2 septembre 2018

Temps de lecture : 6 min

La consommation ne rime plus avec accumulation

Cinquante ans après mai 1968, la consommation invente de nouvelles manières de vivre, d’intervenir sur l’environnement, de participer au monde de demain. Pour les comprendre, le sociologue de la consommation Patrice Duchemin, rédacteur de L’Oeil de l’Observatoire Cetelem*, repère, scrute, décrypte et analyse depuis 25 ans, les micro-faits qui contribuent à modifier les règles de la consommation ou sont révélateurs de nouvelles attentes et mutations des comportements. Son dernier ouvrage, « Le pouvoir des imaginaires »** fait la synthèse de dix ans d’observations menées par L’Oeil de l’Observatoire Cetelem.

Cinquante ans après mai 1968, la consommation invente de nouvelles manières de vivre, d’intervenir sur l’environnement, de participer au monde de demain. Pour les comprendre, le sociologue de la consommation Patrice Duchemin, rédacteur de L’Oeil de l’Observatoire Cetelem*, repère, scrute, décrypte et analyse depuis 25 ans, les micro-faits qui contribuent à modifier les règles de la consommation ou sont révélateurs de nouvelles attentes et mutations des comportements. Son dernier ouvrage, « Le pouvoir des imaginaires »** fait la synthèse de dix ans d’observations menées par L’Oeil de l’Observatoire Cetelem.

INfluencia : que vous ont révélé 10 ans d’observation de nouveaux comportements et d’initiatives de marques et d’enseignes mais aussi de citoyens ou d’entreprises ?

Patrice Duchemin : l’analyse de près de cinq cents micro-faits relevés sur une période de dix ans (2008-2018) m’a permis d’identifier cinq imaginaires (des constructions mentales) qui résument les attentes et les comportements des consommateurs : « Le pionnier », « Tous ensemble », « Le ré-enchantement », « La rencontre », le « Communautaire ». Ces cinq imaginaires permettent à eux seuls d’expliquer et de comprendre la consommation d’aujourd’hui ainsi que son évolution au cours du temps.

IN : décrivez-nous ces cinq imaginaires

P.D. : l’imaginaire du « Pionnier » est construit sur l’ambition d’être le premier sur son marché, de réinventer les manières de faire. Elon Musk, Apple, les taxis G7, AirBnB, Uber, sont autant d’exemples de ce désir. Pour une marque, une enseigne, c’est, par exemple, suggérer de nouveaux gestes, de nouveaux réflexes mais aussi montrer que consommation ne rime plus avec accumulation.D’où les différentes propositions de reprendre vos anciens vêtements, les vide-dressing (qui ont leurs sites dédiés mais que proposent également des centres commerciaux, Beaugrenelle par exemple) ou encore l’opération « Donner une seconde vie à vos meubles » d’Ikea. C’est aussi se placer dans l’éphémère (pop up stores, ventes flash, « box » par abonnements, up-cycling,…).

L’imaginaire « Tous ensemble » est complémentaire de celui de « Pionnier ». Il s’agit de se grouper pour agir, de se mobiliser pour exiger l’engagement d’une personnalité, d’une entreprise, d’une marque, d’une enseigne. A plus grande échelle, une autre forme de consommation plus responsable émerge, où la demande peut exercer un pouvoir sur l’offre. Les exemples abondent : achats à plusieurs, Mob Power (comme le phénomène des carrotmobs qui connu outre-Atlantique son heure de gloire en 2009), e-boycott, Les Gueules Cassées (produits imparfaits mis en vente dans les supermarchés), opérations zéro gâchis d’enseignes comme Carrefour, Leclerc, Système U, Intermarché destinées à valoriser les produits dont la DLC arrive à expiration… Un imaginaire qui a donné naissance à la consommation collaborative, aux supermarchés coopératifs, aux regroupements d’individus pour actions.

L’imaginaire du « Ré-enchantement » est fondé sur l’idée, qu’à défaut de pouvoir changer le monde, il est toujours possible de mettre des lunettes roses pour fuir le quotidien. Que ce soit au travers d’un nouveau discours pour nourrir la curiosité et les conversations de ses cibles ou en proposant des expériences immersives grâce aux nouvelles technologies qui permettent de s’échapper du réel ou de l’univers de la consommation (vitrines interactives, jeux en réalité augmentée …). L’apparition des urban farms participe aussi, à sa façon, de cet imaginaire ou encore la possibilité de prendre un café dans une laverie automatique. Et si demain, les centres commerciaux proposaient des espaces de méditation ou une privatisation pour une soirée ? Autre exemple : les magasins mono- produits qui érigent la consommation en art de vivre. La mode des baristas traduit un autre phénomène d’hyperspécialisation et de création de nouveaux gestes. A chaque fois, il s’agit d’initier de nouveaux rites qui valorisent ceux qui les pratiquent.

IN : que recouvre l’imaginaire de « la rencontre » ?

P.D. : c’est un imaginaire très prégnant, fondé sur l’idée que l’autre peut permettre à chacun de vivre mieux, de mieux se comprendre, de progresser, d’envisager sa vie autrement. C’est un peu le mythe du Prince Charmant. Pour les marques il s’agit de favoriser la rencontre entre leurs consommateurs pour leur faire partager un moment ensemble ou pour leur faire découvrir un nouveau produit ou un nouveau service. Comme Leroy-Merlin qui propose dans son magasin du Havre une animation destinée à vous initier à faire vos meubles vous-mêmes (à la prochaine Foire de Paris, il s’agira de construire à plusieurs une maison). C’est Ikea qui met en place du co- voiturage auprès de ses clients ou encore la Camif qui met en contact un futur client d’un canapé, par exemple, et quelqu’un qui l’a déjà acheté, pour lui permettre de l’essayer et mieux connaître le produit. Le succès de la Journée du Patrimoine d’Hermès ou de LVMH qui permet de discuter avec les artisans participe de cet imaginaire.

IN : et l’imaginaire « le communautaire » ?

P.D. : être membre d’une communauté, ce n’est pas seulement éprouver un sentiment d’appartenance, c’est aussi pouvoir se retrouver entre soi pour échanger et vivre une expérience. C’est sur cet imaginaire que surfent les nouvelles enseignes d’hôtels s’adressant plutôt aux Millenials comme Jo&Joe ou encore Yooma. Un blog, une page Facebook, un tweet habilement relayé, peuvent suffire pour faire exister une communauté. Les marques et les enseignes ont vite compris l’avantage qu’elles pouvaient tirer de la création de lieux ou d’événements permettant aux membres d’une communauté de se retrouver. Toutes les enseignes de la grande distribution devraient d’ailleurs avoir cette réflexion.

Lorsque que Vuitton et Supreme (à l’origine une marque de streetwear issue de la culture skate) se sont rapprochées pour proposer des séries très courtes de sacs, ce n’était pas anodin. Les nouvelles générations de magasins que je qualifierais de « magasins miroirs » qui ont fait le choix de s’adresser à un public spécifique cultivant un même rapport esthétique au monde en sont un autre exemple (il suffit de se promener dans le Marais pour s’en convaincre). A Hambourg, Take Care, la nouvelle enseigne de H&M (ouverte mi-avril) ne vend que des produits d’entretien pour les vêtements, propose des ateliers de customisation tenus par des influenceurs, de la réparation de vêtements par des professionnels et diffuse des tutos pour bien entretenir ses vêtements via l’application H&M mais aussi sur des Ipad en magasin.

IN : l’exemple que vous venez de citer peut également faire appel à d’autres imaginaires que le seul « communautaire » ?

P.D. : avec ce livre, j’ai voulu apporter une méthode pour les marques, les enseignes, les entreprises, en quête d’innovation et d’initiatives, -qu’il s’agisse d’agrandir une gamme ou de séduire une nouvelle population. Si elles veulent que leurs propositions aient une chance de succès, il leur est indispensable de s’adresser à au moins trois imaginaires.

Dans le cas de Take Care, l’enseigne joue sur cinq imaginaires : celui du « Communautaire », du « Ré-enchantement », du « Tous ensemble », ainsi que du « Pionnier » et de la « Rencontre ». De même, lorsque Colryut en Belgique propose « Apperto » (la possibilité de faire en même temps que son shopping des courses pour son voisin), elle s’adresse à la fois à l’imaginaire « Rencontre » et à celui de « Communauté ». Autre exemple : à Varsovie, il est possible de venir avec ses produits alimentaires essayer les cuisines Ikea. On est là dans le « Communautaire », le « Tous ensemble » et la « Rencontre ». Quand Pierre Hermé ouvre avec L’Occitane une boutique au 84, Champs Elysées, qui cible une clientèle sensible à la poly-sensorialité, trois ressorts sont en jeu : « Pionnier », « Ré-enchantement », « Rencontre ».

On voit en permanence les marques s’associer et chercher de nouveaux partenariats, c’est un des grands ressorts de l’innovation aujourd’hui. Clarins s’est rapproché de Michalak pour créer un food truck healthy (où Clarins propose une boisson healthy que la marque a mise au point) et Michalak des desserts healthy. Réunir la cosmétique et l’alimentation est le nouveau duo de choc, à la fois référence culturelle et passion.

IN : quelle différence faites-vous entre le consommateur et le shopper ?

P.D. : dans le mot « consommer », il y a la notion de « consumer », c’est-à-dire de détruire, d’acheter pour accumuler. Le shopper, lui, découvre, vit des expériences, fait circuler ses achats. Un consommateur veut la fin de quelque chose, un shopper le début de quelque chose. Ce livre a pour mission de mettre l’individu au centre et de faire réfléchir sur de nouvelles manières de faire. Cinquante ans après mai 1968, la consommation invente de nouvelles manières de vivre, d’intervenir sur l’état du monde, d’inventer le monde de demain. A décrypter sans modération.

*éditions Arkhé ** www.observatoirecetelem.com

Illustration de Fred Chance

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