10 janvier 2024

Temps de lecture : 6 min

« Les ‘influenceurs’ autoproclamés sont le processus digitalisé des hommes sandwichs du XIXème siècle ». Jérôme Ripoull (Comfluence)

Rencontre avec Vincent Lamkin et Jérôme Ripoull, cofondateurs de Comfluence, qui théorisent si bien ce métier peu valorisé, mal nommé, souvent galvaudé : agence d’influence.

IN. : quel regard portez-vous sur l’adoption à tout va de ce terme, l’influence, vous qui en avez fait le socle de votre promesse en 2004 ?

V.L. : nous nous sommes appropriés ce terme il y aura bientôt 20 ans, quand personne ou presque ne l’utilisait dans les métiers des relations publiques ou du lobbying, notamment pour valoriser la dimension institutionnelle qu’il y a dans toute prise de décision, y compris celle du consommateur au quotidien. Ce qui s’est avéré juste.

Ce qui a popularisé et en partie dévoyé le sens de ce terme d’influence, depuis, c’est l’avènement et l’explosion des réseaux sociaux, comme vaste champ magnétique de l’influence. Avec l’idée que chacun est sans cesse pris dans des interactions influentes et peut aussi être à soi seul une minorité agissante, un lanceur d’alerte, un catalyseur de tendances, etc.

le paradoxe est qu’on tend à appauvrir le sens du mot influence en l’employant à tort et à travers

IN. : le terme d’influence n’est-il pas réducteur ?

V.L. : le paradoxe est qu’on tend à appauvrir le sens du mot en l’employant à tort et à travers. Il est difficile de le canaliser.

L’influence, dans notre modèle de conseil, c’est la maîtrise du sens, c’est-à-dire le fait de savoir asseoir la direction que l’on prend, les choix que l’on fait, et les valeurs qui nous portent. Dans ce cadre, nous devons bien comprendre les forces en présence et savoir agir, avec intégrité, sur les représentations et les décisions. Sinon, l’influence se fait manipulation, ce à quoi on tend souvent à la réduire aujourd’hui. Or, l’influence doit rester une belle idée, car elle irrigue des notions essentielles comme la transmission, l’éducation, la formation, sans invalider l’esprit critique que chacun peut  nourrir.

Georges Brassens disait : « si on m’enlevait tout ce que les autres m’ont donné, si l’’on pouvait effacer toutes les influences reçues depuis l’enfance (…) il resterait vraiment peu de chose. »

 

JR : si on prend le mot influence dans sa dimension psychosociale, au contraire ! Il faut rappeler que le terme désigne le processus qui contribue à faire évoluer le point de vue d’une personne ou d’un groupe. Dans une société ouverte, ce travail d’influence est indispensable et il peut être rationalisé. Voilà pourquoi nous avons voulu réunir les expertises qui sont essentielles dans l’atteinte de ces objectifs : les relations presse et les réseaux sociaux, les affaires publiques, les campagnes publicitaires, la création de contenu et le design. Parce que nous travaillons sur l’opinion, nous avons également beaucoup de liens avec les instituts de sondage.

notre objectif c’est replacer au centre la complexité de l’influence au moment où certains voudraient la réduire à ce que font les « influenceurs »  autoproclamés sur les réseaux sociaux

Professionnellement, notre objectif c’est replacer au centre la complexité de l’influence au moment où certains voudraient la réduire à ce que font les « influenceurs »  autoproclamés sur les réseaux sociaux, lesquels ne sont rien d’autre que le processus digitalisé des hommes et des femmes sandwichs du XIXème siècle.

IN. : il y avait à une époque un mot, le lobbying qui valait ce qu’il valait mais avait une certaine stature… Vos clients ou prospects savent-ils définir l’influence ?

V.L. : le lobbying, c’est-à-dire les affaires publiques, c’est un pôle d’expertise à part entière au sein de Comfluence et c’est l’un des leviers de l’influence, notamment quand le devenir d’une activité se joue au sein de l’Exécutif et au Parlement, et qu’il faut éclairer la décision publique, voire peser sur celle-ci. Le lobbying procède de l’influence mais l’influence, comme processus, ne se résume pas au lobbying.

Vous remarquerez en outre que le terme de lobby sert le plus souvent à délégitimer. Certains le posent comme une infamie sur le front de leurs contradicteurs pour dire « ceux-là parlent au nom de leurs intérêts et contre l’intérêt général ». Ce qui est une technique comme une autre pour influencer. Car ce n’est pas l’intérêt général contre les  intérêts particuliers qui est en jeu dans une société, c’est leur saine cohabitation et la mise en cohérence des deux.

Notre inquiétude est ailleurs, c’est la fragmentation de l’influence entre différentes fonctions : la communication, les affaires publiques, le marketing, les réseaux sociaux…

 J.R. : Notre inquiétude est ailleurs, c’est la fragmentation de l’influence entre différentes fonctions : la communication, les affaires publiques, le marketing, les réseaux sociaux… Il y a donc une perte d’approche globale qui peut être très préjudiciable. C’est peut-être moins le cas dans les très grands groupes travaillant sur une approche sociétale, mais c’est à l’évidence ce que nous constatons dans les autres structures. Or, cette capacité à penser globalement l’influence est la marque de toutes les entreprises qui sont ou qui vont devenir leader sur leur marché. Elles pensent le monde et se pensent au monde différemment.

Tout fait débat et le temps de mise en pause nécessaire pour prendre la mesure des enjeux est souvent négligé pour donner une place démesurée à l’émotion, au ressenti, voire au ressentiment.

IN. : vos clients vivent une période très tumultueuse. Comment, vous- même, restez droit dans vos convictions et vos idées alors que l’ensemble de l’économie, de la géopolitique, de la climatologie, est en ébullition.

V.L : notre époque fabrique aussi beaucoup ce tumulte. Les micro-événements, qui relèvent du fait divers, font autant de bruits que les événements majeurs. C’est cela qui est le plus compliqué à gérer. Tout fait débat et le temps de mise en pause nécessaire pour prendre la mesure des enjeux est souvent négligé pour donner une place démesurée à l’émotion, au ressenti, voire au ressentiment. Notre métier se résume souvent à connecter les bonnes personnes, à permettre les partages d’information nécessaires au bon niveau, à permettre les débats constructifs, là où beaucoup cherchent à passionner et à brouiller les cartes. Il y a beaucoup d’activisme dans notre société, pour le meilleur parfois mais souvent pour le pire de la délibération démocratique.

J.R. : on ne peut plus influencer comme au temps d’Edward Bernays, ou Ivy Lee, inventeur des relations publiques. Et pourtant certains de nos concurrents le font… Chez nous, cette ébullition dont vous parlez renforce nos convictions : nous devons travailler à une influence dont les impacts produits chez nos clients et dans la société soient positivement compatibles. Si tel n’est pas le cas, il faut les convaincre de changer ou cesser de collaborer. Aujourd’hui, il ne faut plus chercher à gagner une part de marché, mais à sauver une part du monde.

 IN. : émerger aujourd’hui est une affaire de survie. Comment dans ce marasme informationnel, y parvenir, en responsabilité ?

 VL. : c’est avant tout l’adaptabilité, la capacité à se transformer, à se réinventer sans se trahir qui engagent la survie d’une entreprise aujourd’hui. Parce que les métiers et les pratiques évoluent à une vitesse vertigineuse, notamment sous l’effet d’innovations exponentielles.

L’ironie du sort est que le discours de la responsabilité est devenu quant à lui une forme  de marasme informationnel en soi puisque tout le monde dit la même chose peu ou prou, par peur de représailles ou de mise en accusation de ses pratiques ou valeurs.

Les entreprises cherchent à émerger mais aussi à se noyer dans la masse pour éviter toute critique. Le niveau de susceptibilité dans la société atteint des sommets inégalés.

tout tend à démontrer que ceux de Paris s’inscrivent dans un modèle très XXème siècle.

IN. : les JO c’est demain, que dites-vous à vos clients (s’ils sont concernés), quel est votre point de vue sur cette opportunité « magnifique » de briller » et à la fois sur son existence qui finalement paraît bien désuète au regard de l’état du monde ?

J.R. : peut-on faire entendre une voix discordante ? Oui, les jeux sont un symbole magnifique, pourtant les JO doivent se réinventer… notamment sur l’aspect environnemental. Or, tout tend à démontrer que ceux de Paris s’inscrivent dans un modèle très XXème siècle. Il est beaucoup question du concept d’héritage de ces JO (c’est-à-dire de ce qu’il restera après eux, de ce qui sera durable et transmis). Sans être excessivement pessimiste, on peut douter de ce que sera le résultat. Aussi, la meilleure façon pour que les promesses soient tenues c’est d’y être tous attentifs et d’exiger un bilan sérieux une fois passés les jeux.

Pour « briller » dans ces jeux, comme vous le dites, il faut beaucoup de fonds … et malheureusement assez peu de fond. En fin de compte, ces JO ne semblent pas sortir de cette logique financière dans laquelle émerger se résume à signer un méga-chèque en tant que sponsor. Il y a sans doute à l’avenir des façons pour le Comité International Olympique de valoriser des initiatives qui récompenseraient des investissements collectifs, des démarches sociétales innovantes, plutôt qu’une participation financière massive.

Cela dit, notre souhait, celui des Français, et particulièrement, de tous les Parisiens, est évidemment que ces Jeux Olympiques soient un vrai succès !

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