23 juin 2014

Temps de lecture : 4 min

Un journalisme qui lit dans l’avenir !

2022, Jaitapur en Inde. Areva vient d’y achever la construction du premier réacteur EPR de dernière génération. Bien ou pas bien ? A chacun sa réponse grâce au reportage « Are Vah » diffusé sur RFI.fr. Ce web documentaire interactif d’anticipation propulse l’internaute en 2022 sur le site de la centrale pour qu’il mène l’enquête grâce à des capsules d’informations bien réelles et des spécialistes.

En choisissant d’intituler leur reportage : « Are Vah ! », une expression indienne très spontanée qui signifie « ça alors ! » ou « waouhhh ! », Micha Patault et Sarah Irion ont été inspirés. Car leur documentaire produit par FatCatFilms (label de Première Heure) et RFI et diffusé depuis le 17 juin, sur le site de RFI sur arevah.rfi.fr est franchement à la hauteur de son titre sur bien des points. Non seulement parce qu’il résume clairement leur enquête terrain de longue haleine (2 ans) en traitant de l’Inde, du nucléaire et du rôle joué par Areva (qui fait judicieusement phonétiquement écho à l’expression indienne) dans cette affaire. Mais aussi parce qu’il propose une lecture captivante et interactive qui emmènera son auditoire vers sa propre conclusion, grâce à des interviews de personnalités locales et des compléments d’enquête très pointus.

Un modèle qui semble séduire puisque dès le premier jour, ce web documentaire a généré 8500 visites. « C’est un début prometteur», confirme Antoine Cayrol, co directeur de FatCatFilms, qui avait totalisé 60 000 visites en 6 mois avec « Parole de Conflit » son dernier reportage de ce type diffusé en 2012 « nous visons pour celui-ci entre 80 et 90 000 visites, d’ici à 3 mois. Ce qui sera un beau résultat compte tenu de notre puissance de feu ».

Sérieux et ludique : investigation et analyse projettent l’internaute au cœur de son enquête

Le nucléaire fait débat depuis toujours et encore davantage depuis Fukushima. Bien ou pas bien ? LA réponse semble évidente. Pourtant si bon nombre de pays cherchent à s’en défaire, d’autres qui doivent subvenir à leurs besoins croissants en électricité pourraient bientôt l’accueillir, comme l’Inde où la France veut vendre six réacteurs EPR. Areva prévoit en effet de construire la plus puissante centrale nucléaire au monde à Jaitapur. Or cette future centrale est controversée à coups de justifications géopolitiques et scientifiques. D’une part, la technologie EPR n’a jamais fait ses preuves dans le monde, et les opposants critiquent la réelle nécessité du projet.

De plus, Jaitapur n’est pas qu’un site ordinaire et désertifié, c’est d’abord un petit village de pêcheurs. Mais à ces justifications scientifiques et humaines s’opposent des arguments géopolitiques : l’Inde s’est ouverte au marché du nucléaire civil international et doit maintenant commercer avec les fournisseurs nucléaires mondiaux. Enfin, la vente de réacteurs EPR est déterminante pour l’industrie nucléaire française.

Décidément, tout n’est pas noir ou blanc, de plus quand on se lance dans une enquête aussi épineuse et technique, difficile de tout aborder en 52 minutes tout en promettant de passionner les foules. Ses auteurs ont donc décidé d’engager leurs spectateurs en les plongeant dans une œuvre d’anticipation et en les poussant à choisir entre démarrer ou démanteler ce projet de centrale.

Démarrage ou démantèlement : à l’internaute de choisir !

Ainsi, pour mieux se rendre compte des enjeux, « Are Vah ! » projette l’internaute, en 2022, sur le site de la centrale où le géant du nucléaire français vient d’achever la construction du premier réacteur EPR de dernière génération, et donc entièrement imaginée et dessinée pour l’occasion. Au fil de la visite virtuelle, il découvre des contenus interactifs réels (24 vidéos, 14 décors, infographies, cartes, interviews d’intervenants de tous bords) qui lui permettent de « débloquer » des pastilles d’uranium nécessaires pour accéder à la salle des commandes de la centrale et ainsi de mener sa propre investigation pour se forger son opinion avant de lancer ou non la construction.

Cet aspect enrichi du reportage et la variété des informations qu’il est possible de collecter font qu’aucun internaute n’a la même entrée ni ne regarde le même reportage. C’est ludique mais sérieux car à lui de dire s’il y a un David contre un Goliath mais aussi de constater que le « politiquement correct » est parfois la voie de la facilité, et qu’il n’est pas aussi aisé d’être catégorique contre ou pour le nucléaire… bref de décider qui gagnera le combat. Et l’enjeu est de taille, car le projet de Jaitapur sera le contrat plus gros jamais signé dans l’histoire de l’Inde.

Un web documentaire interactif à forte valeur ajoutée : salutaire pour le journalisme ?

Cette expérience digitale couplée avec un média qui allie l’enquête terrain, les interviews, l’analyse, les données informatiques, l’interactivité et le design offre depuis 3-4 ans une nouvelle forme de journalisme très intéressante voire salutaire pour les organes de presse confrontés à une conjoncture peu porteuse. « J’y crois dur comme fer », insiste Antoine Cayrol « car à chaque fois, ce modèle de reportage très dynamique dans son traitement apporte une forte visibilité au média. Et The New York Times qui le pratique régulièrement, a bien compris tout le bénéfice qu’il pouvait en tirer. Même chose pour France Télévision qui systématiquement, cumule entre 150 000 et 200 000 visites».

Et en effet, d’une part, sa forte valeur ajoutée répond à la nécessité de se renouveler et à l’instantanéité du traitement de l’information, face aux sites d’informations gratuits et/ou en continu ou aux avis d’internautes plus ou moins professionnels. D’autre part, elle est source de fidélisation avec des programmes de qualité dont la nature de l’information a changé mais toujours de bonne qualité car vue sous un autre angle. Enfin, elle milite pour que les rédactions maintiennent des budgets pour des techniques journalistiques jugées coûteuses et chronophages (investigation et analyse) mais qui sont le complément nécessaire aux données si facilement disponibles sur Internet et qui tombent dans la banalité si mal exploitées. Mais actuellement, la France ne produit environ qu’une quinzaine de web documentaires interactifs (et 50 POD pour « petit objet documentaire » moins ambitieux) contre 30 au Canada, le pays précurseur en la matière.

Florence Berthier

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