être immédiatement épinglé en place publique si l’engagement pris n’est pas cohérent avec les pratiques constatées), mais également, et de plus en plus juridique, comme l’illustre la mise en examen pour « pratiques commerciales frauduleuses » de Samsung France en juillet 2019, sous l’impulsion de l’ONG Sherpa, l’accusant de ne pas respecter la charte d’engagements publiée en 2014, promettant de mettre fin au travail des enfants en Asie. L’enjeu incontournable est donc de faire de la raison d’être un véritable cadre stratégique qui oriente de façon cohérente et mesurable l’ensemble des décisions, de la gestion des ressources humaines aux choix d’investissement, à l’instar d’un Danone sortant du secteur des boissons alcoolisés pour être en ligne avec son engagement affiché haut et fort de « contribuer à la santé par l’alimentation ». Ce n’est qu’à ce prix qu’elles pourront générer et démontrer la « valeur sociétale ajoutée » (Nicolas Bordas) qu’attendent d’elles une proportion grandissante de consommateurs. Cohérence entre actes et discours, exemplarité sur les pratiques et preuves des engagements composent ainsi le nouveau kit de survie à l’ère de la surveillance et du contrôle permanent. Elles peuvent même constituer des leviers de réputation, en utilisant à leur profit la force d’impact des applis de notation, qui à l’instar de Yuka s’engagent à ne plus se cantonner au « name and shame » mais aussi à pratiquer le « name and praise » pour les bons élèves.

Raison d’être, devoir d’agir – ici et maintenant

Comment alors à l’heure du small is beautiful reconstruire cette proximité pour les grandes marques ? Sûrement pas en la revendiquant jusqu’à la caricature, tant ce discours paraît usé et « fake»… Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour. Il en va de même pour la proximité. C’est pourquoi la raison d’être est d’abord une raison d’agir, ici et maintenant, de façon visible pour le consommateur, et même « chez » le consommateur. En parlant à hauteur d’homme et en faisant tous les efforts de transparence… en devenant small à son tour. Être proche des consommateurs, c’est non seulement répondre à leur exigence d’exemplarité, mais aussi les aider à aller eux-mêmes dans ce sens – et la réaction peut alors être immédiate ! Ainsi, quand le renoncement aux emballages est un des premiers gestes adoptés par ceux qui veulent réduire leur empreinte carbone, l’enseigne de produit écolos Altermundi a fait un carton (plus de 50 000 exemplaires vendus en un an) avec son modèle de gourde aux couleurs vives, tandis que le site Greenwez, qui propose 20 000 produits bio et écologiques, a vu sa fréquentation bondir de 40% suite au lancement en novembre d’une liste de « cadeaux zéro déchet » pour les fêtes de fin d’année.

Brandon comme marquer le bétail pour identifier le propriétaire

C’est aussi mener des initiatives engagées et construites avec les acteurs de terrain, y compris sur les sujets où la marque fait l’objet de critiques, pour prouver sa volonté d’amélioration. Accusé de longue date de se comporter en « prédateur » des espaces publics urbains, JC Decaux s’est associé au cabinet conseil en développement durable Utopies, pour faire évaluer et améliorer la tendance émergente du Brand Urbanism®, qui consiste, pour une marque, à allouer une fraction de son budget marketing ou publicitaire au financement d’un projet d’aménagement urbain positif dans le cadre d’une collaboration avec la ville et ses habitants. Enfin le meilleur moyen pour les marques de recréer de la proximité, de redevenir small, reste sans doute de se réancrer localement, au plus près des consommateurs. Car l’attachement à l’artisan et à la petite entreprise, à l’agriculteur, la préférence pour le « made in France », en particulier dans l’agro-alimentaire, et même l’appétence renouvelée pour le protectionnisme qu’expriment les Français que nous avons interrogés sont autant de signes convergents : après 30 ans de mondialisation débridée, la réappropriation et le resserrement des circuits économiques est au cœur des attentes sociétales. Il est bien l’heure de se souvenir de l’origine même de la notion de marque (« Brand » en anglais), qui vient du « brandon » servant à « marquer » le bétail pour en identifier le propriétaire, et pouvoir le « sourcer » en cas de problème de qualité. Retrouver le sens de la marque, un vrai programme de reconquête.

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