Rebranding de Jaguar : le cas d’école de tout ce qu’il ne faut pas faire en design et en marketing
Ventes en chute libre, bad buzz mondial, design abscons… Le repositionnement de Jaguar vire au naufrage total, entre marketing hasardeux et rupture brutale avec son héritage.
Les samouraïs japonais s’ouvraient l’abdomen avec un sabre court durant le rituel du seppuku (harakiri en langue vulgaire) pour expier leurs crimes, recouvrer leur honneur ou éviter une capture honteuse .
Les kamikazes nippons avaient, eux, l’habitude de crier « hissatsu »(tuer sans faute) avant d’écraser leur zéro sur les porte-avions américains durant la Guerre du Pacifique. Ce chiffre semble manifestement porter malheur, comme commencent à le réaliser les dirigeants de Jaguar
Le rebranding de la plus british des marques anglaises dévoilé en novembre 2024 – sous le nom Jaguar Type 00 – pourrait bientôt être enseigné dans les écoles de design ou celles de marketing comme un des pires exemples à ne jamais suivre.
Un design minimaliste et agressif servi par un ovni publicitaire
Sans vouloir nous lancer de fleurs, INfluencia l’avait un peu prédit dans sa newsletter quotidienne. Le 25 novembre, le titre de notre article faisait ce triste constat : « Jaguar, arrête la drogue… ».
Dans son film de 30 secondes, six personnes apparaissaient, habillées de couleurs vives et avec une mine de fin de monde, avec pour slogan « Delete ordinary ».
À vouloir casser tous ses codes, la marque était parvenue à créer un bad buzz planétaire. Sur X, Elon Musk avait demandé au constructeur, qui appartient au géant indien Tata, s’il vendait toujours des voitures. Un éditorial au vitriol paru dans Marketing Week débutait par ces mots navrés : « Oh fuck, Jaguar, what have you done ? ».
Deux semaines après la diffusion de son film publicitaire déjanté, le groupe dévoilait, lors du Scope Art Show, véritable vitrine et incubateur d’art contemporain, les lignes de sa Jaguar Type 00.
Avec son design minimaliste et agressif, ses garnitures de sièges en laine, sa pierre de travertin en guise de piètement pour les sièges et son tableau de bord inexistant, ce concept-car était supposé nous faire « ressentir l’émotion de vivre une expérience différente de tout ce que vous avez connu auparavant », vantait Constantino Segui Gilabert, le directeur du design extérieur de la marque.
Le pdg limogé, les agences créatives sur la sellette
Jaguar semble avoir compris ces derniers mois que son rebranding n’allait pas apporter les résultats escomptés. Une information révélée dans le quotidien britannique The Telegraph et reprise par de nombreux médias, dévoilait que le groupe avait lancé un audit complet de ses agences créatives mondiales (Accenture Song et Spark44). En plein cœur de l’été, son CEO, Adrian Mardell, a aussi été poussé vers la sortie.
Pourtant, le développement technique de la future Type 00 semble, malgré tout, poursuivre son bonhomme de chemin comme le prouvent ces photos volées par les paparazzis de l’automobile.
Un design peu accessible… et un prix multiplié par deux
Pour son relancement, Jaguar a choisi de cibler une clientèle plus jeune, riche et urbaine qui aime le design et qui est « cash-rich, time-poor ». Ses trois nouveaux modèles, qui seront commercialisés d’ici 2026, coûteront deux fois plus cher que la gamme actuelle.
Leurs prix pourraient ainsi dépasser 150.000 euros. Le constructeur est conscient que cette stratégie lui fera perdre entre 85% et 90% de sa clientèle. Et cet objectif semble déjà avoir été dépassé.
En avril, les ventes de la marque au félin dans l’Union européenne se sont effondrées de… 97,5% par rapport à celles de l’année précédente.
Au mois de mai, la dégringolade des ventes du groupe a approché 80%, à 104 unités. Sur les cinq premiers mois de l’année, la chute approche 70%. Pas sûr que la prochaine Type 00 inverse cette tendance pour le moins inquiétante.