Alexandre Mézard aime à se décrire comme « un entrepreneur du numérique repenti » et comme un « éternel apprenti ». Après plusieurs années dans l’audiovisuel, il a crée avec un associé l’application mobile Poi dont l’objectif était de faire comprendre simplement et de manière ludique l’intérêt des gestes responsables et d’aider les utilisateurs à les adopter en les connectant aux bons services numériques, qu’il s’agisse de mobilité, d’alimentation ou encore d’aide aux personnes sans abri. Au bout de deux ans, ce père de famille a choisi de quitter sa start-up pour préparer une thèse au Celsa sur les effets rebonds politique du digital à impact.
Alexandre Mézard : je fais partie des privilégiés car je suis en famille dans la campagne dans une maison avec un grand terrain. La période actuelle est très intéressante car le confinement peut générer une réappropriation du temps long. Nous avons enfin la possibilité de nous demander pourquoi et comment nous faisons les choses. Nous devons jongler avec plusieurs activités. On passe d’une conf call à la lecture d’un bouquin avant d’aider nos enfants à faire leurs devoirs. Cette parenthèse nous sort de notre cavalcade quotidienne et nous permet de comprendre ce qu’est une vie matérielle lorsqu’on coupe le cordon de l’assistanat. Quand on est bousculé, on change d’angle de vue. Les petites fissures qu’on voyait ici ou là se transforment en failles sismiques. Le minuscule éclat sur le parebrise devient une énorme étoile qui nous empêche de regarder devant nous.
A.M. : oui mais il faut aussi voir la situation actuelle avec un peu de hauteur. Quand on voit des salariés passer cinq heures par jour en conf call pour « garder le lien » avec leurs collègues, ils ne font rien d’autre que remplir le vide de leur fonction. On va passer d’une stratégie de désincarnation à une stratégie de communication où on va devoir expliquer pourquoi et comment on fait un produit tout en prouvant qu’il est bénéfique. Les marques qui font du fake vont être atomisées.
A.M. : il y a déjà un véritable effet de saturation vis à vis des messages qui sont diffusés sur la Toile et qui semblent totalement déconnectés de la réalité. Avec le confinement, nous avons vu plein de services, souvent naissants et embryonnaires, qui ont commencé à proposer de choses gratuites sur internet sous les atours d’une générosité totale. Ces personnes ont peur de ne pas survivre et il est naturel qu’elles veuillent se mettre en avant mais qu’elles arrêtent de prétendre faire oeuvre de sacrifice.
A.M. : la période actuelle est meilleure que la précédente car on s’est réapproprié le temps, le temps qu’on donne à soi, aux siens, à ses passions et à son travail. L’après sera mieux qu’avant si on garde ce sentiment d’équilibre. On a passé notre vie à courir mais beaucoup de gens commencent aujourd’hui à se demander pourquoi. « L’après » va être différent car nous allons devoir trouver de nouveaux systèmes et une autre temporalité. En se coupant du superficiel, on a pris conscience du rôle que les outils numériques ont pris dans notre existence. Le confinement nous oblige à nous recentrer sur un périmètre plus restreint sans avoir forcément une vision globalisante et d’hypercroissance. Il faut aller en priorité dans des endroits de proximité et chercher des solutions extrêmement localisées. On va revenir vers une échelle plus humaine, plus réduite et plus proche. Une plus grande solidarité devrait aussi se développer. Mais quand on veut avoir un impact positif, il ne faut pas seulement offrir mais aussi demander de l’aide lorsqu’on en a besoin. Les gens vont réaliser que le modèle de don contre don fonctionne. L’altruisme c’est de l’égoïsme prospectif.
A.M. : j’ai toujours été partisan de l’électrochoc. La pandémie va certainement provoquer de la casse mais elle va aussi nous contraindre à faire un « reset » de notre carte comportementale. Les périodes comme celles que nous traversons actuellement sont bénéfiques car elles nous forcent à faire des choix.
Frédéric Therin
Il est journaliste depuis près de 25 ans. Basé en Bavière depuis 9 ans, après 4 ans en Australie, 4 ans à Londres et 5 ans à la rédaction du Nouvel Economiste à Paris. C'est un ancien élève du Celsa. Il collabore très régulièrement pour Le Point, Les Echos, Challenges et le quotidien financier belge L'Echo. Frédéric a aussi travaillé plusieurs années pour Le Monde et L'Express ainsi que le Temps, le Soir et L'Agefi.
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