24 juillet 2014

Temps de lecture : 5 min

La ville sensible, une nouvelle utopie

Une ville plus solidaire, où la confiance et la réputation valent autant que les euros, qui se réinvente sans cesse et transforme ses habitants en créateurs, dans laquelle la nature est valorisée et participe à la qualité de vie : un modèle qui fait rêver...

Si le XIXe siècle est associé aux empires, le XXe siècle à l’état nation, le XXIe siècle sera lui, celui de la ville. En effet, mégalopoles, zones urbaines, périphéries, banlieues, capitales, quelle que soit l’appellation, en 2040 nous serons 5 milliards à vivre en ville*.

Il n’est pas surprenant que le sujet passionne avec comme enjeu principal : rendre la ville de demain « viable » et « vivable ». Et sur ce point, le cinéma ne nous rassure pas. Des films tels que « Total Recall », « Minority Report » ou encore « Bienvenue à Gattaca » dressent tous un portrait glaçant du monde qui nous attend. Alors si Hollywood ne nous fait plus rêver, il est urgent d’imaginer la ville de demain avec optimisme !

La quête de la cité idéale est certes un sujet contemporain, mais elle ne date pas d’hier pour autant. Thomas Moore, en 1516, lui a même trouvé un nom : c’est l’utopie, néologisme grec qui désigne la société idéale, qu’il décrit dans son œuvre. Platon s’était également prêté à l’exercice en décrivant dans « La République » la cité idéale où régnaient la raison et l’intérêt communautaire. Quant à l’architecte Hippodamos (498 av JC), reconnu comme un des pères de l’urbanisme, il a tout simplement créé le plan en damier, qui influencera bien des villes postérieures, et notamment les villes américaines.

Ordre moral ou rationalité ?

Pas question de prévoir à 2000 ans, tel Hippodamos, quelle sera la ville de demain – c’est même assez intimidant d’oser émettre un avis sur le sujet après tant de brillants penseurs – pourtant, pourquoi les hommes ont-ils toujours imaginé la ville idéale sous l’angle de la rationalité ? Thomas Moore évoquait l’ordre moral, nous parlons aujourd’hui plus volontiers de gestion mais l’ambition reste la même : à travers l’organisation de l’espace, ce sont bien les citoyens qu’il s’agit de gérer, manager, gouverner, bref… mettre au pas.

Le concept de « ville intelligente », qui succède à la « ville numérique », est éloquent à cet égard car lui aussi donne la part belle à la rationalité. Le développement de la Big Data, à savoir la capacité sans précédent pour recueillir, analyser et mettre en œuvre d’énormes quantités d’informations numériques**, va en effet permettre aux villes d’améliorer le confort des citoyens, d’être plus efficaces dans leur gestion des ressources et de mettre en place une gouvernance participative. Mais là encore, n’est-on pas dans une vision technophile de la ville, une sorte « d’ordinateur à ciel ouvert » pour reprendre l’expression de Carlo Ratti, directeur du MIT Senseable Lab de Boston ?

Au terme de ville intelligente, Carlo Ratti préfère parler de Senseable city, qui a donné en français la ville sensible, concept qui n’a d’ailleurs pas échappé à l’attention d’Anne Hidalgo, puisqu’elle a repris l’expression à son compte avant de révéler son programme pour Paris. Le choix de l’adjectif sensible est séduisant à bien des égards : il se rapproche de l’humain, parle de solidarité, donne la part belle aux émotions, au ressenti et même à une certaine féminité. Et puis surtout, comme tous les nouveaux vocables, il évoque une réalité plus qu’il ne la définit et c’est ça qui fait rêver. Alors, à quoi pourrait ressembler la ville sensible de demain ? Comment imaginer la nouvelle utopie ?

La ville sensible sera une ville de partage…

Alors que la fin du XXe siècle marquait la victoire du capitalisme libéral et de l’individualisme, à l’orée XXIe siècle, nous cherchons au contraire à nous inscrire dans des communautés – communautés qui ne sont plus imposées mais se tissent au gré des affinités réelles ou virtuelles. En effet, à travers les réseaux sociaux, nous avons découvert d’autres moyens de se forger une identité et de nous relier aux autres. Internet a également entrainé le développement des échanges en ligne et de la consommation collaborative.

Les marques telles que Airbnb, vestiaire collective, ou encore Drivy, qui permettent aux internautes de louer/vendre leurs biens et font de chaque consommateur un commerçant en puissance, ont un bel avenir devant elles. Ainsi, dans la ville de demain, nous ne rêverons plus d’être propriétaires mais de jouir de biens et de services juste au bon moment, au bon endroit et surtout de nous en débarrasser quand nous n’en avons plus l’usage. Certains intellectuels comme Rachel Botsman prédisent même que ces nouveaux modèles économiques basés sur la confiance plus sur le porte-monnaie vont fondamentalement changer la manière dont nous consommons, travaillons et vivons.

Et une ville plus solidaire, où la confiance et la réputation valent autant que les euros, c’est un modèle qui fait rêver !

…elle sera aussi une ville créatrice

Depuis toujours, la ville est le lieu de la création et de la culture, mais c’est une culture qui a longtemps été associée au pouvoir politique. Au XIXe siècle, l’industrie se développe et avec elle les écoles de dessin, les expositions universelles et les musées d’arts appliqués comme le célèbre Victoria and Albert Museum à Londres. Mais là encore, s’il y a un effort de démocratisation, c’est toujours l’État qui dicte sa loi et ses gouts, ce qui est de moins en moins vrai.

En effet, la fin du XXe siècle voit l’art se rapprocher de la culture populaire pour finalement descendre dans la rue. D’abord rejeté car associé au vandalisme, le street art a gagné ses lettres de noblesse, sans parler des artistes pop art comme Andy Warhol, qui n’a jamais été aussi plébiscité.

Au XXIe siècle, la ville toute entière sera le nouveau territoire de l’art. À l’heure même où les marques prennent d’assaut les musées pour faire valoir leur patrimoine et leur créativité, l’art et la créativité sortent des musées. Loin de devenir un ordinateur à ciel ouvert, ni même un musée à ciel ouvert, la ville sensible de demain sera un atelier d’artiste à ciel ouvert, faisant passer l’Homme du statut de travailleur à celui d’entrepreneur, d’inventeur, de créateur. La ville sera un vivier de personnes qui exerceront des activités différentes, qui collaboreront, et coopéreront dans une structure de clusters ou de pôles de compétences, comme dans les fablabs.

Et une ville qui se réinvente sans cesse et transforme ses habitants en créateurs, c’est un modèle qui fait rêver.

La ville sensible sera une ville végétale

Difficile de penser à la ville de demain sans penser à la place de la nature, élément essentiel de la qualité de vie. Aussi, la végétalisation de la ville est elle devenue un sujet clef. De nombreuses recherches démontrent à quel point les arbres et les végétaux en ville, de manière générale, contribuent à la qualité de vie : amélioration de la qualité de l’air, lutte contre le réchauffement climatique, impact bénéfique sur le bien-être de la population…

Si le potager ou le jardin ouvrier existent depuis longtemps, le processus d’industrialisation a grandement freiné leur développement. Aujourd’hui, la question de la production alimentaire des villes, l’engouement pour les produits locaux et la multiplication des roof gardens, aux Etats-Unis notamment, nous montrent bien que l’agriculture urbaine est en passe de devenir l’un des piliers de la ville de demain. Et au delà des pratiques expérimentales, il s’agit bien là de développer une activité rentable avec de vrais modèles économiques. Et une ville dans laquelle la nature est valorisée et participe à la qualité de vie, c’est un modèle qui fait rêver.

Ce portrait d’une ville sensible, à savoir solidaire, créatrice et végétale est sans doute bien naïf et les contre-arguments sont faciles à identifier (c’est d’ailleurs souvent ce qu’on reproche aux utopies). Mais l’intérêt de réfléchir à la ville idéale est peut-être ailleurs, car impossible de faire l’exercice sans véhiculer une certaine conception de l’Homme. Alors si l’on ne sait pas à quoi ressemblera la ville de demain, une chose est certaine : l’Homme d’aujourd’hui est en quête de sens et ses aspirations dépassent le cadre de la rationalité. Face à la théorie de l’homme-machine ébauchée par Descartes et reprise par des architectes comme Le Corbusier, le vers d’Hölderlin « l’homme habite en poète » est beaucoup plus beau…

Magali Tardy-Guyot

Illustrations : Charlotte Pollet

* Le Rapport du Comité 21 sur La ville, nouvel écosystème du XXIe siècle.
** Regards Sur Le Numérique magazine édité par Microsoft.

Article paru dans la revue digitale n°10 : La Ville, Bienvenue à bord

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