2 juin 2019

Temps de lecture : 4 min

12 métropoles et le désert français… ou une « métropole France » ?

Dans un ouvrage tout juste paru, La France des territoires, défis et promesses, Pierre Veltz propose une perspective originale, dépassant les oppositions entre métropoles et arrière-pays, Paris et régions, mais aussi les visions fatalistes des dynamiques territoriales.

Dans un ouvrage tout juste paru, La France des territoires, défis et promesses, Pierre Veltz propose une perspective originale, dépassant les oppositions entre métropoles et arrière-pays, Paris et régions, mais aussi les visions fatalistes des dynamiques territoriales. 

En 1947, le géographe Jean‑François Gravier expliquait dans un livre célèbre, Paris et le désert français, comment Paris (et déjà dans une moindre mesure Lyon, Marseille et la Côte d’Azur) dévorait les ressources humaines et politiques d’une France alors en plein exode rural. Il dénonçait le fait qu’un « monstre urbain comme Paris » fasse « perdre à la France chaque année trois fois plus de richesse humaine que l’alcoolisme » (Paris a alors une moindre natalité que nos fécondes provinces). Il agitait déjà le spectre du grand remplacement, dans des termes malheureusement trop familiers : « Tandis que ces Polonais, ces Italiens, ces Espagnols viennent remplacer les enfants que les Français n’ont pas voulu avoir, certains penseront inévitablement à la comparaison classique avec le Bas-Empire lentement envahi par les Barbares ». Il mettait enfin en garde contre le développement d’une économie de parasites : « La croissance foudroyante (des trois grandes métropoles et de la Côte d’Azur) coïncide avec le gonflement des professions dites de luxe et des activités spéculatives les moins défendables ».

Aujourd’hui certains reprennent les analyses de Gravier, heureusement dépouillées de leurs références aux idées de l’Action française. Ils décrivent un territoire composé de 12 métropoles prospères attirant les gagnants de l’économie mondialisée de la connaissance, tandis que les perdants s’étiolent dans des territoires ruraux sinistrés.

L’avenir n’est pas que dans les métropoles

Dans un ouvrage tout juste paru, La France des territoires, défis et promesses, Pierre Veltz propose une perspective originale, dépassant les oppositions entre métropoles et arrière-pays, Paris et province, mais aussi les visions fatalistes des dynamiques territoriales. « Dans un territoire comme la France, où les infrastructures sont abondantes et les compétences largement réparties, aucun territoire n’est condamné. Les histoires abondent de réussites entrepreneuriales extraordinaires (marchandes ou non) dans des sites a priori improbables ».

Ceci rejoint ce que nous avons vu dans une chronique précédente : d’une part, toutes les métropoles ne prospèrent pas, d’autre part des bassins d’emploi qui semblent cumuler les handicaps surprennent par leur vitalité et leurs performances exceptionnelles, en s’appuyant sur les forces historiques, culturelles et humaines de leur territoire.

Les territoires peuvent-ils se développer s’ils ne sont pas des métropoles ? https://t.co/JMwkN8bEk4 pic.twitter.com/rpPi8edsQb
— Conversation France (@FR_Conversation) 19 novembre 2018

Les inégalités entre territoires limitées

Les écarts de richesse entre territoires se sont réduits, notamment grâce aux transferts sociaux (entre 2008 et 2015, les revenus sociaux ont augmenté de 15 %, tandis que le revenu global des ménages n’augmentait que de 2 %). Paradoxalement, si les inégalités entre territoires s’amenuisent, elles s’accroissent au sein de chaque territoire, et notamment dans la région parisienne (où l’écart de revenus entre les deux déciles extrêmes est de 4,5 contre 3 dans le reste du pays).

Néanmoins, la France a su globalement éviter l’explosion des inégalités : les 1 % les plus riches gagnent 10 % des revenus, aujourd’hui comme en 1945. Cette part était certes passée par un point bas de 8 % en 1985, mais elle était encore de 24 % à la veille de la Première Guerre mondiale.

Une métropole appelée France

L’originalité de la vision de Pierre Veltz est de considérer, dans la mondialisation, notre pays comme une métropole unique. Pour lui, les 10 premières villes de France, grâce au TGV (et à l’avion pour Nice et Toulouse) sont toutes à moins de trois heures de Paris et forment donc avec la capitale un cluster métropolitain, au sein duquel, depuis les années 1990, la croissance se rééquilibre en faveur des grandes villes de province.

Car face aux grandes mégalopoles mondiales comme les agglomérations de la rivière des perles (Hongkong, Canton, Shenzhen, 66 millions d’habitants), du delta du Yang Tse (152 millions), de Pékin-Tianjin (112 millions), de Bombay ou Sao Paulo, la France se présente comme un réseau fluide de villes moyennes et de zone rurales en synergie avec quelques métropoles fédérées autour du cœur parisien, le tout composant la « métropole France ».

Le Grand Paris est le cœur de cette métropole à l’échelle mondiale, concentrant 40 % de la recherche publique ou des services aux entreprises. Ville-lumière et capitale du luxe, première ville universitaire du monde comptant autant de chercheurs (80 000) que la Silicon Valley et 500 000 étudiants, hub aérien majeur, Paris reste attractive malgré une gouvernance globale catastrophique (du fait de l’empilement des structures), incapable de régler les problèmes de pénurie de logements et de transport.

Défis et atouts

Les déclinistes oublient que la France, malgré les ravages de 30 ans de désindustrialisation, présente encore de sérieux atouts. De 1975 à 2011, malgré la crise, l’emploi en France a augmenté de plus de 20 %, soit plus que la population (17 %). Bien sûr, les défis sont immenses, notamment celui d’inventer un modèle de développement durable et équitable, compatible avec les limites physiques de la planète et capable d’apaiser les tensions politiques liées à des inégalités de moins en moins acceptées, tant entre les territoires qu’au sein de chacun d’entre eux.

La génération montante des millennials, avec ses valeurs d’autonomie, « sa recherche d’un sens dans le travail et dans l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle ; enfin la volonté de faire, de voir le résultat concret de ses actions, fussent-elles modestes, et de ne plus être simplement le petit maillon dans une longue chaîne d’activités pilotées par de grandes organisations » porte une revalorisation du « local » – y compris dans le domaine de l’énergie, de la production et de l’économie circulaire – et une plus grande conscience des enjeux pour inventer des projets de territoire. Car comme le rappelle Piere Veltz dans la plupart de ses ouvrages, « la compétition moderne ne se joue pas entre des firmes isolées, mais entre des tissus, des écosystèmes, des territoires ».

Cet article a d’abord été publié sur The Conversation. 

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