1 février 2021

Temps de lecture : 11 min

Gilles Masson : «la communication se doit de diffuser des idées qui jouent un rôle d’antidote à la crainte ambiante»

Publicitaire passionné, analyste politique depuis plus de 10 ans dans les émissions TV « Déshabillons-les » puis « Hashtag » sur Public Sénat/LCP, Gilles Masson le plus discret de la planète com brosse pour INfluencia le portrait d’un monde brutal et anxiogène, où s’engager pour de bon, est la moindre des choses.

INfluencia : vous êtes le plus discret des publicitaires… Aujourd’hui vous sortez du bois pour annoncer que GAD et Australie s’unissent…

Gilles Masson : la discrétion est, par nature, une vertu silencieuse. C’est vrai qu’Antoine Barthuel, (mon associé, le A de GAD, que je surnomme « l’avion furtif » tellement il fuit les médias) et moi, n’apprécions pas outre mesure l’exposition médiatique. Ce sont les travaux pour nos clients qui sont à médiatiser. Mais nous avons probablement abusé de cette discrétion. Nous sommes sortis du bois il y a 15 ans quand nous avons lancé « from scratch » M&C SAATCHI.GAD en France avec Antoine et Daniel (il n’y avait eu alors aucun lancement de nouvelle agence en France depuis 10 ans), et le faisons de nouveau aujourd’hui avec le rapprochement avec Australie. Entre ces deux dates, nous avons créé un groupe de communication indépendant, qui est passé de 3 à 120 personnes, de 0 euro à 28 millions d’euros de chiffre d’affaires, une fidélité client record (Yves Rocher, Bonduelle, McCain, EDF, Haribo, La Banque Postale…) et une démarche stratégique et créative très innovante avec notre Village.

IN. : qui est allé voir qui ?

G.M. : c’est nous (Antoine, Jean-Luc et moi), qui sommes allés voir Australie (David, Prudence et Vincent Leclabart) début juin. Une démarche spontanée qui a reçu immédiatement un accueil étonné et enthousiaste.

IN. : pourquoi eux?

G.M. : nous avions l’envie de bousculer le marché en créant une nouvelle dynamique forte, celle d’un nouveau groupe indépendant de référence, qui pèsera financièrement sur ce marché bicéphale. Ce regroupement permet la création immédiate de synergies entre 2 enseignes très complémentaires, et une palette exhaustive d’expertises pour répondre à tous les enjeux de communication de nos clients, grâce à nos 9 filiales (FCINQ, Moonlike, Thynk, Little Stories, Connexion, TataProd, Uncut, Dundee et Cometis). Le défi de se dire que l’on ne peut pas parler toute la journée de transformation à nos clients, sans d’abord nous transformer nous-mêmes. Nous venons de lancer un grand chantier avec tous les talents des entités pour créer les conditions d’un nouveau modèle d’agence, une fédération d’entrepreneurs avec une ambition claire, et qui partage les mêmes valeurs. On a un Comex limpide, solide et amical avec une répartition des rôles très claire. David et moi dirigeons le Groupe comme CEO, Prudence est Responsable de la Finance, Antoine de la Création et Vincent, Président du Conseil d’Administration. Notre ambition est également d’être un accélérateur d’innovations en constituant le meilleur des 3 mondes : Australie et GAD en synergie, avec M&C Saatchi en ouverture à l’international. Et puis surtout aussi, pour l’aventure humaine et entrepreneuriale, et l’énergie positive que ce rapprochement de 200 personnes va créer. J’ai toujours eu l’obsession personnelle de créer les conditions nécessaires pour que le meilleur soit à venir.

PENDANT LE CONFINEMENT, LES SALAIRES D’UNE MAJORITÉ DE FRANÇAIS ONT ÉTÉ NATIONALISÉS, ET LE CHEZ SOI, PRIVATISÉ PAR LES ENTREPRISES…

IN. : vous êtes planner stratégique « par nature » et passion, comment définiriez-vous cette période chahutée par de multiples facteurs, dont la crise de la Covid, la crise économique, et sociale, celle du réchauffement climatique, les fake news ?

G.M. : comme disait un célèbre joueur de baseball : « l’avenir n’est plus ce qu’il était ». un seul mot pour définir cette période : l’incertitude. Et donc, pour beaucoup, cette difficulté à endurer l’incertitude et qui les fait entrer dans l’âge de la crainte. L’émotion dominante de la période que nous vivons, c’est la crainte. La crainte combine deux émotions : la peur de l’avenir et le sentiment d’impuissance. Pour une très écrasante majorité des Français, l’avenir a cessé d’être une promesse pour devenir une menace. Il n’y a plus de récit positif, et presque plus de projections vers un meilleur futur. Se combine à ce rapport inquiet à l’avenir, un sentiment d’impuissance, accentué par la crise du COVID lors de laquelle la majorité d’entre nous s’est sentis assez démuni. Crainte d’aller vers une planète invivable, crainte d’une explosion sociale ou d’un durcissement politique dans un pays sous tension, crainte entretenue par les algorithmes, qui ont tendance à présenter d’abord les contenus les plus radicaux, pour capter une part toujours croissante de notre attention.
Ce sentiment de crainte de l’avenir, est également accentué par une croissance en berne : dans les pays en croissance, on savait que nos enfants auraient une meilleure vie que la nôtre. Ceci est de moins en moins le cas, en particulier pour la classe moyenne. Et au niveau macro-économique, des records à l’envers, qui ont annihilé des décennies de croissance : en 2020 la fréquentation du cinéma retombe à celle du début du muet, le trafic du TGV revient à celui des années 90, les ventes de voitures au niveau de 1975, la fréquentation du Louvre à celle d’avant la Pyramide…

IN. : tout cela n’est guère réjouissant. Y- a -t-il une issue ?

G.M. : si on recentre votre question sur la manière dont la communication peut-être au rendez-vous de l’époque, ce serait en cherchant à diffuser des idées qui jouent un rôle d’antidote à la crainte. Ce qui suppose de privilégier l’ouverture à l’autre et au monde, au moment même où cela est complexe et où la tentation du repli sur soi est très forte. Par exemple, l’action au service d’une perspective positive. En vérité, il faut admettre qu’aucun changement majeur de modèle qu’il soit politique, sociologique, économique ou culturel, n’est intervenu sans la secousse tellurique d’une crise profonde. Comme disait Winston Churchill : « il ne faut jamais gaspiller une bonne crise ». Regardez la rapidité d’adaptation des nouveaux modèles : toutes les entreprises vont probablement généraliser le droit au télétravail 2 jours par semaine, alors que c’était jusqu’alors perçu comme une facilité ultra marginale pour certains cadres dirigeants. L’apogée (encore mieux qu’un film de science-fiction) : pendant la période de confinement, les salaires d’une majorité de français ont été nationalisés et en parallèle le chez soi est privatisé par les entreprises, et cela semble déjà normal. Dans cette période d’incertitude, la réalité semble souvent dépasser la fiction. L’exemple le plus récent : la constitution d’une red team, dix auteurs de science-fiction vont travailler pour l’armée (Ministère des Armées et de la Défense), en imaginant et anticipant les pires dystopies.
Il y a des dizaines de tendances structurantes en constante accélération : le retour du local et du made in France, l’explosion de la seconde main, du vrac, du bio, du vegan, de Zoom, de Yuka, l’essor du Body Positive, la révolution du click and collect, les énergies durables, le slow fashion, l’économie circulaire, la transparence, les nouvelles mobilités plus vertes, la green and clean beauty, la progression des voitures électriques, les vélos électriques de fonction, les entreprises d’anti gaspi, l’artisanat des métiers de bouche, le genderless, les services d’entraide en ligne, les crypto monnaies, l’Intelligence Artificielle qui se diffuse dans tous les secteurs, les assistants personnels, les investissements SCPI durables et rentables, la location de produits plutôt que la propriété, la multiplication infinie des DNVB… Tout ceci, quand on prend un léger recul, parle d’une nouvelle Société… d’une issue possible… sans être totalement naïf, mais plutôt optimiste, les prémices d’une croissance verte et plus solidaire ? L’enjeu est d’être à la fois adulte et caring et surtout de s’engager ! Le RSE washing doit être sous surveillance.

DANS UNE FRANCE DE PLUS EN PLUS DIVISÉE, INQUIÈTE ET EN COLÈRE, IL FAUT DES RÉCITS QUI FÉDÈRENT, INSPIRENT ET APAISENT

IN. : quel peut-être le rôle de votre métier dans la résolution de cette situation critique ?

G.M. : plus que jamais, d’être des pilotes de transformation des marques. Notre indépendance nous a permis de choisir de ne pas travailler pour certains annonceurs. L’utilité est au cœur de notre Business Model. Quand nous créons « Act Beautiful » pour Yves Rocher nous participons à accélérer son statut d’entreprise à mission ; quand nous concevons « Banque et Citoyenne » pour La Banque Postale, nous influons directement sur le marketing produit. Quand nous concevons pour Bonduelle « La Nature notre Futur » et la plateforme Legumiz, nous sommes au cœur de leur Plan de Transformation vers leur statut de B Corp ; quand Australie trouve « Les antibiotiques, c’est pas automatique », elle devient un acteur indiscutable de l’accélération des changements des comportements des Français, idem pour leurs clients WWF, INCA et Santé Publique. Chez GAD, nous sommes très impliqués dans l’Économie Sociale et Solidaire (11% de l’emploi en France, 8% du PIB). Nous avons conçu tout l’éco système de communication des Premiers États Généraux de l’Économie Sociale et Solidaire. Nous travaillons pour Simplon (l’inclusion par le numérique), Phénix (le leader de l’anti-gaspi alimentaire), les Banques Alimentaires (depuis 12 ans), la Villa San Francisco (qui met les artistes au centre des débats de société), l’Adie (qui aide les entrepreneurs dans les quartiers défavorisés). Et bien sûr, des associations (Enfance et Partage pendant 15 ans, Rejoué, les Tables de Cana, CCFD Terre Solidaire …) Et évidemment, Solidarité Sida (Solidays) dont j’ai été Président pendant 12 ans au côté de son fondateur, Luc Barruet. Cette expérience associative a eu une forte influence sur la conception inédite de notre Business Model Village GAD.

IN. : pensez-vous que la communication puisse continuer de s’adresser aux consommateurs comme avant ?

G.M. : dans une France de plus en divisée, inquiète et en colère, il faut des récits qui fédèrent, inspirent et apaisent. La complexité, c’est d’éviter un double écueil : d’un côté celui du discours euphorique hors sol qui apparaitrait comme un déni de réalité (mais les Français privilégieront quand même des marques qui délivrent des messages positifs). De l’autre côté, un discours trop compassionnel sur les « temps inhabituels » (cf. certains films de distributeurs). L’enjeu est d’être à la fois adulte et caring et surtout de s’engager ! Vraiment ! Pas que des engagements en communication, le RSE washing doit être sous surveillance.

IN. : en tant que citoyen concevez-vous que la Convention Citoyenne pour le climat tacle la pub? Ou c’est un faux débat ? Et la pub a trop tiré sur la corde du désir…

Les marques, qui sont la face visible des entreprises, ont un besoin vital de croissance, et aucune ne désire la sacrifier fortement en agissant de manière plus responsable. Tout le monde rêverait de dire comme Patagonia « Don’t buy this jacket », mais la décroissance ne sera jamais un objectif marketing. Il est donc logique que les tenants de la responsabilité, qui n’ont pas le problème de la croissance, interpellent les marques et en premier lieu leur communication. Mais s’il y a certainement de bonnes raisons d’être critique sur certaines publicités et sur des abus, faut-il pour autant faire de la com un bouc-émissaire ? La publicité, par essence, est là pour créer du désir dans l’objectif de faire préférer une marque. L’équation maintenant doit être désir et confiance. Je crois à l’auto régulation de notre secteur en dialogue avec des instances citoyennes. Je crois surtout que la pub est de loin le meilleur vecteur pour faire changer les comportements, et les orienter vers une consommation plus responsable et une transition environnementale. Alors, utilisons intelligemment la publicité plutôt que de la supprimer ou de l’abêtir- cf l’absurdité de la mention suggérée : « En avez-vous vraiment besoin ? » dans les pubs télé. Ce débat me rappelle un dialogue célèbre dans Tintin et Les Bijoux de la Castafiore (1963) :
– Dupont : « C’est bien notre chance ! Pour une fois que nous tenions des coupables, il faut qu’ils s’arrangent pour être innocents ! … »
– Dupond : « C’est vrai, à la fin, on dirait qu’ils le font exprès ! »

IL EXISTE 22 MILLIONS D’OCCURRENCES DE HASHTAGS #DÉPRESSION SUR INSTAGRAM, LE TERME ANXIETY EST ASSOCIÉ À 3 MILLIONS DE VUES SUR TIKTOK…

IN. : à l’heure où l’on parle de la troisième vague, celle de la santé mentale, qu’elle soit présente chez les jeunes « seuls », (suicides, dépressions profondes, absence de sens) du burn out parental révélé par la covid, (mais déjà présent par le passé) sans qu’on en parle vraiment… La santé mentale devient un nouveau sujet rarement pris au sérieux, ou du moins peu évoqué par le passé ? En tenez-vous compte ? Est-ce un sujet qui vous préoccupe ?

G.M. : la santé mentale est un sujet très préoccupant avec une incroyable dégradation depuis les mesures Covid, et la destruction à petit feu de la confiance, de la légèreté, du lien social. La fragilité psychologique est aussi profondément inégalitaire, elle touche en priorité les jeunes (lycéens/étudiants/jeunes actifs et chômeurs) et les plus démunis. Cette aggravation des inégalités sociales et économiques devant l’épidémie, laissera de profondes traces. On connaissait déjà le « Millennial Burn-Out », mais on n’imaginait pas les dégâts que pouvait faire le digital dans ce contexte : recherche frénétique des informations anxiogènes sur la maladie via les réseaux sociaux, caisson de résonance répétitif, fragilisation accrue de l’estime de soi, fuite éperdue dans le divertissement (l’ailleurs temporel des séries, les jeux vidéo, les applis anti-stress). Les chiffres sont très alarmants : les recherches sur Google autour du mot anxiété ont augmenté de 123% depuis 2015, et il existe 22 millions d’occurrences de hashtags #depression sur Instagram, le terme « anxiety » est associé à 3 millions de vues sur TikTok, la jeunesse actuelle est probablement la plus dépressive depuis celle de la Seconde Guerre Mondiale (1 jeune sur 3 de 15-35 ans dit souffrir d’anxiété aujourd’hui) mais aussi la plus décomplexée sur le sujet. Notre agence est très concernée sur le sujet : nous avons soutenu fin 2018 l’association Clubhouse (insertion sociale et professionnelle de personnes vivant avec un trouble psychique), avec un film choc sur la souffrance psychique pour la Journée Mondiale de la Santé Mentale.

IN. : le trust Barometer d’Edelman constate l’absence de confiance dans les politiques, les informations… Seules les entreprises ont grâce aux yeux des citoyens. N’est-ce pas un peu désespérant démocratiquement parlant?

G.M. : les démocraties n’ont jamais été aussi fragiles, et l’invasion du Capitole en a été un funeste rappel très chargé sur le plan symbolique. À cet égard, la vidéo de Arnold Schwarzenegger était remarquable, un cocktail improbable entre la fiction de Conan le Barbare et la réalité de la Nuit de Cristal. On assiste à un repli vers des système autoritaires ou populistes au niveau mondial. Soyons volontaristes, chacun a un rôle à jouer. Nous sommes tous des colibris politiques. Je pense que les tiers de confiance de demain seront ceux qui agissent au niveau local, en proximité, en Réalité, les maires, les associations, et les entreprises (industrielles, services, distributeurs). C’est un retour aux sources : étymologiquement, « citoyen / citoyenneté » signifie les droits et les devoirs des habitants de la Cité. La question ouverte, très socratique sera ensuite : peut-on encore être un citoyen du monde ?

LE POUVOIR DES POLITIQUES, ARMÉS DE LA COMMUNICATION DE PLUS EN PLUS PRÉSENTE ET FINE, EST DANGEREUX

IN. : vous intervenez comme analyste politique depuis plus de 10 ans dans les émissions TV « Déshabillons-les » puis « Hashtag » sur Public Sénat/LCP. Avez-vous songé à vous lancer en politique ?

G.M. : la politique est un sujet passionnant qui m’a accroché dès mes années Sciences-Po (un autre millénaire…). Et je considère que le pouvoir des politiques, armés de la communication de plus en plus présente et fine, est dangereux s’il n’y a pas de contre-pouvoir d’analyse de leur communication. C’est un vrai plaisir intellectuel pour moi de participer à ces émissions animées par Hélène Risser avec des experts pluridisciplinaires : sociologues, sémiologues, politologues, ethnologues, psychanalystes, philosophes… c’est juste du planning stratégique appliqué à un autre secteur, du décryptage de communication, mais aussi la volonté en tant que citoyen, de ne pas se laisser manipuler, d’avoir les yeux grands ouverts, de naviguer avec un sextant dans cet océan de fake news. Quant à faire de la politique, ce n’est clairement pas ma vocation et l’exposition médiatique intrinsèque à cette voie est pour moi contre nature et comme vous le savez, j’aime la discrétion : ).

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