24 novembre 2025

Temps de lecture : 8 min

Les politiques se pressent chez Sam Zirah : anatomie d’un phénomène médiatique

Parti de la téléréalité, Sam Zirah a peu à peu déplacé le centre de gravité de sa chaîne pour devenir l’un des passages obligés des responsables politiques. Entre liberté de ton, nouvelle grammaire de l’interview et conscience aiguë de la désinformation, il raconte comment il s’est imposé dans un paysage médiatique qui n’était (initialement) pas taillé pour lui.

INfluencia : Vous continuez d’interviewer des acteurs de la télé-réalité, tout en recevant désormais des responsables politiques. Quel est aujourd’hui votre véritable positionnement éditorial et qu’est-ce qui vous a poussé à déplacer le centre de gravité de votre chaîne ?

Sam Zirah : Alors je vais être très clair : J’aime être inclassable et je veux le rester. Je l’ai toujours été, et je pense que ce sera le cas toute ma vie. C’est autant un avantage qu’un défaut. Une force, parce que ça me permet de parler de plein de sujets : téléréalité, influence, société, politique… Et en même temps, c’est une faiblesse, parce que les gens ne savent pas dans quelle case te mettre.

Aujourd’hui, la société et les réseaux sont très communautaires, chacun enfermé dans sa bulle algorithmique. Donc beaucoup de créateurs finissent par se limiter qu’à un seul sujet, celui qui concerne leur communauté. Moi, je n’ai pas envie de voir le monde uniquement de façon verticale, comme sur mon téléphone. Et en parlant télé-réalité, influence, politique, je propose une autre grammaire sur les réseaux.

Même si j’ai commencé avec la télé-réalité, la profondeur que j’ai voulu y mettre dès le début, avec une grille de lecture centrée sur des thèmes de société importants et actuels, montre que j’ai toujours eu cette volonté, peut-être inconsciente, de traiter un sujet à travers plusieurs prismes.

INfluencia : Ce n’est même pas une question que vous vous posez finalement...

Sam Zirah : Exactement. Je fonctionne à l’instinct, à ce qui me fait vibrer sur le moment. Et pour être honnête, je ne vois pas cela comme une “mutation”. Pour moi, c’est juste la continuité de ce que j’ai toujours fait. Je n’ai jamais cherché à faire des interviews politiques.

Ce sont les interviews politiques qui sont venues à moi. Il y a eu Arthur Delaporte, il y a plus de deux ans. Je l’avais vu sur Public Sénat, dans son discours sur la protection des consommateurs face aux influenceurs. Il citait Maeva Ghennam, et ça m’avait parlé.

C’est dans ce cadre-là que je l’ai reçu. Ensuite, j’ai accueilli Michel Lauzzana pour parler de l’interdiction des puffs (modèle de cigarette électronique, NDLR), puis Bruno Studer sur l’encadrement des enfants d’influenceurs. Bref, tout cela est arrivé très naturellement.

Et aujourd’hui, quand je reçois des politiques, l’idée n’est pas de “faire de la politique”, mais de les faire parler à ma communauté. Parce que ma communauté, ce n’est pas une niche : plus de six millions de personnes me suivent au total, dont deux millions sur YouTube.

Ce sont des mères de famille, des pères, des étudiants, des stagiaires, des commerciaux, des salariés, des alternants… C’est la société. Et il n’y a aucune raison pour que la parole politique ne soit entendue que sur des plateaux institutionnels, où il y a peut-être plus de contrôle et plus de pression.

INfluencia : Quand vous dites que « les politiques ont les mêmes codes que les candidats de télé-réalité », qu’est-ce que cela change dans la manière dont vous construisez vos interviews ?

Sam Zirah : J’y vais exactement comme je l’ai toujours fait, très honnêtement. Je ne fais pas de distinction dans la manière d’interviewer, que j’aie en face de moi un responsable politique, un influenceur ou un candidat de télé-réalité. Après, évidemment, le fond et les recherches ne sont pas les mêmes, les sources et les outils non plus. Mais j’y vais avec ma personnalité, mes recherches, mon envie.

Si j’ai envie de chanter avec Clémentine Autain parce que j’ai découvert qu’elle avait eu une petite carrière d’enfant chanteuse grâce à son père, alors je vais chanter du ABBA avec elle. Il n’est pas question que je me bride sous prétexte que j’ai un responsable politique en face de moi. C’est précisément la nouvelle grammaire dont je parlais en début d’interview que je veux construire avec ces entretiens politiques.

INfluencia : Dans ce contexte, pouvez-vous nous expliquer votre rapport à l’intime lorsque vous construisez vos interviews ?

Sam Zirah : Je considère que l’intime, c’est de la politique. Par exemple, quand je demande à Marine Tondelier (l’interview n’est pas encore sortie) si elle croit en Dieu et qu’elle me répond qu’elle ne veut pas répondre parce que nous sommes dans une société laïque…

Eh bien non : moi, je vais continuer à poser la question, et je vais vouloir comprendre pourquoi elle ne veut pas répondre. Parce qu’être dans un pays laïque ne signifie pas ne pas avoir de foi. On peut croire, ne pas croire, être athée : tout cela fait partie du vivre-ensemble.

Donc oui, j’essaie de casser ces codes dans mes interviews politiques. Ce n’est pas toujours simple parce qu’ils sont habitués à être questionnés selon des cadres très précis. Mais ceux qui acceptent de venir ont, selon moi, beaucoup de courage : ils acceptent de sortir de leur zone de confort.

INfluencia : J’ai lu que vous craignez les dérapages amplifiés de vos interlocuteurs au point de « peser chaque mot » de l’échange. Comment cela se traduit-il concrètement dans la construction d’une interview ?

Sam Zirah : Il ne s’agit pas de contrôler ce que mon interlocuteur va dire, mais de trouver un équilibre qui manque beaucoup sur les réseaux sociaux. La parole y est souvent polarisée, parce que les algorithmes poussent surtout les émotions fortes, la colère, les séquences qui font du bruit. Moi, je suis attaché à la nuance : je considère que la vérité se situe rarement dans l’extrême.

Je pèse mes mots parce que je m’adresse à un public très large : des Français, des Belges, des Suisses, mais aussi d’autres nationalités. J’essaie de tenir compte de la sensibilité de chacun derrière son écran. Parfois, ça peut donner l’impression que je “calcule” trop ma manière de m’exprimer, mais c’est simplement de la responsabilité. Et même si on ne peut jamais être irréprochable à 100 %, j’essaie toujours de viser cet équilibre-là.

INfluencia : Parmi vos interviews récentes, laquelle a été la collaboration la plus complexe sur le plan éditorial et pourquoi ?

Sam Zirah : J’en vois deux, pour des raisons très différentes. La première, c’est une interview de mon format “justice”, avec une mère dont le nouveau-né avait été pris en charge à la maternité de l’hôpital de Montreuil, dans l’affaire de l’infirmière et de son complice accusés d’attouchements sur des bébés. Accompagner cette maman, c’était mesurer une responsabilité énorme.

Sa parole ne valait pas seulement pour elle : elle portait celle de parents qui ne se sentent ni entendus ni considérés, ni par la justice, ni par la police. Pour eux, cette prise de parole publique était une forme de lumière, quelque chose qui pouvait les aider à avancer.

Et je pense qu’en tant que média, nous avons aussi ce rôle-là : nous ne remplaçons ni la justice ni la police, mais nous pouvons être un espace d’écoute, une “safe place” pour des personnes qui en ont besoin.

La deuxième, c’est l’entretien avec Mia, la sœur du créateur Mehdi Bassit, qui a mis fin à ses jours cet été. Là, la difficulté était de tenir une ligne très fine : ne pas aller sur le terrain de la diffamation, respecter le fait qu’il y ait une instruction en cours, ne condamner personne… et en même temps accueillir la parole d’une sœur qui a perdu son frère, qui souffre, qui s’indigne, qui a besoin d’exprimer sa colère et sa tristesse.

C’est une charge émotionnelle très forte. D’ailleurs, vous l’avez peut-être vu, je me suis effondré pendant l’interview. Durant ces interviews, j’ai l’impression de vivre l’histoire avec la personne. Ça me bouscule, pendant et après. J’ai toujours besoin d’un peu de temps pour en sortir. C’est étrange, mais c’est ma manière d’être.

INfluencia : Quand on connaît de l’intérieur les dérives, les manipulations et les zones grises du milieu des influenceurs, comment évaluez-vous la probité des personnes que vous recevez — et comment décidez-vous de qui mérite, ou non, une prise de parole chez vous ?

Sam Zirah : Alors, je ne vois pas du tout mes interviews comme une “tribune”. Beaucoup les perçoivent ainsi, mais moi, je les vois plutôt comme des espaces de liberté ou, même si le discours prononcé est problématique, on va faire l’effort de l’encadrer et de le contextualiser. Ma chaîne n’est pas là pour conforter chacun dans ce qu’il pense déjà mais pour déplacer un regard.

Je vous donne un exemple. Lors d’un tournage de mon talk-show, Maëva Martinez a pris la parole spontanément sur les LGBT. Ce n’était ni prévu, ni dans mon conducteur. Elle a eu une formule maladroite, très vite isolée sur les réseaux. Mais dans l’instant, je n’ai pas laissé passer : je lui ai demandé pourquoi elle disait cela, si elle se rendait compte qu’elle évoluait dans une société hétéropatriarcale où elle n’avait pas eu à mener les mêmes combats que les personnes LGBT. On a eu un vrai échange.

Cet extrait, pris seul, a été interprété comme si je lui avais “offert une tribune”. Alors que le but était justement de confronter une position, de la questionner, et de permettre à ceux qui regardent de réfléchir par eux-mêmes.

Pourtant, si c’était à refaire, je laisserais Maëva Martinez avoir cette parole-là. Elle a le droit de l’exprimer, et on a le droit d’en discuter, même si je ne suis pas d’accord avec elle. Elle mérite du respect malgré nos désaccords, comme n’importe quel invité. En revanche, les influenceurs ou créateurs qui réduisent ce moment à une simple phrase polémique pour générer du buzz ne méritent pas, selon moi, le même respect. Ils alimentent la polarisation et participent à la désinformation.

INfluencia : En parlant de désinformation, vous avez participé au Sommet des créateurs 2025 au Parlement européen, où le sujet était forcément central. Pouvez-vous nous raconter votre expérience sur place ?

Sam Zirah : Bien sûr. J’ai eu la chance d’être invité par le Parlement pour intervenir dans un atelier sur la désinformation. On nous expliquait la responsabilité des créateurs dans la manière de traiter l’information, d’entendre certaines prises de parole et d’identifier les signaux de la désinformation, qui passe souvent par des contenus très extrêmes, très polarisés, misant uniquement sur la colère ou l’émotion. C’est exactement ce que j’observe dans certaines reprises de mes interviews.

Ce que j’ai compris à Bruxelles, c’est que ni les institutions ni les créateurs n’étaient là pour se “parler au-dessus”, mais vraiment pour dialoguer. Et j’ai senti que le Parlement européen avait intégré que les réseaux sociaux étaient devenus un lieu de conversation nationale. Je le dis avec mes mots, et sans vouloir froisser quiconque mais je les ai trouvés un peu moins snobs que l’Assemblée nationale, avec une vraie volonté d’échanger avec nous sur des sujets qui nous concernent directement.

J’ai adoré vivre ces trois jours au cœur de la démocratie, de façon très impliquée. J’ai également participé à une conférence de presse sur la protection des mineurs, où la vice-présidente du Parlement expliquait l’objectif d’harmoniser un âge légal à 13 ans dans les 27 pays, avec une autorisation ou une supervision parentale entre 13 et 16 ans. J’ai aussi assisté à une séance plénière…  et voir la présidente Roberta Metsola orchestrer tout cela, ça m’a vraiment subjugué.

INfluencia : Pour conclure, est-ce que vous ciblez déjà les grands rendez-vous politiques à venir ces deux prochaines années pour anticiper le contenu que vous aimeriez produire ?

Sam Zirah : Alors oui, je me projette, mais j’avance toujours un pas après l’autre et au jour le jour. J’ai évidemment la volonté d’inviter toutes les personnes qui officialiseront leur candidature à la présidentielle de 2027.

INfluencia : De n’importe quel bord politique ?

Sam Zirah : A partir du moment où ils sont reçus dans l’hémicycle, ils ont leur place sur mon canapé. C’est pour cela que j’ai invité Marine Tondelier lorsqu’elle a officialisé sa candidature. D’ailleurs, ma signature de début d’interview, où je m’adresse à elle comme si elle venait d’être élue en disant « Madame la présidente de la République », je pense la garder pour les prochains invités politiques déclarés candidats, pas seulement pour la présidentielle.

Cela les projette immédiatement dans le rôle et peut faire ressortir des choses auxquelles ils sont moins préparés. Par exemple : « Quelle serait la réforme impopulaire que vous mettriez en place en premier ? »

J’aimerais inviter Sophia Chikirou, qui s’est déclarée candidate à la mairie de Paris, et je veux aussi recevoir Rachida Dati, déjà en campagne. Donc oui, je sais très bien où je veux aller. Et je peux vous dire que je ferai partie du paysage médiatique qui posera des questions à nos responsables politiques, quel que soit le rendez-vous électoral…

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