21 novembre 2025

Temps de lecture : 3 min

Déserts médiatiques : il y a des solutions pour les éviter, et c’est une urgence démocratique

Une étude de la Fondation Jean-Jaurès et des Relocalisateurs démontre le lien entre implication citoyenne et consommation de media locaux, alors que ces derniers ont tendance à se raréfier. Mais des leviers existent et une mobilisation générale s’impose pour les activer.

Moins répandue que « déserts médicaux », l’expression « déserts médiatiques » désigne une réalité tout aussi inquiétante. C’est ce que révèle l’enquête Kantar menée pour la Fondation Jean Jaurès et l’association les Relocalisateurs auprès de 10 000 Français, entre le 25 mars et le 30 avril 2025.

L’exemple des États-Unis, qui ont vu disparaître un quart de leurs médias en 20 ans, dont 130 médias locaux pour la seule année 2023, a inspiré les auteurs, dont David Medioni, qui l’a coordonnée.

La place cédée par les médias traditionnels aux réseaux sociaux y a accéléré la propagation de fausses rumeurs et la polarisation de l’opinion, et sans doute favorisé la ré-élection de Donald Trump.

Nous n’en sommes pas là en France, où 86 % de la population privilégie encore les médias traditionnels et plus de la moitié déclare consommer plus ou moins régulièrement au moins un média local.

Comment les médias fabriquent les citoyens

L’étude démontre précisément le lien entre consommation de médias locaux, participation électorale, implication dans la vie locale et mobilisation citoyenne.

Autrement dit, « comment les médias fabriquent des citoyens », résume Jérémie Peltier, codirecteur général de la Fondation Jean Jaurès. 82% des consommateurs réguliers de médias locaux (TV, presse ou radio) déclarent voter à chaque élection, contre 62% pour les autres.

Mais ces consommateurs assidus ne représentent que 16% de la population. Or, l’étude montre que cette sous-consommation locale est avant tout un sujet d’offre.

Près de 40% des personnes interrogées ont constaté la disparition d’au moins un média local, ce qui est vécu « comme la fermeture d’un hôpital ou d’un bureau de poste ».

Et nourrit localement le sentiment de « ne plus faire partie de la photo ». Or, la perte d’usage et d’habitude que cela entraîne rend tout retour en arrière très difficile.

Des médias traditionnels mal protégés contre les Gafam

Mais en France aussi, les médias traditionnels sont plus fragilisés que jamais. Comme le rappelle Nathalie Sonnac, spécialiste en économie des médias et auteure de « Le nouveau monde des médias, une urgence démocratique » (éditions Odile Jacob), 66% des recettes publicitaires sont aspirées par les Gafam.

Didier Quillot, président du spécialiste de la communication extérieure Citiz Media, renchérit en citant les chiffres du dernier baromètre unifié du marché publicitaire. De janvier à septembre dernier, le digital a vu ses recettes augmenter de 9%, contre une baisse de plus de 5% pour les médias traditionnels.

Il pointe la responsabilité des annonceurs, et met en garde contre une position de quasi-monopole des Gafam à moyen terme, qui, entre autres, n’hésiteraient pas à augmenter leurs tarifs. Les médias traditionnels sont également fragilisés sur leurs deux autres sources de revenus, la vente et les droits voisins, souligne Nathalie Sonnac.

Elle appelle donc à une refonte de leur modèle économique, et souligne que des leviers existent : au niveau réglementaire, en réactualisant le cadre légal de la liberté d’expression ; en termes d’éducation, en déployant massivement des formations aux médias et à l’information « de la crèche à l’Ehpad » ; enfin, au niveau des médias eux-mêmes.

« Relationner avec un public, plutôt qu’avec une audience »

Pour Yann Chouquet, Directeur adjoint en charge des antennes et de la stratégie éditoriale d’Ici (ex-France Bleu) à Radio France, les médias doivent réfléchir à la meilleure manière de « relationner avec un public, plutôt qu’avec une audience ».

C’est la fin de l’information top/down, observe-t-il. De leur côté, les pouvoirs publics et notamment les sources institutionnelles, doivent renouer avec les médias traditionnels plutôt que de céder à la tentation de communiquer directement avec les utilisateurs sur les réseaux sociaux.

D’autant plus que l’information sommaire qu’ils y diffusent est plus facile à instrumentaliser. « Faites passer vos messages dans la presse, venez vous confronter aux journalistes », leur enjoint-il.

Le dernier levier se situe à l’échelle individuelle, c’est à chacun d’entre nous de se livrer à un « bilan carbone informationnel », ajoute-t-il.

À l’issue de la table-ronde de présentation de l’étude le 18 novembre dernier à la Maison de la radio, le mot de la fin est revenu à Alexis Goujon, fondateur du collectif Les Relocalisateurs, qui rassemble des acteurs par ailleurs concurrents militants précisément pour une relocalisation des investissements publicitaires.

Soulignant la convergence des discours des différents acteurs présents (médias, professionnels de la communication, académiques, élus locaux …), il y voit le reflet d’une prise de conscience, et un momentum favorable à un débat sur le sujet, à quelques mois des prochains élections municipales de mars 2026.

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