7 mars 2017

Temps de lecture : 4 min

JO 2024: le slogan anglais de la candidature de Paris est-il légal ?

“Made for Sharing “ Le slogan anglais censé soutenir la candidature de Paris irrite certaines personnes. Mais au-delà de créer une divergence, est-ce légal d’utiliser l’anglais dans ce contexte ?

 “Made for Sharing “ Le slogan anglais censé soutenir la candidature de Paris irrite certaines personnes. Mais au-delà de créer une divergence, est-ce légal d’utiliser l’anglais dans ce contexte ?

Les sportifs français se mobilisent, la Tour Eiffel scintille aux couleurs olympiques : la France se met en ordre de bataille pour les Jeux Olympiques de 2024 avec pour objectif de défendre la candidature de Paris pour accueillir cette olympiade. Dans l’enthousiasme ambiant, des voix se font malgré tout entendre pour contester les choix opérés afin de défendre la candidature parisienne. Celles-ci concentrent leurs critiques sur le slogan « MADE FOR SHARING », déposé à titre de marque par le GIP Paris 2024.

Les défenseurs de la langue française s’offusquent de l’emploi d’un slogan en anglais lorsque l’occasion était donnée de mettre en avant le patrimoine culturel de la France et en particulier sa langue. Mais ce choix est défendu notamment par le fait que les membres du Comité olympique parlent à 80 % anglais et qu’il donne au projet une dimension internationale. De plus, on fait valoir qu’un deuxième slogan, français cette fois, est également employé : « Venez Partager ».

Aussi, au-delà du débat lancé par les défenseurs de la langue française qui stigmatisent l’emploi d’un slogan anglais pour défendre la candidature de Paris, qu’en est-il d’un point de vue juridique ? Voici l’occasion de revenir sur les contraintes juridiques relatives à l’emploi de la langue française pour le dépôt et l’usage des marques et, plus généralement, dans la communication. La Loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française dite Loi Toubon pose les règles relatives aux marques et à la langue française. Il faut à cet égard distinguer les obligations pesant sur les personnes publiques, d’une part, et les personnes privées, d’autre part.

Concernant les personnes morales de droit public

L’article 14, de la Loi Toubon dispose que « L’emploi d’une marque de fabrique, de commerce ou de service, constituée d’une expression ou d’un terme étranger est interdit aux personnes morales de droit public dès lors qu’il existe une expression ou un terme français de même sens… ». Ce principe supporte toutefois une exception lorsqu’il n’existe pas d’expression équivalente en français.

Bien que le texte vise « l’emploi » d’une marque constituée d’un terme étranger, on s’accorde toutefois à considérer que l’interdiction s’étend au dépôt de marque. Une telle appréciation trouve notamment son fondement sur l’article L711-3 b) du code de la propriété intellectuelle qui prohibe l’enregistrement de signes dont l’utilisation est interdite.

Par conséquent, le dépôt et l’usage de la marque « Made for Sharing » par le GIP Paris 2024 (personne morale de droit public) sont, à notre sens, justement contestés car soumis aux dispositions qui précèdent et ce, nonobstant l’emploi parallèle du slogan français « Venez Partager ». Attendons la position des juridictions saisies puisqu’un collectif d’associations de défense de la langue française vient même de porter l’affaire sur un plan judiciaire.

Concernant les personnes privées

Elles doivent se conformer à l’article 2 de la Loi Toubon. Ce texte dispose : « Dans la désignation, l’offre, la présentation, le mode d’emploi ou d’utilisation, la description de l’étendue et des conditions de garantie d’un bien, d’un produit ou d’un service, ainsi que dans les factures et quittances, l’emploi de la langue française est obligatoire. Les mêmes dispositions s’appliquent à toute publicité écrite, parlée ou audiovisuelle. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables à la dénomination des produits typiques et spécialités d’appellation étrangère connus du plus large public. » La législation sur les marques ne fait pas obstacle à l’application des premier et troisième alinéa du présent article aux mentions et messages enregistrés avec la marque.

Que faut-il retenir ? L’enregistrement et l’usage d’une marque dans une langue étrangère sont licites. En revanche, dans le cadre de la commercialisation des produits ou services, les entreprises doivent utiliser la langue française. Le champ d’application du texte est large puisque seront concernés tous les modes de présentation et de description des produits et services ainsi que toutes les publicités écrites, parlées ou audiovisuelles.

Deux exceptions sont prévues. La première concerne l’hypothèse dans laquelle le terme étranger est une dénomination typique ou une spécialité d’appellation étrangère connue d’une large fraction du public (exemples : chorizo, cookie, hotdog, jean, sandwich, pizza, etc, ainsi que les dénominations étrangères protégées en France telle que whisky, mozzarella, etc), dans ce cas l’usage du terme étranger va être autorisé.

La seconde concerne les traductions : si l’article 2 postule l’emploi de la langue française pour les mentions visées audit texte, leur usage va être admis lorsqu’il s’accompagne d’une traduction en français. Les traductions doivent être aussi lisibles, audibles ou intelligibles que la présentation en langue étrangère. C’est pour cette raison que l’on voit fréquemment, sur les supports papiers, des astérisques à la fin des textes en langue étrangère renvoyant vers la traduction française le plus souvent au bas de la page.

Les slogans appellent quelques observations complémentaires. En effet, bien souvent ils sont également déposés à titre de marque, aussi on aurait pu admettre que leur usage soit libre en vertu de la règle selon laquelle une marque en langue étrangère peut être librement déposée et utilisée. Néanmoins, dans la mesure où ils constituent également un élément de publicité, leur traduction devra être effectuée. La solution est logique : bon nombre de slogans bien que déposés à titre de marque ne constituent pas de véritable signes distinctifs mais remplissent uniquement une fonction laudative. D’ailleurs, le spécialiste de la propriété intellectuelle songera avec intérêt à la question de la validité de la marque « Made For Sharing », non pas du point de vue du respect de la Loi Toubon, mais sur sa capacité à constituer une marque valable.

Les règles relatives à l’emploi de la langue française ne doivent pas être négligées car leur méconnaissance fait l’objet de sanctions pénales. L’actualité et les débats autour du slogan « Made For Sharing » étaient l’occasion pour nous de ce rappel sur les règles concernant l’emploi de la langue française et les marques.

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