La série « Terminal » de Michou accélère l’hybridation entre cinéma et créateurs de contenus
Le créateur star a lancé sa série "Terminal" en avant-première sur grand écran dans près de 500 cinémas avant d’arriver sur YouTube. Une opération inédite du label YouTube Ciné-Club par mk2 qui secoue sérieusement l’industrie du cinéma.
Le 5 septembre, les ados et leurs parents ne se pressaient pas pour un blockbuster américain, mais pour la série d’un créateur de contenu. Pour la première fois, un contenu de type « jeu » conçu par un YouTubeur a été diffusé en simultané dans un demi-millier de salles en France, en Belgique, en Suisse et même au Maghreb.
L’avant-première a attiré 40 000 spectateurs en deux jours, et le premier épisode cumule déjà 3,3 millions de vues sur YouTube en 48 heures. La preuve, selon mk2 et YouTube, que « le pont entre YouTube et le grand écran est une réalité ».
Ce dispositif inédit – porté par mk2.alt, la nouvelle branche de distribution alternative de mk2 – prolonge l’initiative du YouTube Ciné-Club par mk2, un label créé avec YouTube pour organiser des rendez-vous exclusifs en salle autour de créations de la plateforme.
« Voir un talent comme Michou, fort de 10 ans d’expérience sur YouTube, être programmé dans 500 salles de cinéma, c’est la preuve que notre écosystème nourrit l’avenir de la création sous toutes ses formes », souligne Romain Cabrolier, directeur des partenariats YouTube, à l’occasion de l’avant-première.
Du côté de mk2, on revendique une ambition culturelle : reconnecter les jeunes au cinéma… sans forcément opposer ce dernier aux nouvelles formes de création en ligne.
Un nouveau modèle de monétisation et de distribution
« Les talents du web sont prêts à conquérir le grand écran, et le public les y attend », se félicite mk2.alt.
Le distributeur revendique plus de415 000 spectateurs cumulés sur l’ensemble des séances YouTube Ciné-Club en un an.
Dans le cas de Terminal, les efforts pour y arriver furent conséquents : plus de 90 caméras mobilisées, une équipe technique de 250 personnes, 6 mois d’écriture et 4 ans de travail ont été nécessaires pour aboutir à ce projet au budget estimé à plus d’1 million d’euros.
Cette tendance ne sort pas de nulle part. Dès 2024, mk2 et YouTube avaient tâter le terrain d’une diffusion multiplateformes en diffusant Kaizen, le documentaire de l’influenceur Inoxtag sur son ascension de l’Everest. L’événement avait rencontré un succès massif avec plus de 300 000 entrées en salles, un record mondial pour un contenu né sur YouTube.
Mieux, la vidéo de Kaizen a dépassé les35 millions de vues en trois semaines en ligne, avant d’être achetée par TF1 (et d’autres chaînes en Belgique et en Suisse) pour élargir son audience. Quelques jours après la diffusion, Gregg Bywalski, Managing Director Webedia Creators, nous confiait d’ailleurs les clés de ce succès hors norme, révélateur d’une bascule profonde dans la manière dont les contenus issus de YouTube peuvent désormais conquérir tous les écrans.
Ce nouveau modèle de diffusion multi-plateformes – une sortie événementielle au cinéma, suivie d’une mise en ligne gratuite et d’une éventuelle fenêtre TV – bouscule l’écosystème… et la monétisation des médias traditionnels.
Ainsi, la série de Michou a bénéficié d’un lancement salle calibré (500 séances autorisées sur deux jours) avec une billetterie cinéma dédiée avant d’être disponible en streaming 48 heures plus tard pour bénéficier de la publicité en ligne et du sponsoring. Le tout sans compter les droits négociés avec d’éventuels diffuseurs TV comme ce fut le cas pour Kaizen. En somme, YouTube fait son cinéma et le cinéma profite de YouTube, dans un cycle vertueux où chaque canal amplifie l’autre.
Pour mk2, l’initiative YouTube Ciné-Club s’inscrit dans une réflexion plus large sur le renouveau de l’expérience collective en salle, particulièrement après la crise sanitaire. La pandémie de Covid-19 a durablement affecté la fréquentation des cinémas, accéléré l’essor des plateformes et distendu le lien social autour du grand écran. Face à ce constat, mk2 a lancé en 2023 sa branche mk2.alt dédiée aux contenus “hors film” et “projets spéciaux”, avec l’idée de proposer de nouveaux rituels culturels au public.
« Terminal a rempli les salles de jeunes spectateurs venus vivre ensemble une expérience inédite. C’est une formidable preuve que le cinéma reste un lieu de rassemblement collectif, capable de créer de nouveaux rituels culturels », observe Elisha Karmitz, directeur général de mk2.
En pratique, mk2.alt co-organise et distribue ces séances exceptionnelles en s’appuyant sur un réseau étendu de cinémas partenaires (CGR, Pathé-Gaumont, Kinepolis, indépendants…), y compris en régions où mk2 n’est pas implanté.
« Grâce à ce maillage de salles, mk2.alt s’affirme comme un partenaire de choix, capable de fédérer à grande échelle une nouvelle génération de spectateurs », souligne le communiqué de presse.
Le cinéma comme plateforme sociale
Cette stratégie s’accompagne d’un soin particulier apporté à la mise en scène et à l’interactivité. Pour Terminal, mk2 a vu les choses en grand lors de la soirée parisienne du 5 septembre : tapis rouge déployé, faux portique de sécurité aux couleurs de l’aéroport fictif du film, deux salles pleines à craquer mobilisées au mk2 Bibliothèque, quiz géant pour faire participer la salle, séance de questions-réponses et dédicaces avec les créateurs invités… l’immersion était totale.
« On ne peut pas opposer le cinéma aux autres formes d’expression artistique. Il faut les faire dialoguer, c’est là que le cinéma se réinvente », défend Elisha Karmitz. En outre, l’événementiel crée de nouvelles opportunités de monétisation indirecte : partenariats avec des annonceurs (par exemple, la présence de marques lors des soirées, ou le placement de produits dans la série), et prolongements éditoriaux (vlogs « making-of », live-tweets, etc.).
On assiste ainsi à la naissance d’unnouveau rituel culturel : se réunir périodiquement au cinéma pour découvrir les créations de talents du web, comme on se réunissait autrefois pour une première de film ou un concert.
La salle devient le prolongement physique de la communauté en ligne, un laboratoire où se fabrique une nouvelle cinéphilie 2.0. Et lorsque la lumière se rallume, ce lien perdure en ligne : les fans prolongent la conversation sur Discord ou Instagram, alimentant une boucle vertueuse entre le virtuel et le réel.
Les réseaux sociaux se sont d’ailleurs embrasés autour de l’événement : dès le soir du 5 septembre, le hashtag #Terminal était en tendance, alimenté par des photos de salles combles, des stories de Michou en direct du mk2 Bibliothèque, ou des réactions à chaud de spectateurs ravis.
L’avenir (et les limites) des formats hybrides
Si le succès de Terminal et de Kaizen ouvre de nouvelles perspectives, il soulève aussi quelques questions. D’un point de vue réglementaire d’abord, ces opérations ont dû s’accommoder de la stricte chronologie des médias en France.
Pour pouvoir projeter Kaizen ou Terminal en salle quelques heures avant leur mise en ligne, le CNC a délivré un « visa d’exploitation exceptionnel », assorti de conditions : pas plus de 500 séances en France et sur deux jours maximum. Or, lors de Kaizen en 2024, l’enthousiasme a conduit mk2 à dépasser largement ce cadre pour atteindre plus de 800 projections au total.
À cette occasion, Olivier Henrard, le président par intérim du CNC, avait publiquement rappelé les règles dans un article des Échos (septembre 2024) :
« Le souci est que Kaizen peut créer un précédent fâcheux » vis-à-vis d’un cadre qui est fait « pour protéger une filière en déclin ».
De son côté, Olivier Snanoudj, dirigeant chez Warner Bros et vice-président de la FNEF (Fédération nationale des éditeurs de films), avait exhorté les exploitants à ne pas « compromettre leurs principes, notamment autour de l’exclusivité salles », et les pouvoirs publics à une action « claire et ferme » pour encadrer ces pratiques. Ses propos avaient été rapportés dans un sujet de Boxoffice Pro publié cet été.
La profession, déjà ébranlée par la concurrence du streaming, surveille de près l’essor de ces formats hybrides. Le défi à venir sera donc de transformer l’essai sans dénaturer ce qui fait l’ADN du cinéma. Les prochaines éditions du YouTube Ciné-Club – mk2 et YouTube en annonçaient six sur deux ans au lancement du projet – seront sans aucun doute scrutées de près.
Une chose est sûre : le public, lui, est prêt pour ces nouvelles expériences. Le premier épisode de Terminal est à découvrir juste ici :